Collectif Egalité, #Damonsplaining… : tout ce qu’on n’a pas pu aborder le 29 mars

DEBAT -Le 29 mars, vous aviez été nombreux.ses à venir discuter avec Shirley Souagnon, Annabelle Lengronne, Claire Diao et JP Zadi de la place des comédien.ne.s noir.e.s en France à la Manufacture 111. Et on avait seulement deux heures. Retrouvez ici ce dont on n’a pas pu discuter ce soir-là 🙂

Le collectif Égalité pointe du doigt le manque de diversité dans le cinéma français (février 2000)

Nous avons ouvert la discussion du 29 mars, qui réunissait Shirley Souagnon, Claire Diao, Annabelle Lengronne et JP Zadi en rappelant que la problématique de l’invisibilité des comédien.ne.s noir.e.s ne date pas d’aujourd’hui et que la presse française en a volontiers parlé concernant les États-Unis sans trop insister sur ce qu’il pouvait bien se passer ici.

Pour amorcer le débat, nous aurions voulu diffuser la vidéo dans laquelle le collectif Egalité, avec Calixthe Beyala et Luc Saint-Eloy comme fers de lance, s’invitent au 25ème anniversaire des César.

On vous en avait parlé ici, quand nous nous étions penchées sur la polémique autour de l’absence d’animat.eur.rice.s noir.e.s.au lancement de la chaîne BET France en novembre 2015.

On aurait voulu revenir dessus avec vous qui étiez là lors de notre rencontre du 29 mars.

Qui se souvient de ce moment historique ? Pourquoi toujours cette difficulté, peu importe le domaine, à transmettre et à rendre des initiatives pérennes ? Qu’est-ce qui a été entrepris depuis par les institutions ?

Matt Damon explique ce qu’est la diversité à la productrice Effie Brown (septembre 2015)

On aurait souhaité pouvoir aborder une polémique qui a fait grand bruit aux États-Unis.

En septembre 2015, une affaire a fait grand bruit aux Etats-Unis. Cela se passe sur la chaîne HBO, dans le cadre de l’émission « Project Greenlight », une série documentaire dans laquelle Matt Damon et son acolyte Ben Affleck permettent à un.e. réalisat.eur.rice de  faire son premier film en mettant à disposition toute une équipe de tournage. Dans l’équipe, Effie Brown, productrice de film, noire, qui a notamment travaillé sur le film Dear White people.

La jeune femme, seule invitée « issue d’une minorité », soulève la question des rôles stéréotypés et du manque de diversité dans le projet.

Ce à quoi Matt Damon répond que la diversité se fait au sein du casting et non au sein de l’équipe de production du film. La polémique a été cristallisée sur Twitter par le hashtag #DAMONSPLAINING pour ne pas dire « whitesplaining », ce moment où une personne blanche explique ce qu’est le racisme par exemple à une personne qui est noire, asiatique ou autre. On notera que le programme était diffusé le dimanche soir à une heure de grande écoute.

Par la suite, la productrice Effie Brown affirme qu’on l’a incité à se taire, sous prétexte qu’elle ne pouvait pas « s’attaquer à un chouchou d’Hollywood ».

Cette affaire soulève pas mal d’interrogations. De quelle marge de manœuvre dispose-t-on face à de grands noms qui ne se préoccupent pas des questions de diversité et de clichés ? Une personne noire qui travaille au sein de cette industrie est-elle l’éternelle « token » (caution) ? Comment faire changer les mentalités dans ce domaine majoritairement blanc ?

Un début de réponse quant à la façon d’améliorer les choses ?

Effie Brown estime que pour que les choses évoluent dans ce milieu, et éviter de « faire le jeu du système que l’on dit vouloir changer »,  il faut faire 3 choses : recruter, encadrer et investir. Qui serait apte à le faire ? Où trouver les fonds ?

4 réflexions au sujet de « Collectif Egalité, #Damonsplaining… : tout ce qu’on n’a pas pu aborder le 29 mars »

  1. Je ne peux pas soulever de point, j’étais pas là xD. Mais je me permets de donner mon point de vue sur le damonsplaining qui est exactement le problème du cinéma français sauf qu’on peut dénoncer le damonsplaining mais en France, on dira rien parce que nous sommes colorblind à Bisounoursland. J’avais fait un long commentaire, mais je vais vous épargner xD Je dirai juste que mon impression est que la différence par rapport aux Etats-Unis vient d’abord de l’histoire politique. Le mouvement des droits civiques dans les années 1960 a catalysé cette énergie de changer la société dans son ENSEMBLE. Et même s’il y a encore les réactionnaires nostalgiques de la bonne vieille époque, quelqu’un à la TV US qui te dit en toute souplesse le mot nègre dans un contexte clairement raciste, il se fait au moins reprendre voire virer. En France, en 2016, on va chercher à te justifier pourquoi il n’y a pas de racisme dans le terme employé. En 2016.

