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TRIBUNE – Décoloniser les imaginaires, un impossible bien français ?

AVIS – Amélie, @akoulanda sur Twitter, activiste, blogueuse, chargée de communication dit son ras-le-bol des représentations racistes et se demande comment décoloniser l’imaginaire français.

« Lorsque je passe devant une boutique ou un café avec une décoration un peu rétro, je guette toujours avec hantise la présence d’une vieille boîte Banania, ou tout autre objet véhiculant une image caricaturale des Noir.e.s ou de l’Afrique,  des représentations qui ne dérangent pas ceux qui y voient un simple «  esprit  vintage ».

En me promenant rue Consolat, dans le 1er arrondissement de Marseille, voilà ce que je découvris à la boulangerie La Banettine sise au numéro 102.

  

Des gâteaux avec le visage d’un homme noir doté d’une grosse bouche rose, des yeux exorbités et un air « naïf », des « têtes de noirs » appelées « L’Antillais » ! Bref des caricatures négrières, et une chosification raciste, disposés à côté de gâteaux en forme d’animaux.

« Si on le fait pour les animaux, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire pour les Noirs »

Au milieu de la « tête de cochon », et de la « tête de grenouille » : le Noir.

J’ai interpellé les patrons de la boulangerie, -blancs, évidemment-, qui ne voyaient pas le racisme de cette pratique. « Si on le fait pour les animaux, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire pour les Noirs », m’a d’ailleurs rétorqué le patron, très décontracté et plein d’assurance. Ils m’ont expliqué qu’ils faisaient ces gâteaux depuis vingt ans, et qu’ils ne pouvaient pas être racistes puisqu’ils ont un employé noir. 

Au début de l’année une affaire similaire, concernant une boulangerie à Grasse qui vend des pâtisseries, caricatures négrières et hyper-sexualisées baptisées « Dieux » et «Déesses » , avait éclaté, médiatisée et défendue par le Cran (Conseil représentatif des associations noires), ainsi qu’une autre l’année dernière, à Auxerre, où des biscuits répondant au nom de « Bamboula » et « négro » étaient vendus et revendiqués par ses créateurs. 

Les Noir.e.s en pâtisserie : une tradition bien française qui n’a, hélas, pas disparu.  Il n’y a pas si longtemps, on y trouvait des « têtes de nègres » en gâteaux et en bonbons. Et pourquoi pas des « têtes d’arabes », des « têtes de rroms » ou des « têtes de juifs » avec une étoile jaune tant qu’on y est ?! 

Jusqu’ici s’agissant des pâtisseries, la voie légaliste ne s’est pas avérée fructueuse. L’imaginaire colonial français perdure et fait de la résistance. Pourtant en 2011, on fêtait une petite victoire : le Mrap (Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples) et Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais (Collectif Dom) avait obtenu de la cour de Versailles l’interdiction de la commercialisation du slogan « Y a bon Banania», distribuée par la société Nutrimaine. Ce slogan qui infantilise et moque le Noir, perçu comme « arriéré », « non civilisé », en le faisant parler « petit nègre », serait apparu après la fin de la première guerre mondiale. 

Le cas Banania

La marque Banania, qui a toujours utilisé l’image de personnes noires pour vendre son cacao en poudre, disposait d’un stand à l’exposition coloniale qui eut lieu à Marseille en 1922.

Banania est un exemple tristement emblématique de cet attachement français aux symboles coloniaux et néocoloniaux qui ridiculisent les Noir.e.s.

« Je déchirerai les rires Banania sur tous les murs de France », déclarait Léopold Sédar Senghor dans son recueil Hosties noires (1948).  Aujourd’hui  encore, la marque continue pourtant de sévir avec l’image du « tirailleur sénégalais » comme effigie, qui a gardé son expression candide, mais est désormais représenté sous les traits d’un enfant. Il est affligeant de constater que cette utilisation commerciale du « Noir vendeur de chocolat » soit toujours présente dans les rayons de nos supermarchés, tant elle est chargée de sens historiquement. 

