TROMBINOSCOPE – Parce qu’on n’en peut plus d’entendre que les comédien.ne.s noir.e.s en France sont invisibles, qu’on n’en connaît peu, que si, que là… on a décidé d’en présenter un, brièvement, tous les jours. Aujourd’hui : Edouard Montoute.
Invisibles, les comédien.ne.s afrofrançais.e.s ? Pendant que nous nous demandons si nous sommes capables d’en citer plus de cinq, ces artistes s’affairent sur les plateaux de cinéma, les planches.
Loin de nier la ligne de couleur qui règne au théâtre, au cinéma, à la télévision et malgré des améliorations, nous voulons les mettre en valeur, à la suite d’autres, justement parce qu’il peut être difficile de savoir où et quand illes jouent.
Vous trouverez ici chaque semaine le nom et la photo d’un.e comédien.ne noir.e, sa date de naissance, son premier film, les films marquants dans lesquels ille a joué, son dernier rôle. Aujourd’hui : Edouard Montoute.
Edouard Montoute est né en 1970.
Il débute sa carrière sur les planches en 1989 où il jouera notamment dans une adaptation du roman Le procès de Franz Kafka. Edouard Montoute joue également dans des pièces mises en scène par Hervé Durringer comme Polaroid (1995) et Surfeurs (1998). En 2015, on pouvait le voir dans la pièce Pour 100 briques, t’as plus rien maintenant ! d’Arthur Jugnot
Sa première apparition sur grand écran remonte à 1990, dans le film Jean Galmot, aventurier. On le retrouve notamment dans Paris s’éveilled’Olivier Assayas, dans La hainede Mathieu Kassovitz avec Hubert Kounde où il interprète le rôle de Darty (1994), dans la sérieTaxi de Luc Besson (1997, 2000, 2002 ,2007, où il incarne Alain, Antilles sur seine de Pascal Légitimus (2000) ou encore dans Les petits mouchoirs de Guillaume Canet (2010). Edouard Montoute joue également souvent pour et avec le comédien et réalisateur Lucien Jean-Baptiste, que ce soit dans La première étoile (2009), 30 degrés couleur (2011) et plus récemment Dieumerci (2016).
Côté télévision, le comédien apparaît dans plusieurs séries dont Navarro (1991, 1994), Police des polices (1994), Léa Parker (1997) et tient un des rôles principaux du duo Alice et Charlie (2006) et du quatuor dans Des soucis et des hommes (2011,2012).
Il rejoindra le cast de Cut pour la saison 4 qui sera diffusée sur France Ô dès le 7 novembre 2016.
CLIP OU FILM ? Drake craque pour Fanny Neguesha dans le film sorti sans prévenir qu’on lui a concocté autour de son dernier album, Views. L’occasion de refaire le point sur la carrière de la jeune femme, qui tente de creuser son sillon dans la musique.
L’image n’a jamais été aussi importante pour promouvoir la musique. Et les artistes des années 2000 célébrés par la pop culture l’ont bien compris. Drake a surpris son monde en sortant Please forgive me, un film tiré de Views tourné en Namibie et accueillant notamment au casting Popcaan, Kyla Reid ou encore Fanny Neguesha. Qui a le premier rôle.
La placer sur la carte des filles qui comptent
Est-ce si étonnant que la jeune femme de 26 ans dont la relation médiatisée avec Mario Balotelli l’a fait connaître du grand public, se retrouve dans ce film ? Après avoir décidé de capitaliser sur sa popularité entretenue savamment sur Instagram où plus de 690 000 comptes suivent le sien, Fanny Neguesha a notamment fait quelques apparitions télévisuelles dans une télé-réalité italienne et sur Trace.
Elle s’est récemment lancée dans une carrière de chanteuse avec des titres telsNumber One, ou encore Evasion pour laquelle elle a signé sur Def Jam, qui ont été pas mal vus mais ont pas mal divisé. Le profil de chanteuse de Fanny Neguesha est clivant, car beaucoup d’auditeur.ice.s saluent son physique avantageux mais jugent qu’elle n’a pas encore gagné sa légitimité d’artiste. La maison, qui accueille en France les rappeurs Lacrim, SCH, Kaaris entre autres, est le label US de The Weeknd, de Big Sean ou Common ou du Drake du temps de Take Care ou de If You reading this, it’s too late.
