Cinq raisons de rencontrer Sonia Sanchez au Hasard Ludique

C’est une grande figure intellectuelle et politique, unapologetically black, que L’Afro a l’honneur de recevoir le 7 novembre 2019. Enseignante, mère de famille, activiste, poète, féministe… Sonia Sanchez fait le voyage, depuis Philadelphie, où elle réside, pour présenter « Prochain arrêt pour le Bronx et autres pièces ». C’est son tout premier ouvrage, traduit en français par Sika Fakambi et publié par L’Arche éditeur, maison septuagénaire qui édite, entre autres, certaines des oeuvres de Leonora Miano. L’Arche est aussi une agence théâtrale et représente également l’autrice et performeuse Rébecca Chaillon.

On espère que vous serez au rendez-vous le 7 novembre au Hasard Ludique à partir de 19h. Pour les informations, – déroulé et informations pratiques-https://www.facebook.com/events/468836990397262/

Son oeuvre littéraire est prolifique et accessible
” Sonia Sanchez rend le monde meilleur ; plus vivable, plus drôle, plus facile. Je souhaite que des millions de personnes sachent qu’une partie de la joie qu’ils ont dans leurs vies découle du fait que Sonia Sanchez écrive de la poésie » Maya Angelou -que la terre lui soit légère- parlait ainsi de son amie, poétesse et autrice, née en 1934 à Birmingham, en Alabama. Sonia Sanchez s’est retrouvée à plusieurs reprises en discussion avec certaines de ses illustres amies poètes et autrices comme Audre Lorde ou encore Toni Morrison, ici ou encore là. Ou encor à enseigner leurs oeuvres.

Sonia Sanchez a décrété que sa mission était de faire aimer la poésie – la sienne mais aussi celle des autres- à celles et ceux qui ne l’aimaient pas. Outre l’enseignement, l’engagement politique, elle a construit une oeuvre prolifique, commencée avec la publication du recueil de poèmes Home Coming en 1969. Plus de seize ouvrages, dont I’ve Been a woman, We a BaddDDD People ont suivi. Son travail sur la langue et la forme que peut prendre le poème sont indissociables de la retranscription de l’expérience d’être noir.e dans son oeuvre.

Elle a participé à la fondation du Black Arts Movement
Avec The Last Poets, elle fait partie des dernières figures de ce mouvement qui a marqué l’histoire culturelle, politique et intellectuelle des Etats-Unis. Le BAM a ouvert une décennie de création, d’émulation entre 1965 et 1975. Un des contributeurs du mouvement, Larry Neal écrit en parlant de ce mouvement que « c’est la petite soeur spirituelle et esthétique du concept de Black Power [car] tous deux largement reliés au désir des Afroaméricain.e.s de s’autodéterminer ». Des musiciens comme Gil Scott-Heron, John Coltrane, des auteurs comme Amiri Baraka, qui l’a créé suite à la mort de Malcolm X, notamment, le font vivre. Ce dernier déménage alors symboliquement vers Harlem et crée un Le mouvement est très masculin, mais Sonia Sanchez fait partie des figures féminines qui réussissent à faire entendre leurs voix, comme Lorraine Hansberry, Nikki Giovanni ou encore Audre Lorde. Le mouvement bien que controversé à des endroits a permis de changer la manière dont les afroamérican.e.s étaient représenté.E.s à l’époque et ont considérablement influencé des autrices et auteurs jusque maintenant.

Elle a contribué à l’émergence des black studies

Alors qu’elle enseigne à l’université de San Francisco, elle donne un cours sur la littérature afro-américaine, principalement basé sur des autrices noires. Il est pour beaucoup le premier du genre donné dans une université majoritairement blanche aux Etats-Unis. Sonia Sanchez est souvent représentée comme étant l’une des personnalités qui a contribué à installer les Black studies.

Elle a été aux premières loges du combat pour les droits civiques
Sonia Sanchez est née en Alabama, à une époque où il était illégal pour les Noir.e.s et les Blanc.he.s de fréquenter les mêmes espaces. Sa poésie de combat est influencée notamment par les actrices et acteurs des droits civiques, dont Malcolm X, avec qui elle a un temps cheminé. Elle a adhéré au chapitre de Harlem du Congress of Racial Equality (CORE) et a participé à la Marche pour l’emploi et la liberté de Washington en 1963.