    Bref, j’ai dit que je ferai court, pour moi aussi, ce qu’il manque c’est une continuité dans le mouvement de création pour que chaque contribution ait un impact plus important que la précédente et qu’il y ait une transmission d’une époque à l’autre. Lucien Jean-Baptiste l’a dit de façon diplomate dans son itw au JT de France 2 pour la promo de Dieumerci et Christian Lara est un peu plus musclé dans la formulation dans ses interviews, mais l’idée est la même : les créateurs doivent créer continuellement pour se former, s’améliorer et imposer leurs histoires. Mais quelles histoires ? Quelles représentations ? Est-ce qu’on peut changer le paradigme qu’avec des oeuvres qui font rire pour faire passer la pilule avec les clichés attendus ? C’est ce que le cinéma français fait depuis les années 90, est-ce que ça a changé quelque chose ? A quel moment le compromis est contre-productif pour faire avancer les choses ? Je veux bien croire à la bonne foi du CM du Twitter de France Ô et j’apprécie toujours de regarder « Juliette et Romuald », mais en faire la promo en 2016 comme « une belle histoire d’amour qui fait valser les clichés… » * insert are you serious gif? *

    Quand « Agathe Cléry » est sorti en 2007, on a fait la comparaison avec « Watermelon Man » de Melvin van Peebles sorti en 1970 pour dire que c’était la même chose. * insert gif « show me the receipts » *. Le fait même que Peebles a pris un acteur noir change toute la direction du débat et puis surtout la fin n’est pas la même, et puis le fait d’être un homme noir n’est pas pareil qu’être une femme noire. Bon, tout ça pour dire qu’il y a un fossé entre la démarche US déjà dans les années 1970 et ce que le cinéma français te propose encore dans les années 2000. C’est peut-être moi qui ai loupé l’info, mais les médias ont-ils parlé de la troublante coïncidence entre le film « le Grand partage » et les protestations dans le 16ème contre l’installation d’un centre S.D.F ? Je sais qu’on peut rire de tout, mais bon… Autre exemple, le fossé entre le développement puis le déclin du hood movie aux US et le film de banlieue en France. Au-delà des différences liées strictement à l’histoire propre à chaque pays, la première différence entre les deux genres est par rapport aux créateurs. Aux US, ce sont les créateurs de l’intérieur qui ont pris la caméra. En France, ce sont les créateurs de l’extérieur. Qu’on écrive un livre ou qu’on réalise un film, on ne peut pas faire abstraction de sa propre expérience. Vive le pouvoir de l’imagination, mais à un moment, quand on est issu de la culture mainstream, il faut savoir se dire « non, je ne peux pas raconter cette histoire parce qu’il y a des dimensions qui m’échappent » et, si on veut pousser la démarche jusqu’au bout, on se fait un vrai allié et on soutient la personne qui a la vision nécessaire pour raconter l’histoire.

    Et vous posez la bonne question : qui va investir ? Soit les concernés qui décident de prendre des risques pour donner leur chance aux talents émergents et là, on revient à la question de la prise de risque, la possibilité de flinguer sa propre carrière, sans compter que ça rentre dans le schéma de transmission (il est important de se penser comme faisant partie d’un mouvement et pas comme une force isolée). Soit une grosse société de production comme Europacorp (d’autant plus que Luc Besson a toujours imaginé le cinéma aussi bien comme un art que comme un business) qui investit pour développer des films de fond. Soit, et là c’est la grosse utopie, le système lui-même qui arrête de voir les films avec plus de deux non-blancs comme « communautariste » et qui finance la diversité d’histoires à raconter. OU les 3 cas de figures en même temps.