Drake garde des liens avec la maison qui a vu passer Jay Z, Rihanna ou encore Ludacris, puisqu’il y a notamment signé Alessia Cara. Est-ce une manière de dire qu’il va donner un coup de pouce à la carrière naissante de Fanny Neguesha, à l’image de Kyla Reid, également dans le court-métrage ?
L’exemple de Kyla Reid
Cette dernière collabore avec Drake au niveau musical, notamment sur l’un des titres les plus écoutés de l’année 2016, soit One Dance. C’est sa voix qu’on entend effectivement dans le titre, samplé du sien Do You Mind, sorti en 2008.
Si le titre avait connu son petit succès, la présence de Drake et de Wizkid l’ont propulsé sur le devant de la scène musicale mainstream. Pas sûr que le but ultime de Fanny Neguesha soit de percer dans la musique uniquement, puisqu’elle plancherait en plus sur un « projet beauté ». Mais cette collaboration risque d’en susciter d’autres. Pour comprendre pourquoi, outre le fait que Drake soit devenu l’alpha et l’oméga des tubes de l’été, du printemps de l’automne et de l’hiver, il faut regarder le film dans son ensemble. On attend de voir si vous avez été aussi surpris.e que le mode de sortie de la vidéo.
Celleux qui l’ont vu semblent conquis.e.s pour le moment.
Avec ce film, Drake marche dans les brisées de Kanye West qui a initié ce mouvement avec Runaway , près de 34 minutes rythmées par la musique de l’album qu’il sortait alors.
Plus récemment, il a permis à Teyana Taylor de pleinement se révéler en lui donnant le rôle principal de son clip Fade, dans un clip qui a fait événement. Tout comme Please Forgive Me ? Les paris restent plus qu’ouverts… Qu’on se le dise : la vidéo surprise qui dure 30 minutes a encore de beaux jours devant elle pour faire parler d’un projet musical.
crédits : Franck Demouzon / Marie-France Malonga, l’une des premières sociologues à s’occuper de la question de la représentation des minorités dans les médias.
MEDIAS – Marie-France Malonga est une sociologue qui s’occupe, entre autres, de la question des « minorités » dans les médias. Nous publions l’interview, qui résulte d’un long entretien qu’elle nous avait accordé en décembre dernier. À l’heure où le mercato des médias a déjà eu lieu et que la question de la variété des visages à la télé occupe les débats mais progresse très doucement, voici l’échange fleuve.
Comment avez-vous collaboré avec le CSA ?
Je les ai sollicité, suite à un article paru dans la presse dans lequel j’avais appris la naissance du collectif Egalité. Je travaillais depuis quelques mois sur la question des minorités dans les médias, j’avais amorcé un travail de recherche sur la question, réalisé un mémoire. Il y avait eu une étude réalisée par le CIEMI, trouvée dans les archives poussiéreuses, je m’étais vraiment intéressée au sujet et j’ai voulu l’actualiser. J’ai donc sollicité le CSA, en pensant qu’il y avait déjà une armada de chercheurs sur la question. J’espérais tout au plus un stage. À ma grande surprise, Hervé Bourges m’a accueilli et confié l’étude. Voyant l’attente autour du débat, déçue de la suite donnée à ce travail, car j’avais proposé de me focaliser sur un aspect à la fois quantitatif -compter le nombre de personnes apparaissant à l’écran, faire des statistiques- et qualitatif, -voir comment ils apparaissaient à l’écran, si c’était dans des rôles de premier plan, s’il y avait des stéréotypes,- mais cela n’a pas été possible faute de moyens et de temps.
J’ai donc décidé de faire ma thèse sur le sujet. Pour avoir interrogé les téléspectateurs qui appartiennent à ces minorités, le double aspect quantitatif-qualitatif est important. Le quantitatif, c’est la présence, la visibilité : c’est très important de voir des gens qui nous ressemblent. On peut évidemment s’identifier à tout le monde, un homme peut s’identifier à une femme du fait de son histoire, de son expérience, mais il y a un moment où on arrive plus facilement à s’identifier quand on voit à l’écran quelqu’un qui partage nos expériences, notre culture. Et de ce côté, il y a un déficit important depuis des années, un impensé sur le sujet.