Son travail est reconnu par la nouvelle génération
Plus généralement, elle a marqué toute une génération d’artistes notamment celles et ceux qui officient dans la musique rap. Entre 2002 et 2007, le rappeur Mos Def avait son émission où défilait la crème des écrivain.e.s et artistes. Amiri Baraka, Saul Williams, Erykah Badu entre autres y sont passées. Sonia Sanchez aussi, évidemment.

On ne compte plus les multiples récompenses qu’elle a reçues- la plus récente c’est l’Anisfield Wolf award, dont elle a été récipiendiaire en mars 2019 – .Elle est aussi au centre de BadddDDD Sonia Sanchez, un documentaire réalisé par Barbara Attie, Janet Goldwater et Sabrina Schmidt Gordon. Le film a été nommé aux Emmy en 2017. Ainsi, les rappeurs Mos Def et Quest Love y ont témoigné.

Sonia Sanchez est toujours enseignante.

Fraîches Women Festival #2 : ateliers enfants, masterclass, les inscriptions sont ouvertes !

Vous les attendiez, vous nous avez même écrit à ce sujet … A J-15 du lancement de le seconde édition du #FWFbyLafro2019 à La Marbrerie (Montreuil), nous avons le grand plaisir de vous annoncer que vous pouvez désormais vous inscrire à ces moments de partage de savoirs intimistes ! On est également très contentes de vous dire qu’une masterclass s’ajoute à la liste : ça parlera management sportif, Coupe du monde féminine de football aussi avec Laura Georges de la team #FraichesWomen2019 !

ATTENTION : les places sont limitées !

A vos marques, prêt.es, inscrivez-vous !

SALLE 1 (située à l’étage de La Marbrerie)

1.30pm-3pm : coaching session « how to get away from the pressure of reaching excellence by any means necessary ? keys to embrace imperfection. » hosted by Shanon Bobinger.

ShaNon Bobinger is a systemic life-, & business coach, moderator and public speaker. As a systemic coach she focuses on promoting self growth, personal development and goal setting for individuals and groups with intercultural identities.She emphasizes on an intersectional and inclusive perspective with a holistic approach. www.shanon.me

Registration here

15h-16h : masterclass capillaire #Kinkyhairmatter animée par Gisèle Mergey, fondatrice et directrice de la Body Academy, première école européenne de coiffure à enseigner comment prendre soin de tout type de cheveux, y compris les crépus et frisés. C’est une de nos #FraichesWomen2019 Elle enseignera notamment la base d’auto-diagnostic. Inscription par ici.

16h-17h : masterclass « comment le sport m’a permis d’acquérir des compétences en management » animée par Laura Georges, ex-footballeuse (OL, PSG, Boston College, Bayern Munich, équipe de France) et actuelle Secrétaire générale de la Fédération Française de Football. Une des 8 afrodescendantes de la seconde édition de notre projet photo qui a donné son nom au festival, #FraichesWomen2019. Par là si vous voulez y assister.

17h-18h : masterclass « assigné.e métis.se, comment trouver sa place ? » animée par Jessica Gérondal Mwiza, militante afroféministe panafricaniste. Elle fait également partie de notre série photo #FraichesWomen2019. Cliquez ici pour remplir le formulaire d’inscription.

18h-19h : masterclass « discrimination au travail, comment les prouver devant la justice ? » animée par Paule Ekibat, avocate au Barreau de Paris. Elle figure parmi nos 8 #FraichesWomen2019. Cliquez là pour vous inscrire.

SALLE 2 (située en face de l’espace brunch)

13h-15h : book club enfants animé par Wendie Zahibo, créatrice du webzine et livre « Reines des Temps modernes ». Wendie accueillera un premier groupe d’enfants de 13h à 14h puis de 14h à 15h. Voici le lien vers la première session et le lien vers la seconde.

15h30-17h30 : yoga enfants animé par Aurélie, co-fondatrice de Flawless Yoga. Aurélie
accueillera un premier groupe d’enfants de 15h30 à 14h30 puis de 14h30 à 15h30. Voici le lien vers la première session et celui vers la seconde.

