QUESTIONNAIRE – Le réalisateur Harold Varango, l’homme qui se cache derrière la websérie Persuasif produite par Arte Creative, partage aujourd’hui ses humeurs musicales.
On avait rencontré en avril dernier le créateur et réalisateur de la rafraîchissante websérie Persuasif, produite par Arte Creative. Harold Varango est également un ancien producteur de musique. C’est donc tout naturellement que nous lui avons proposé de répondre à notre questionnaire musical. Exercice auquel il s’est prêté avec plaisir.
Le son du moment
« Joy in repetition » de Prince
Comme beaucoup, j’imagine, je me suis écouté des morceaux de Prince après sa mort. À ce petit jeu, je suis tombé sur YouTube sur un live vraiment intense de ce morceau. Du coup, je suis allé me procurer la version studio sur iTunes. C’est pas la même saveur, mais ça reste quelque chose.
Le morceau qui le motive
« Mama said knock you out » de LL Cool J
Le truc marrant, avec ce morceau, c’est que contrairement à ce qu’on pourrait penser, il avait plutôt tendance à vider les pistes, en son temps. Il est en effet arrivé à un moment où un morceau de rap dansant n’était plus forcément rapide. Mais dans nos chambres et dans nos voitures, on est un certain nombre à avoir eu l’air de possédés en écoutant ce morceau, qui dégage tout de même un truc fou. LL Cool J avait fait un peu n’importe quoi avec son album précédent, Walking with a panther, sorti juste un an avant. Il fallait qu’il rattrape le coup en vitesse. Cette urgence a donné un classique.
Le son pour accompagner un coup de blues
Faut-il vraiment accompagner un coup de blues ? Ne faut-il pas plutôt en trouver l’antidote ? Personnellement, je prescris ce truc. Woody Allen a dit que quand il entendait Wagner, il avait envie d’envahir la Pologne. Avec ce morceau-là, la Pologne ne te suffit plus. Personnellement, il ne m’inspire que des chevauchées sauvages. C’est strictement musical, parce que côté lyrics, le morceau est très « politico-conscient », en fait.
Le son qui le détend
« Overture of Foxy Brown » de Willie Hutch
Toujours pas vu le film. En revanche, le thème de la bande originale et ce morceau… Il est préférable de se détendre vite : le morceau dure moins d’une minute.
Le son qui le réveille
« The Unassisted » (The X-ecutioners remix) de Rasco
C’est ce remix ou rien. Le morceau de départ est vachement bon et a même été un « hit underground » d’un certain hip-hop californien, mais cette version dégage tout à fait autre chose.
Le son qu’il écoute tous les jours ou presque
« Symphony » (undubbed version) de Marvin Gaye
Le classement iTunes est catégorique : c’est le morceau que j’ai le plus écouté. 872 fois. Marvin Gaye, j’aime beaucoup. Je ne suis jamais très chaud pour hiérarchiser certaines choses, mais si je me creusais le crâne, c’est peut-être lui que je désignerais comme ma star préférée dans la musique. Je dis bien « ma STAR ». Il y a des artistes – comme à tout hasard Curtis Mayfield – que je considère supérieurs en musique pure. Mais Gaye m’est sympathique. Vraiment. Dans sa version barbue, le mec me rappelle mes oncles dans les seventies et les eighties. Le tonton qui débarque sans prévenir, fringues flamboyantes et œil rieur. Et puis il y a cette juxtaposition permanente chez lui, sauf dans le très sérieux album What’s going on, du très profane (euphémisme) et du très sacré. Quand tu viens d’Afrique noire, cette juxtaposition te parle. Je serais même tenté de dire que tu ne peux pas vraiment saisir l’Afrique noire si tu ne piges pas la possibilité de cette cohabitation.
Le son qui l’a eu à l’usure
Plein de morceaux de rap français des nineties; je sèche un peu, ici, d’où la réponse un peu vague. Mais quand je constate la pauvreté technique d’une partie des personnes qui règnent aujourd’hui sur ce qu’on appelle, de façon très discutable, le rap français, je me rends compte qu’il y a a eu un moment, disons la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, où le niveau minimal pour oser s’approcher du micro était bien plus élevé que celui que des majors laissent passer aujourd’hui.