Avant dans les entreprises de médias, il était courant de demander aux journalistes aux noms à consonance étrangère qu’ils en changent !
Quelles sont les spécificités de l’emploi des femmes noires à la télé ?
En général, les femmes ont toujours plus de difficultés à avoir des positions dominantes, à présenter des émissions toutes seules. C’est le problème numéro 1. La question de l’apparence, de l’identité supposée sont des facteurs supplémentaires. Les femmes appartenant aux minorités dites visibles vont de fait avoir plus de mal à intégrer la sphère médiatique, en particulier télévisuelle. Elles cumulent les « handicaps » et souffrent potentiellement plus de ce fait que les autres. Les femmes existent souvent en position d’objets de séduction, de faire-valoir. Prenons le cas des présentatrices météo. Katia Barillot a officié dans ces types de programmes, eu des fonctions de journaliste, mais a toujours eu un peu de mal à faire sa place. Audrey Chauveau a plutôt présenté des émissions de divertissement, qu’elle présente rarement seule ; elle va souvent être secondée, par des animateurs hommes. Autre exemple : Vanessa Dolmen a fait une carrière d’animatrice avec des grosses émissions de divertissement comme Intervilles et a été reléguée ensuite à des émissions mineures : le placard, tout le monde connaît, peu importe la couleur. Mais, comme il y a peu de professionnelles des médias, issues de minorités dans des rôles dominants, lorsqu’elles sont mises au placard, on ne retient malheureusement que cela.
Y a -t-il des différences entre les hommes et les femmes noir.e.s ?
Les femmes à la télé sont des objets de désir. Des études ont pu montrer que les gens qui ont un physique agréable sont plus aimés ; à la télé, on joue beaucoup de ça. Les femmes que l’on voit à l’écran ont donc souvent un physique agréable. Les hommes peuvent être moches mais pas les femmes. Elles vivent les mêmes discriminations que les autres femmes, à ceci près qu’à un moment donné la question de la couleur va se poser.
Diriez-vous que la télévision est raciste ?
Je dirais déjà que la société française est raciste, donc par reflets, la télévision, qui est un organe de pouvoir et une institution est raciste ! Mais on ne peut pas schématiser, car, si, en tant qu’institution, la télévision produit des processus de discrimination, dans ses règles de recrutement, de fonctionnement, tou.te.s les professionnel.le.s, responsables, qui y travaillent ne sont pas racistes. Souvent, les comportements racistes ne sont pas sciemment pensés. Avant, la volonté d’exclure sciemment les personnes non blanches dans un processus de recrutement, c’était la norme ; il a longtemps été inenvisageable de voir une personne noire présenter le JT. On a dépassé cela car on a eu plus d’une décennie de débats, des phénomènes d’évolution ont eu lieu qu’on ne doit pas négliger. Il y a eu un avant et un après 2000, notamment grâce au CSA, aux signatures de chartes de la diversité. Le combat pour que les choses continuent d’avancer désormais, c’est sur l’aspect qualitatif sans toutefois se relâcher sur l’aspect quantitatif.
À l’école de journalisme, lors d’exercices face caméra, on avait demandé à un ami journaliste noir d’accorder ses vêtements aux couleurs des décors de RFO !
Suite à la conférence de presse pour annoncer l’étude du CSA, en juin 1999, LCI a embauché Christine Kelly, la première journaliste noire à présenter un journal. Plus généralement, les médias ont recontacté des journalistes, mis en place des animateur.ice.s. Les journalistes avaient du mal à faire leur place, à arriver à l’antenne à l’époque. France 2, par exemple, a fait travailler Nabila Tabouri. Rachid Arhab était le seul « visible », de plus il avait tenu à garder son nom. Car avant dans les entreprises de médias, il était dans les usages de demander aux journalistes notamment de changer leur nom ! Maintenant, ça fait bien aussi pour les chaînes d’afficher qu’ils font des efforts en faveur de la représentation des non-blanc.he.s, mais tout est loin d’être réglé.