Laurie Pezeron, Fraiche Woman 2019, fondatrice du Read! Club : « La black excellence aide à construire l’estime de soi »

Nous sommes journalistes, certes, mais nous sommes aussi de grandes amatrices de tout plein de choses et notamment de littérature. C’est ainsi que nos routes ont croisé celle de Laurie Pezeron. On se souvient de différentes rencontres qu’elle a pu organiser autour de livres, avec ou sans les auteur.ices, où on pouvait échanger sur nos ressentis en les lisant, ce qu’on avait appris, ce qui nous avait touché. Ou pas d’ailleurs. Des moments intimistes où les discussions vont toujours bon train, même une fois la session close. On aime tellement le concept que L’Afro en est partenaire. Aujourd’hui, âgée de 38 ans, Laurie Pezeron poursuit Read! Club depuis 12 ans et a même ouvert le concept aux enfants. Une amoureuse des mots qui y puise son inspiration. Mais c’est elle qui le raconte le mieux.

Les 8 #fraicheswomen de l’édition 2019 ont chacune donné leur avis sur la thématique de cette seconde édition du projet photo, à savoir la « black excellence », -preuve que les Noir.es ne devraient pas être essentialisé.es -et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous avons créé L’Afro le 31 octobre 2015 ;).

Comment Read! Club a commencé

« D’une manière assez simple. J’ai créé le READ! Club sous la forme d’une association en 2007, sans connaître le milieu associatif. Il s’agit du premier club de lecture parisien dédié aux auteur.es Afro’. L’idée est de se retrouver régulièrement afin de partager et discuter de lectures communes, des livres proposés par le club, avec tant que possible des intervenantes lié.es au sujet majeur de l’ouvrage. Notre marraine est Maryse Condé que nous avons reçu, ainsi que Fatou Biramah, Sérigne M’Baye (Disiz), Doudou Diène, Léonora Miano, Ta Nehisi Coates, D’ de Kabaal, et bien d’autres… »

La réaction de ses proches

« Leurs réactions étaient mitigées, j’ai plus été encouragée par l’extérieur que par mes proches. On me fait souvent le reproche du fameux repli « communautaire », qui a une connotation négative ici en France, et qui est pourtant nécessaire selon moi… Mieux se connaître soi-même, pour mieux affronter le monde. »

Sur la « black excellence »

« Étant tournée vers les USA, notamment via la culture Hip-hop, depuis jeune, c’est une notion qui me parle, évidemment. Après le ‘Black and Proud’ de James Brown, le ‘Black is Beautiful’, il faut se souvenir que les esclaves furent des biens meubles définis par le Code Noir, et que beaucoup de philosophes occidentaux ont douté de l’existence de leur âme. L’expression ‘Black Excellence’ entre dans le processus d’estime de soi et de la reconnaissance, afin de rendre compte de sa propre valeur, et permet d’ouvrir le champ des possibles, et de dépasser les pensées limitantes qui ont été transmises, puis sont déconstruites, de génération en génération. »

Un tournant ou un grand défi dans sa vie ?

« Plutôt qu’un tournant ou de grand défi, je peux parler de rencontres déterminantes, qui permettent ces tournants. Et READ! est une suite de rencontres enrichissantes, d’ailleurs j’ai rencontré Adiaratou et Dolorès via READ! Certains livres aussi ont été des tournants, on peut s’y retrouver soi-même. Et mon plus grand défi est de donner le virus de la lecture à ceux et celles qui en sont le + éloigné.es. »

Ses modèles et inspirations

« Maryse Condé pour son humour, Christiane Taubira pour son éloquence, James Baldwin pour son côté visionnaire, Malcolm X pour sa discipline, mes Parents pour leur solidité, ma Famille pour leur solidarité, mes Ami.es pour leur lucidité. Je m’inspire de ce qui m’entoure. Notre entourage n’est qu’un reflet d’une partie de nous-mêmes. »

Un mot, un slogan, un leitmotiv qui résume son état d’esprit

« Po-si-ti-ver, toujours !  Et faire les choses avec passion. »

Un conseil à quiconque, et en particulier aux femmes, souhaitant se lancer dans un projet similaire

 » D’y mettre toute son énergie sans s’oublier, et d’éviter d’écouter ceux et celles qui peuvent faire douter sur ses propres convictions profondes. »

Ce sur quoi elle travaille actuellement

« Les prochaines sessions READ! D’ailleurs, nous faisons une session sur le livre d’art NOIR, entre peinture et histoire le 9 mai prochain. »

EDITO : #FraichesWomen2019 Noire, femme, créative : l’éternelle injonction à l’excellence?