    Après, en tant que créateurtrice noir.e français.e, je suppose que c’est difficile de penser clairement en terme de « mon art fait-il avancer la Cause ? ». C’est rassurant de se dire « mais mon cinéma à moi n’est pas racisé, n’est pas politisé », mais j’ai du mal à croire qu’il/elle ne se pose pas la question à un moment donné. Il est vrai que tout le monde n’a pas vocation à militer, tout le monde a des factures à payer pour faire vivre sa famille, alors choisir de raconter des histoires sans chercher à arrondir les angles est difficile, surtout quand le système te dit qu’il n’y a pas de problème et que tu devrais t’estimer heureux de ce qu’il te donne, mais bon… Je pense qu’il y a toujours des frémissements ici et là à période régulière. Mais j’ai l’impression qu’on loupe toujours le bon timing pour que la vague prenne vraiment. C’est le cercle vicieux: il faut les oeuvres pour encourager l’investissement, il faut l’investissement pour créer les oeuvres. Mais peut-être que c’est maintenant que nous sommes en train de vivre le vrai changement ?
    mon commentaire est long finalement, merci de votre attention. ^^ »
    * rend le micro *

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    1. Bonjour 1sunnylady,

      Avant tout chose, nous tenons à vous remercier car nous savons que vous êtes une fidèle lectrice, (le mot est faible !)

      Pour vous répondre rapidement, effectivement, l’histoire politique joue un rôle. Un mouvement social et politique est bien visible dans le cinéma comme on a pu le voir aux Etats-Unis en 1970 par exemple et les films Blaxploitation très populaire dans les années 70 alors que les Black Panthers et d’autres mouvements veulent donner leur place aux Noirs américains et leur permettent d’exprimer leur fierté et de dire au grand jour qu’iels sont « beautiful ».

      En France, certains points de l’histoire restent tabou. Peu importe le domaine, cinéma ou autre, on a tendance à faire 1 pas en avant et 2 pas en arrière, d’où l’évocation du problème de transmission. Vous abordez plusieurs points intéressants notamment la question de qui réalise quoi, le fait que cela se fasse plutôt par des personnes de « l’intérieur » aux Etats-Unis et de l’extérieur en France. Sauf qu’il existe des créateurs.rices qui écrivent, produisent, réalisent mais qui ne sont pas forcément mis en avant auprès du grand public. Ils peuvent rencontrer des problèmes de distribution quand ce ne sont pas des difficultés à se faire financer ou les deux.

      Il est certain que l’évolution dans le temps de l’industrie cinématographique aux Etats-Unis quant à la place des comédien.ne.s noir.e.s et même en termes de réalisateur.rices et producteur.rices est différente par rapport à celle en France, cette dernière ayant encore beaucoup de chemin à faire, bien que des problèmes persistent aux Etats-Unis. On pense notamment au blackface de Zoe Saldana pour interpréter le rôle de Nina Simone alors que les actrices noires qui auraient pu l’incarner ne manquent pas. Et c’est en 2016 également.

      La question du positionnement de ces mêmes créateurs.rices est une question importante également. « Est-ce que je crée juste ce que j’ai envie sans me poser de questions ou est-ce que mon oeuvre s’inscrit dans quelque chose de plus global étant conscient.e que cela peut transmettre un certain message? » Elle a été abordée lors de notre rencontre et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est assez complexe. Dans quelques temps, nous mettrons la vidéo de la discussion en ligne. On espère vous lire encore bientôt.

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      1. Quand je parlais de créateur de l’intérieur vs. créateur de l’extérieur, je n’ai pas précisé mais je faisais bien référence aux créateurs de l’intérieur qui ont un succès populaire avec un impact culturel alors qu’à la base, ils n’étaient pas médiatisés ni n’avaient de gros moyens pour financer leurs films et même le thème du film n’était pas consensuel. Ma remarque n’était pas sur le fait qu’il n’y avait pas l’énergie créatrice nécessaire en France. Je suis bien consciente qu’elle est là et que le système la bloque. C’est pour ça que je parlais de bon timing. Le bon timing pour que cette énergie créatrice trouve la brèche pour passer outre le système.

        Dans la première version de mon premier commentaire (XD) je voulais évoqué le succès de « Coco Lafleur » qui est resté un an à l’affiche en 1970. C’est à ce type de succès populaire que je fais référence. Le type de film créé par un concerné qui sort au bon moment avec le bon sujet et qui crée l’engouement auprès du public qui se dit « je ne peux pas le louper, je vais payer une place de cinéma ». Je ne crois pas qu’il avait une grande distribution ni qu’il n’a été très médiatisé. Il a plus fonctionné par le bouche-à-oreille. Alors si c’était possible dans les années 70, aujourd’hui avec les réseaux sociaux, qu’est-ce qui pousserait le public à se déplacer en masse ?

        Vivement la vidéo alors !

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      2. Nous disions donc, au sujet des créatifs non mainstream, la même chose. Après, combien de films dans l’année connaissent un énorme succès simplement par le biais du bouche-à-oreille ? Cela reste rare. On verra bien ce que le reste de 2016 nous réserve … Quoiqu’il en soit, merci de vos commentaires si complets 😉 !

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