J’avais interviewé la responsable de l’IUT de Tours, Edith Rémond, qui sensibilisait tou.te.s les étudiant.e.s à ces problématiques. Elle m’avait expliqué la difficulté de trouver des places à ses étudiant.e.s non-blanc.he.s dans les rédactions pour l’été. C’était un non-dit. Cette pratique est tombée aux oubliettes à partir du débat, qui n’est pas né des diffuseurs, ni des responsables de programmes, mais des mouvements minoritaires, tels le Collectif Egalité, le Club Averroès, créé dès 1997 par Amirouche Laidi, un ancien journaliste.
Il était moins visible dans les médias, présent sur le terrain ; tous les deux mois, j’allais, en tant qu’observatrice à un dîner conviant des journalistes non blanc.he.s et/ou avec des noms à consonance non française et une personnalité influente des médias ou du champ politique. Suite à cela, les journalistes, venu.e.s avec leurs CV, le distribuaient.
C’est notamment grâce à cela que les entreprises de médias ont connu bon nombre de professionnel.le.s non-blanc.he.s ; c’est lors de ces dîners qu’Harry Roselmack a été repéré. Le club Averroès a été très important car cela montrait aux responsables de chaînes et qui disaient le contraire – j’aimerais prendre des professionnel.le.s « issues des minorités », mais y’en a pas- que les journalistes non blanc.he.s existaient. Cette idée reste ancrée notamment chez les scénaristes.
Faut-il que les médias soient plus divers devant et derrière l’écran, ou qu’il y ait plus de médias faits par et pour les non-blanc.he.s ?
Qu’on soit une chaîne privée ou publique, on a une responsabilité sociale. Les diffuseurs participent à influencer les gens, comme d’autres vecteurs, tels l’école, notre entourage et autres ; cela fait partie de leur déontologie. Il est donc important d’accepter que notre société est mélangée et qu’il faut donc la représenter. C’est en cours, même s’il y a des hauts et des bas. Il y a de la place pour des médias spécifiques pour un public spécifique avec des attentes spécifiques, donc des médias pour les personnes « en minorité ». Il faut les deux selon moi, alors qu’on les oppose. Le marketing existe, mais certain.e.s en sont exclu.e.s. Certaines chaînes privées par exemple sont là pour respecter un certain nombre de conventions mais aussi pour faire du business, ce qui peut leur être difficilement reprochable. Concernant Afrostream, qu’on m’a présenté en avant-première, c’est super car il y a beaucoup de contenus, -des blockbusters- afro-américains, même si c’est un service de VOD donc avec une audience confidentielle ; tous les biais sont bons.
Notez-vous une différence entre l’audiovisuel et la presse écrite ?
Il y a des personnes issues des minorités qui travaillent dans la presse écrite mais elles sont peu nombreux.ses. Et c’est un problème. Il y a notamment le journaliste Mustapha Kessous, au service société qui avait fait un article du Monde, datant de 2009, qui avait fait grand bruit et qui expliquait subir des discriminations, non pas de son milieu, mais de la part du public, quand il arrivait sur le terrain. Il y a des initiatives, des recrutements, mais le syndrome du stagiaire y est répandu ; les contrats y sont rarement pérennes et/ou non précaires. On a tendance à parquer les minorités dans des médias ethniques. Un ami journaliste sur TV5 Monde avait fait sa formation de journalisme dans les années 90. Quand il était à l’école de journalisme, alors qu’il s’exerçait à passer devant la caméra, on lui avait dit d’accorder ses vêtements aux couleurs du plateau de RFO, comme s’il allait nécessairement y travailler !
Quand on doit son poste à une lutte menée par des militant.e.s, ça ne coûte rien de le dire
Est-il possible d’être non-blanc.he et et ouvertement militant.e à la télé ?
Exister différemment de cette représentation stéréotypée dont je viens de parler est compliqué. Il y a cette peur d’être stigmatisé.e, d’être catalogué.e, du coup, on ne parle pas. Un professionnel issu des minorités se retrouve souvent face à un dilemme :être neutre ou mettre en avant son combat. Et puis, comme pour les comédien.ne.s, ce sont parfois les membres de sa communauté qui lui demandent d’endosser ce rôle et iel n’en a pas forcément envie. On reproche souvent aux comédien.ne.s de choisir des rôles stéréotypés. C’est difficile d’en vouloir à quelqu’un qui veut travailler ; personne n’a à imposer des modes d’action. On a chacun ses responsabilités en tant que citoyen, en tant que minorité. On ne peut pas demander à tout le monde d’être militant, chacun fait ce qu’il veut !