2018 s’est terminée sur des notes plutôt positives pour L’Afro. L’un des points d’orgue de cette année écoulée a été d’organiser la première édition du festival Fraîches Women le 6 mai 2018. Une nouvelle expérience pour nous, dont nous avons appris beaucoup -des réussites, comme des choses à améliorer- et pour laquelle on a eu besoin de temps pour se remettre. On remercie d’ailleurs toutes celles et ceux qui ont pris le temps de nous faire leur retour, de nous donner des conseils précieux qui nous ont permis de préparer l’édition 2.

Elle se tient samedi 11 mai, toujours à La Marbrerie à Montreuil.

A travers la première série de portraits qui a donné le nom à notre festival, il s’agissait de dire que les voix de la moitié de la planète méritent d’être vues et surtout entendues, dans son ensemble. Un peu comme lorsqu’au cours de la marche #NousToutes le 24 novembre dernier, une manifestation pacifique et silencieuse pour adresser les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, des voix se sont élevées pour dire #NousAussi et pointer que ces violences « sont [aussi]une expérience inséparable du racisme, du validisme, de la précarité ». Les retours que vous nous avez faits, les réactions aux articles ici et sur nos réseaux sociaux nous ont donné envie de reprendre, pour une seconde fois, cette série de portraits de femmes « diverses dans leurs diversités ». D’enfoncer le clou. Pour cette deuxième édition, on a décidé de questionner la « black excellence ».

« L’excellence noire », un concept tout droit venu des États-Unis consiste à prôner la réussite, à mettre en avant des modèles aux parcours jugés exemplaires et la promotion d’une élite noire, rendant fière toute une communauté. Le rappeur, producteur et
désormais avant tout businessman Diddy s’en est fait le fer de lance depuis un an. Rihanna, Naomi Campbell, Spike Lee, Jay-Z -avec qui il avait annoncé en mars 2018 vouloir lancer une application pour promouvoir les entreprises dont les propriétaires sont noir.es-, autant de figures noires ayant atteint des sommets dans leurs domaines respectifs, pour bon nombre parti.es de loin et parfois présenté.es comme « self-made », inspirant potentiellement des millions d’autres, illustrent son compte Instagram. Le storytelling sur papier et dans les esprits fait rêver …

Mais ce club de la « black excellence » semble quelque peu fermé ; qui juge qui peut y entrer ? Quels sont les critères pour y accéder ? Y a-t-il de la place pour des erreurs de parcours ? Et si on n’en est pas, est-on finalement médiocres ? A-t-on même le droit à la médiocrité ? Quid de la méritocratie ? Ces questions méritent d’être posées. Qui plus est quand on parle de femmes noires. La charge mentale, le syndrôme de la femme potomitan se devant de toujours supporter plus, sans jamais se plaindre, de toujours tout bien gérer, de rester au top niveau  et encore mieux, avec le sourire. Difficile de laisser de la place pour la vulnérabilité qui demeure encore dans certains esprits un signe de faiblesse.

Les 8 Fraîches Women 2019 De gauche à droite : Laura Georges, Gisèle Mergey, Annie Melza Tiburce, Paule Ekibat, Jeannine Fischer Siewe, Jessica Gerondal Mwiza, Anne Sanogo, Laurie Pézeron.

Si au coeur du projet photo et événementiel Fraîches Women, réside l’idée d’entrelacer des récits de vie, de réussites, le but, nous tenons à le rappeler, n’est en aucun cas de présenter des parcours exceptionnels et inspirants pour les mettre en opposition à d’autres qui le seraient moins. Ce n’est pas non plus de remplacer le patriarcat par un pendant féminin. Le pouvoir reste le pouvoir.