C’est donc ainsi qu’on représente des dizaines de milliers de soldats qui ont versé leur sang pour la France,  dont les premiers  furent recrutés comme corps de militaires appartenant à l’Armée coloniale constitué au sein de l’Empire colonial français en 1857, et qui ont été utilisés comme « chair à canon » ? Un soi-disant « hommage » dégradant et malhonnête, et tout bonnement raciste.

Un mal français, un mal mondial

Hélas cette exploitation raciste de l’ « image du Noir » n’est pas exclusivement française, elle évoque notamment la pratique américaine du blackface et de traditions européennes toujours d’actualité. En effet, cette pratique qui consiste pour une personne généralement blanche, à se maquiller le visage en noir fait office de tradition en Belgique avec «Pierre, le Noir», et aux Pays-Bas avec«Zwarte Piet », où des activistes ont œuvrél’année dernière, que la justice néerlandaise reconnaisse et qualifie ce défilé annuel de raciste. En vain. 

Si pour les Noir.e.s et Afro-descendant.e.s issu.e.s de la diaspora noire, il est évident que ces représentations, héritage à la fois de notre histoire commune liée à la traite, au colonialisme, et son continuum actuel qui est le racisme systémique de nos sociétés occidentales, sont racistes et dégradantes, pour les autres, et particulièrement pour les blanc-he-s à l’origine de ces pratiques, le caractère raciste de ces pratiques est certes parfois revendiqué mais pas toujours reconnu avec évidence. . 

En France, il n’est pas rare d’entendre des « intellectuels » ou des politiques se laisser aller à une nostalgie coloniale, ou même à faire l’éloge de la colonisation. Il y a quelques semaines Philippe De Villiers, déclarait  «  Moi je suis fier de la colonisation française, et j’en ai marre de la culpabilisation », ce qui devrait relever de l’apologie d’un crime contre l’humanité, n’a pas provoqué de tollé général dans la sphère politico-médiatique.

Les Noir.e.s ne sont pas détaché.e.s dans le « regard blanc » de l’animalisation, du cliché du « sauvage », de l’hyper-sexualisation, exotisation, du personnage du « naïf », fait pour faire rire, etc. Sortirons-nous un jour de ces stéréotypes aux accents coloniaux? 

La seule voie qui donne de l’espoir est celle de la réappropriation de la narration par les Noir-e-s : lorsque nous devenons auteur-e-s de nos représentations et écrivons nos propres histoires, quitte à revisiter l’Histoire, avec un grand « H ». Une Histoire, souvent « blanchie, invisibilisant le rôle des Noir-e-s, ou en donnant une version moindre ou caricaturale. On ne peut déconstruire entièrement un imaginaire colonial si ancré dans notre société, mais on peut œuvrer pour le décoloniser.

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4 réflexions au sujet de « TRIBUNE – Décoloniser les imaginaires, un impossible bien français ? »

  1. Faut pas trop rêver et quand on s’émeut de voir ce genre de chose, on est limité considéré comme raciste (raciste anti blancs), complexé de sa race et sans oublier le traditionnel mais vous les Noirs vous êtes trop susceptibles: « tout ça c’est rigolo! » Vous n’avez rien compris et en prime l’historien auto-proclamé des noirs Pascal Blanchard pour nous expliquer comment on doit penser!

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    1. Contentes de voir que le texte d’Amélie Koulanda continue de circuler, d’être lu et de faire réagir. Il reste toujours très difficile de s’émouvoir de faits similaires, mais il semble que le problème ait été reconnu, puisque la Confédération des boulangeries, présidée par Jean-Pierre Crouzet a diffusé une circulaire, fruit d’une réunion avec le président du CRAN, comme relaté sur le site de l’association, appelant les artisans de cette corporation à « lutt[er] contre le racisme, le colonialisme, (…) les propos ou les images discriminatoires et racistes (…) comme ont pu l’être certaines pâtisseries (…) récemment évoquées dans la presse. » Sera-ce suffisant pour éviter les pâtisseries racistes ? La vigilance de tou.te.s reste requise…

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      1. Merci de votre réponse. Je doute que ce ne soit suffisant, les têtes de nègres étant vendues encore dans certaines pâtisseries du Sud de la France et même en grandes surfaces. Mais bon disons que le travail pour le changement de mentalité commence à porter ses fruits.

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