Il y a autre chose que je trouve plus problématique : beaucoup de professionnel.le.s ont obtenu leurs places suite à des combats menés par d’autres qui ne veulent pas le dire. Ca ne coûte rien d’évoquer cette réalité, de parler ouvertement de cette difficulté que rencontrent les journalistes formé.e.s et non-blanc.he.s à rentrer dans les rédactions.
Quid de Rokhaya Diallo, connue pour ses prises de position ?
Cela dépend de la personnalité. Rokhaya Diallo n’a demandé à personne pour rentrer dans le débat public ; elle s’est emparée de la parole, en sujet libre. La différence fondamentale aussi, c’est qu’au départ, elle n’était pas à proprement parler une professionnelle des médias, mais une activiste qui a eu une visibilité dans les médias et les a utilisé pour faire passer ses points de vue et ses idées. C’est une position particulière, qui n’est pas la même qu’un.e journaliste sur le marché du travail et donc soumis.e à des règles différentes.
Certain.e.s militant.e.s ont des idées pour pallier cela et appellent à la possibilité de raconter leurs propres histoires. Qu’en pensez-vous ?
Quand on pense qu’on n’est pas bien dit, c’est tout à fait sain que les citoyen.ne.s décident de reprendre la main pour se raconter autrement. Internet permet de libérer cette nouvelle parole. On a plus accès à la sphère publique. Cependant, cela existait avant déjà aussi ; les médias comme les figures alternatif.ve.s sont vieux comme le monde. Mais ils n’auront jamais la même audience que des médias mainstream, donc toucheront 10 x moins de personnes et finiront par prêcher des convaincu.e.s. Si cela ne suffit pas pour briser les représentations, ni pour révolutionner les choses car le public touché reste minoritaire, mais c’est un facteur essentiel pour les faire bouger. C’est aussi pour cela qu’il faut que les grands médias accueillent des visages plus divers, cela est mathématiquement plus impactant. C’est ce double mouvement qui à terme peut faire changer les choses.
On a des politiques pour corriger des inégalités sociales, il faut affronter le racisme qui a cours et trouver des recours. Il y a un déni de la souffrance et de la réalité de l’exclusion de l’autre en France.
Dans l’audiovisuel, le stéréotype n’est pas l’apanage du dominant…
Souvent les professionnel.le.s producteur.ice.s de contenus dit.e.s issu.e.s des minorités reproduisent souvent les stéréotypes parce qu’ils reproduisent les images attendues. Ils font ce qu’on attend d’eux et ce sont des mécanismes presque inconscients, l’intériorisation. C’est tout le problème pour l’être minoritaire, qui pour exister (doit) se mettre dans les cases attendues. Le format télé est réducteur et le contexte de production (cahier des charges etc) prive de liberté. Seule solution : faire son oeuvre seul.e sans soutien des diffuseurs, de ceux qui ont le pouvoir. C’est plus long, il y aura moins d’audiences, mais en maîtrisant les codes de ces nouveaux espaces d’expression, qui resteront toujours minoritaires, à l’écart des lieux de pouvoir, on peut s’y faire remarquer. Car ceux qui sont dans ces lieux de pouvoir sont malheureusement des hommes, blancs de plus de 50 ans et la seule manière de changer cela, c’est de mettre en place des politiques volontaristes.
Évoquer la place des minorités en France, c’est souvent vu comme une manière d’importer des débats venus des Etats-Unis, voire d’Angleterre. Qu’en pensez-vous ?
