Tu sais que t’es « nappy » quand …

BEAUTE -Le « phénomène nappy », cette « mode » qui pousse des femmes et hommes noir.e.s à abandonner tout traitement chimique pour leurs cheveux s’est imposé en France depuis 10 ans. Aujourd’hui, alors qu’arborer un « braid out » (cheveux ondulés suite à des tresses défaites) ou des bantu-knots devient de plus en plus courant, retour sur les expériences, bonnes ou malheureuses, que l’on a probablement rencontré quand on garde sa chevelure « au naturel ».

« Revenu.e.s au naturel » ou vous l’avez toujours été ? L’Afro parle cheveux, crépus, frisés, locksés en s’intéressant aux lieux communs que l’on retrouve dans le parcours d’un.e « nappy ».

– Tu te souviens de l’époque maudite de maltraitance capillaire que tu considères aujourd’hui comme une aberration : tresses serrées au max, graissées au Dax, Pento ou autre Pink, et démêlage de la racine aux pointes (et non l’inverse !) Dax– on compare tes cheveux à ceux des Jackson 5 en ajoutant que « ça ne fait pas sérieux »

– le jargon « big chop », « shrinkage », « low poo », « no poo » n’ont plus de secret pour toi;

– quelqu’un te demande « je peux toucher tes cheveux? » sans même forcément attendre ta réponse… qui risque bien d’être « non »Cant touch my hair

– tu as testé toutes sortes de produits « miracle » à laisser poser sur ta chevelure ou à avaler

Product junkie

– tu connais la plupart des grandes marques américaines et françaises spécialisées dans les soins capillaires afro et sais où les trouver

–  tu souris en entendant les gens dire que les noir.e.s ne consomment pas ; tu as limite pris un crédit à la consommation tellement ça peut être cher

– tu sais que ce n’est pas la peine d’aller chez Tchip, ou Saint-Algue, pour qu’on prenne soin de tes cheveux ; soit tu te coiffes toi-même, soit tu arrives à trouver une coiffeuse pro à domicile, soit c’est minimum 70 euros pour une coupe et faire des soins basiques :/

– tu es prêt.e à affronter la foule qui s’amasse chez Aroma Zone, où tu te mets en quête de tes produits pour concocter tes soins

– car oui, tu es devenu.e apprenti.e chimiste et tu prépares tes propres soins capillaires ; la phase aqueuse et la phase huileuse n’ont donc plus de secret pour toi

afronoya diy

– tu connais les achats de produits groupés

– en bonne francilienne, tu as longtemps fréquenté Château-d’Eau ou Château-Rouge avant de rayer ces zones de ton itinéraire « achats de produits », avant de te rendre compte que les magasins se sont mis à vendre tes marques « nappy » préférées à des prix abusés. Tu hésites à y retourner, du coup.

– tu ressens un vrai malaise quand tu vois des gens déguisés avec une perruque « disco » ou « Bob Marley »

– on te demande si tu te laves les cheveux

– tu as écumé les forums, blogs et chaînes Youtube en quête de conseils et de recettes pour chouchouter tes cheveux

– tu as déjà participé à un challenge lancé par un blog, pour optimiser la croissance de ta chevelure

– tu en as d’ailleurs ouvert un pour parler de ta transition des cheveux défrisés vers ta nature de cheveux « naturels »

– tu as participé à des après-midis de rencontre avec d’autres filles « nappy », pour échanger des bons plans ou tout simplement parler cheveux, vie, amour

– tu sais faire la différence entre hydrater et nourrir tes cheveux

– tu achètes de l’eau de source pour faire tes « vapos »

vaporisateur-hydratation-cheveux-boucles

– tu harcèles tes potes qui vivent/partent en Guinée, au Congo, à Madagascar, en Martinique, en Guadeloupe, à la Réunion, en Haïti, à la Barbade et partout où il y a de de l’huile de carapathe, de coco, de la sapote pure pour qu’elleux t’en ramènent dans leurs valises

– tu sais que tou.te.s les noir.e.s n’ont pas d’afro, car c’est un type de coiffure, pas les cheveux en soi

– l’attaché de foulard est devenu un art ; tu sors le plus souvent avec un carré de tissu parce que tu aimes ça !

attaché de foulard

– tu as des jours de « bad hair », où tes cheveux te déplaisent, parce qu’ils ne sont pas en forme, difficiles à coiffer ; parfois, tu sors avec un foulard pour cette raison

– entretenir tes cheveux est devenu si contraignant que tu veux les lisser, voire les défriser

– tu renoues avec les rajouts, perruques et tissages pour protéger tes cheveux du froid rude de l’hiver, qui dure plus de la moitié de l’année en France

– tu hésites à passer le cap d’avoir des locks

– tu ne corresponds toujours pas à l’idéal de beauté promulgué par la masse, des médias mainstream aux clips de rap français, africains ; bon nombre des femmes y ont le plus souvent les cheveux longs, lisses, parfois tissés ou complétés par des extensions

– tu déplores qu’il n’y ait que quelques exceptions à cette espèce de règle bizarre et implicite qui veut qu’une femme ne puisse pas être rayonnante avec le cheveu ras

tu es contente que Lupita Nyongo soit célébrée pour sa beauté, mais tu te dis que c’est encore trop peu pour que cela ait un vrai impact dans les mentalités du plus grand nombre

-tu as attendu Good Hair, le film de Chris Rock sorti en 2009, comme l’assoiffé.e attendait l’eau dans le désert

-que tu as été jusqu’aux Mureaux pour voir Moi et mon cheveu, le Cabaret capillaire d’Eva Doumbia

EDITO – Et si on explorait le corps noir ?

Depuis quelques années, on peut voir, entendre ou lire dans certains médias toutes sortes de choses sur le « phénomène nappy » en France. Depuis une dizaine d’années, on voit effectivement de plus en plus de femmes et d’hommes abandonner les pots de défrisant pour laisser leur cheveu revenir à leur état naturel. On a pu assister à des guéguerres entre les « nappex » (nappy extrémistes rejetant totalement les artifices capillaires) et les personnes continuant à modifier chimiquement la nature de leur cheveu ou à porter des mèches, des tissages et autres perruques, preuve du tiraillement entre une revendication militante pour certain.e.s et un simple souci esthétique pour d’autres. Au même moment blogueuses, vlogueuses et auto-entrepreneuses et artistes inspirées par du poil crânien made in France  émergent et continuent aujourd’hui, pour la plupart à occuper la scène française. 

L’Afro se plonge dans ces questions capillaires pour tenter d’y démêler le vrai du faux, entre légendes urbaines et réalités. Mais ne s’y limite pas.

On s’intéresse au corps noir au sens large, tête, visage, peau. Le corps noir est un corps chargé d’histoire dont il porte encore les stigmates en 2016. Tantôt fantasmé, décrié ou fièrement affiché,  le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est régulièrement l’objet de polémiques. Comme ce fut le cas en février dernier avec les lèvres de la mannequin Aamito Stacie Lagum.  Un corps dont on ne sait pas trop quoi faire, comme dans les magazines de beauté féminins, épinglé en couverture une fois dans l’année ou objet d’un hors-série. Un corps qui, de la tête au pied, peut coûter très cher, la femme noire étant celle qui dépense le plus au monde en terme de cosmétique.

Le corps noir, un sujet plus profond et complexe qu’une simple histoire de beauté donc. Un sujet riche que l’on traitera tout le long du mois de mars.

Bonne lecture !