Le son anthem
« Fuck Martinez » de 2 Live Crew
C’est mécanique, en lisant « anthem », j’ai d’abord pensé à deux morceaux dont le titre comprend ce mot : « Uptown Anthem » de Naughty By Nature et « Player’s Anthem » de Junior M.A.F.I.A. (avec sa fine gestuelle). Mais à bien y réfléchir, j’ai vu le morceau de 2 Live Crew vraiment fédérer des personnes très proches de moi. Essentiellement pour le défoulement, il faut bien l’admettre, même s’il y a une très sérieuse histoire de liberté d’expression derrière. A l’arrivée, la femme du Martinez en question – qui existait réellement – s’en prend plein la gueule dans le morceau. Plein la gueule, entre autres…
Le son qui l’émoustille
« I need your lovin » d’Alyson Williams
Si je prends « émoustiller » dans le bon sens – le mot en a plusieurs -, c’est un des trucs que je vois en premier. L’album Raw de Williams est un recueil de « slows dynamiques », pour reprendre l’expression d’un de mes cousins. Un ami l’avait et il avait dû être autant prêté dans le quartier qu’un LP de Public Enemy, ce qui n’était pas rien au début des années 90. Les mecs sautaient leurs nanas sur l’album après avoir enclenché la lecture en boucle et déprogrammé les deux ou trois morceaux un peu dansants !
Le son qu’il a honte d’aimer
« Oum le dauphin » de Michel Legrand
J’ai plus de 40 ans, donc ça devient compliqué pour moi d’avoir honte d’aimer quelque chose. En principe, plus tu vieillis, plus tu assumes. En principe… Ceci dit, quand le mec d’UPS vient sonner à ta porte et que tout en découvrant ta barbe grisonnante, il entend super fort une musique de dessin animé pour tout-petits, il y a un moment de flottement. Mais voilà, on te parle de Michel Legrand (je crois que c’est vraiment lui qui chante) et de ce son assez funky d’une certaine variété française des années 70.
Le son qui le fait rire
Papaye ! T’es là dans une soirée kinf super guindée, le DJ met ça et tout d’un coup, tu vois tes sœurs, tes cousines, tes tantes qui se tiennent les tchoutches pendant près de 6minutes ! À relier avec ce que je disais plus haut sur Marvin Gaye. Le clip vaut le détour, au fait. Enfin, surtout pour les hommes.
Le son auquel il ne faut pas toucher
« Autumn Leaves » d’Erroll Garner
J’ai écrit un jour à un ami que ce morceau était la preuve que Dieu existait. À en croire iTunes, c’est le deuxième morceau que j’écoute le plus après « Symphony » de Marvin Gaye. Le mec va tellement loin que la plupart des personnes qui écoutent ne reconnaissent pas « Les Feuilles mortes ».
Le son qu’il a dans la tête, là, tout de suite
« Les Feuilles mortes » d’Yves Montand
Bah oui : je me la suis mise en répondant à la question d’avant ! Je me suis aperçu sur le tard qu’il y avait plusieurs versions studio de ce morceau. J’en écoute une où l’intro se fait au piano et non à l’accordéon.
Le son qu’il a saigné et qu’il ne supporte plus
J’en saigne un paquet, mais je ne suis jamais vraiment gavé. Notamment parce que j’ai toujours tendance à m’imaginer quel genre de scène pourrait aller avec tel ou tel morceau. Ça aide à supporter la répétition !
Le son qui l’énerve / l’agresse
L’idée de greffer un ensemble de cordes à du rap dur était intéressante, et je ne peux pas dire que je déteste le morceau, qui peut vraiment donner la pêche. Mais l’ami James gueule du début à la fin, et j’ai toujours pensé que le morceau n’en avait pas besoin.
Le son qui l’émeut
« Django » du Modern Jazz Quartet
Un exemple parmi des dizaines d’autres possibles, tant j’ai tendance à choisir les morceaux que j’écoute en fonction de leur capacité à émouvoir – au sens franchement lacrymogène du terme. Une des très nombreuses pépites que j’ai découvertes en cherchant d’où venait le sample d’un morceau de rap. En l’occurrence, « You can’t stop the Prophet » de Jeru the Damaja. Maxi mythique avec deux producteurs de légende : Pete Rock pour ce remix à la batterie très capricieuse et DJ Premier pour l’original, très différent mais tout aussi efficace.
Le son qui l’ambiance
« Celebration » de Kool & the Gang
Pendant une partie des nineties, avec deux amis, on mixait dans des soirées très diverses et très variées. Quand la piste se vidait et que l’assistance était composée de gens aux délires clairement différents, on avait en joker une petite poignée de morceaux dont on savait qu’ils pouvaient mettre tout le monde d’accord. Celui-ci en faisait partie. Je crois qu’il reste très efficace aujourd’hui encore dans ce genre de situation. « We got the funk » de Positive Force faisait toujours son effet, aussi.