C’est un argument peu pertinent, une manière de décentrer les problèmes et les questions. Ce qui se passe dans d’autres pays, c’est hors-sujet. Ce n’est pas une question de nombre, mais de responsabilité sociale. Pour des raisons historiques, la société française est majoritairement blanche, mais pas que. Nous sommes une société multiculturelle, parce qu’il y a eu des vagues d’immigration, qu’on est un pays colonisateur et que l’on a pratiqué l’esclavage. Un certain nombre d’individus s’en sentent en faire partie profondément pour diverses raisons mais on ne leur reconnaît pas ce statut. D’où les phénomènes d’exclusion, de manque de reconnaissance et donc d’inégalités, produits de nos sociétés modernes. Étant un pays moderne, notre objectif c’est qu’il y ait le plus de justice sociale pour tout le monde. Il faut donc trouver un moyen de corriger ces inégalités pour que tout le monde puisse bien vivre. Être vraiment dans la modernité, c’est inventer des politiques pour que tout le monde puisse se sentir bien dans la société.
Par quels moyens ?
Ce sont des problèmes de rapports de force. Au lieu de prêcher la diversité culturelle dans tous les organismes internationaux, balayons devant notre porte. Des individus trustent le pouvoir et l’idée, c’est d’éviter cela. Par ailleurs, du fait de son statut de minoritaire, celui qui se bat ne doit jamais lâcher car il aura difficultés à être reconnu.e mais il faut des politiques volontaristes comme les statistiques ethniques, bien utilisées, car on a des politiques pour corriger des inégalités sociales, il faut affronter le racisme qui a cours et trouver des recours. Il y a un déni de la souffrance et de la réalité de l’exclusion de l’autre en France. On crée ces outils car les générations passant ont de plus en plus envie d’exister. Le problème, c’est qu’on a du mal à passer à l’action, et quand c’est le cas, on donne dans la paillette.
Des exemples de mesurettes ?
La charte de la diversité, c’est très bien mais il ne faut pas qu’il y ait que cela. On en signe, mais si on ne les respecte pas, il ne se passe rien du tout. Le label diversité délivré par l’AFNOR, n’est pas approprié aux sociétés médiatiques, car c’est circonscrit au recrutement. Difficile de mesurer les engagements pris devant l’écran. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que rien ne bouge.
Vous notez une véritable évolution dans un autre domaine que celui des médias: la publicité.
J’effectue une veille importante dans ce champ. On arrive à proposer des représentations de populations métisse, dans les banques, le monde culturel sur des produits de grande consommation, même si subsistent des stéréotypes, des pubs ciblées telles Western Union. Ce sont des changements qui s’opèrent millimètre par millimètre, du pragmatisme qui a un impact sur notre société en bout de chaîne.
POINT DE VUE – ATTENTION SPOILERS – Lauréate de la Caméra d’Or au festival de Cannes 2016, la réalisatrice Houda Benyamina, également co-fondatrice de l’association 1000 visages qui permet à des jeunes d’avoir accès au monde du cinéma – a laissé éclater sa joie en direct le 21 mai dernier. Cette femme au bagout certain, à la détermination bien affichée et qui se présente volontiers comme une « guerrière » nous a intrigué … et son film aussi.
Divines, c’est l’histoire de Dounia qui grandit dans une famille pauvre et attirée par la fast life, qui croise la route de Rebecca, reine des dealeuses dans sa cité, en compagnie de son inséparable amie Maïmouna – dont on a kiffé la justesse et qui nous a trop fait rire-. Les critiques se sont emballés unanimement pour le film. On l’a vue et il nous a laissé un drôle de goût.
Pure fantaisie ou film engagé ?
Dès le début, on a du mal à se situer. Est-ce qu’il s’agit d’une fiction pure et dure où, dans ce cas toutes les fantaisies sont de fait admises, ou d’un film coup de poing pour dénoncer les problématiques sociales et politiques qui se posent en banlieue ? On peut aussi trancher la poire en deux et dire qu’Houda Benyamina navigue entre les deux. Accepter le tonton travesti, la mère complètement perdue, alcoolo et nymphomane et que tout ce petit monde vive, puisque c’est le cas, dans un camp de roms. On comprend bien qu’il fallait des obstacles sur le chemin de l’héroïne pour qu’elle ait une rage de liberté la poussant à se battre dans la vie mais la barque ici est carrément chargée ! Et la magie du conte de fées ne fonctionne pas, en tout cas pas sur nous. C’est tout simplement trop.
Du coup, la rencontre avec Djigui, agent de sécurité le jour, danseur la nuit, une caricature de poète en baskets, pseudo-mystérieux, pseudo élément perturbateur de la dure vie de l’héroïne a suffi à nous agacer tout le long du film, car il est dessiné à tellement gros traits que l’impression de déjà-vu nous a pris à chaque fois qu’il est apparu à l’écran. Son binôme Maïmouna, elle, vient d’un autre monde : elle est noire et issue d’une famille musulmane qui ne badine pas avec la religion. Les deux acolytes ont en tout cas la même place dans la société, du fait de leur origine sociale.
Un duo à double tranchant
Si elle est sympathique, sa partner in crime est tout à fait problématique ; elle sert de caution ingrate à son amie qui n’a pas froid aux yeux et fait tourner les têtes. Maïmouna, bien que la voix de la sagesse est une invisible dans le film, l’inverse de la frondeuse Dounia. Alors qu’elle est hyper importante. C’est elle qui apporte le relâchement comique, qui soulage dans les moments les plus tendus du film ou les plus légers. Pour nous la meilleure scène, c’est sa critique hilarante du danseur pouet-pouet au cours de son audition avec un chorégraphe, qu’elle observe des cintres et qu’on a trouvé aussi ridicule qu’elle dans sa fausse posture de rebelle sans cause -parce que oui, on n’a toujours pas compris d’où venait sa rage, à lui-. Houda Benyamina dit s’être inspirée de Laurel et Hardy sur RFI pour créer leur duo… On n’est pas trop fans de la référence. Malgré tout, la réalisatrice réussit à rendre les deux copines attachantes, qu’elles snappent leurs rides dans leur quartier ou qu’elle les montrent en voyage imaginaire dans un pays lointain, alors qu’elles font le guet pour leur patronne dealeuse.
Divines, un film de banlieue … et sur la banlieue
Ce qui est assez fatigant, c’est que finalement, les ingrédients clichés habituels du « genre » avec de la violence partout sont là, et surtout l’idée principale : la seule façon de se sortir du ghetto est de devenir le parrain / la marraine de la bicrave pour illustrer que les jeunes banlieusard.e.s rêvent de faire de l’argent, comme bon nombre de capitalistes de ce pays. La seule différence avec les films que l’on voit d’ordinaire ? Enlever les sempiternels héros pleins de testostérone et les remplacer par des personnages qui ont « du clito. »
C’est d’ailleurs la scène qui a contribué à marketer le film. Mais franchement, est-ce que c’est une vraie scène choc ? La comédienne, Jisca Kalvanda, qu’on a par ailleurs aimé dans d’autres oeuvres, qui prononce le fameux « t’as du clito », phrase qui a fait beaucoup parler depuis Cannes, a un rôle caricatural, de faux tatouages qu’on devine dessinés au marqueur, volés de surcroît à la Nuit du chasseur et à Do The Right Thing, une psychologie binaire vue et revue-« tu frappes, puis tu caresses »-. Fait même pas peur.
Ce premier film a les défauts -confus, décousu, superficiel par endroits- de certaines de ses qualités -plein d’énergie, féminin, ancré dans une réalité sociale-. Et loin de nous l’idée de classer la réal qui, on le sait par ailleurs, met autant d’énergie à permettre à d’autres personnes qui n’ont pas accès aux facilités du monde du cinéma d’écrire et de tourner des films. Mais là, c’est trop : à trop vouloir en montrer, on perd le propos. La scène de fin tragique, en dit beaucoup plus que les 1h45 qu’on vient de vivre, sur l’absurdité des violences policières, leur implacabilité envers les jeunes, les rapports de ces dernier.e.s avec les forces de l’ordre et la façon dont iels sont perçu.e.s par la société.
Le vrai problème, ce n’est pas tant le film au final que la réception générale qui en a été faite. Plein d’énergie, Divines est indémontable donc. Ce n’est pas étonnant que bon nombre de critiques s’émerveillent. Ils y découvrent une réalité outrée, de purs talents – car oui, les comédiennes du film d’Houda Benyamina sont divines-, une manière de raconter une histoire tambour battant, même si un brin poussive.