Les 8 #FraîchesWomen que nous avons réuni pour cette seconde édition sont africaines, caribéennes, ou sont nées et ont grandi en France. Avocate, militante, entrepreneure, ex-footballeuse. Certaines étaient familières avec le concept de l’excellence noire, d’autres n’en avaient jamais entendu parler. Nous leur avons demandé de nous faire part de leur point de vue à ce sujet et avons retracé leurs parcours. En les lisant, vous découvrirez 8 femmes aux carrières bien distinctes, qui ont fait beaucoup de chemin et ne manquent ni de ressources ni de projets.

Un merci tout particulier à Ozal Emier, la photographe qui a mis sa touche si particulière et a produit cette belle salve de portraits.

Un grand merci également au bar Monsieur Zinc à Odéon qui nous a permis d’investir son beau sous-sol une fois de plus le temps d’un shooting et nous a mis bien !

Nous vous donnons rendez-vous les prochains lundi, mercredi et vendredi pour vous laisser faire connaissance avec Anne, Annie, Gisèle, Jeannine, Jessica, Laura, Laurie et Paule que l’on tient à remercier pour avoir accepté de jouer le jeu de la pose et des questions/réponses.

Bonne lecture et vivement que l’on puisse poursuivre cette conversation sur les internets et IRL !

Adiaratou et Dolores, L’Afro team

A propos de la photographe Ozal Emier

« Ozal Emier est née en 1986 à Paris, par un froid matin de février. Après une première vie de journaliste, elle bascule dans le cinéma et la réalisation. En 2015, elle co-écrit et co-réalise son premier court-métrage, Métropole – récit de l’exil d’un Antillais en métropole -, puis réalise en 2018 La Nuit d’Ismael, errance nocturne d’un immigré marocain et de deux Parisiens. En parallèle, elle travaille comme assistante à la mise en scène sur des tournages. Son intérêt pour l’image et le cadre l’ont amenée à aussi pratiquer la photographie, nourrie par des photographes tels que Saul Leiter, Harry Gruyaert ou encore Vivian Sassen. Dans son écriture, ses films et ses photos, la question de l’entre-deux, social, culturel et identitaire est prépondérante. Depuis 2016, elle poursuit un travail photographique autour de son jeune frère, «La vie d’Emmett ».Une partie de ce projet a été exposée en janvier 2017 au Théâtre El Duende à Ivry-sur-Seine dans le cadre du festival Traits d’Union. » A découvrir sur Vimeo et Instagram

Naïl Ver-Ndoye, co auteur de ‘Noir entre peinture et histoire’: « Mon but est de rendre l’art accessible à tout le monde»

ENTRETIEN- Depuis le 26 mars, le grand public peut visiter l’exposition « modèle noir : de Matisse à Géricault » au Musée d’Orsay. Une exposition qui parle des noir.es en tant que sujets artistiques mais adresse également leur place dans la société française. En octobre dernier paraissait le livre « Noir entre peinture et histoire », co-écrit par les historiens et professeurs Naïl Ver-Ndoye et Grégoire Fauconnier adressant la question des modèles noir.es du XVIème au XXème siècle à travers l’Europe. Un travail de quatre ans bien venu alors qu’il reste encore difficile d’aborder les questions raciales en France. Naïl Ver-Ndoye nous en dit plus sur ses découvertes et livre son point de vue sur la difficile discussion en France sur ces questions.


Quel est le postulat de départ du livre « Noir, entre peinture et histoire » ?

Au départ, je pensais que l’histoire de la présence noire en Europe se résumait surtout à l’esclavage et à la colonisation. Je m’attendais d’ailleurs à ce qu’on trouve beaucoup de tableaux mettant en scène l’esclavage. Mais ce ne fut pas le cas car contrairement aux Etats-Unis, il ne se pratiquait pas sur le sol français. En revanche, on a trouvé beaucoup d’oeuvres représentant des domestiques. J’ai finalement découvert que des Noir.es étaient en Europe notamment suite à des échanges diplomatiques et offraient même des cadeaux, comme une girafe

Comment a été accueilli le projet par les maisons d’édition ?

Ça a été difficile de trouver un éditeur. Au début, on nous a conseillé d’aller voir des éditeurs anglo-saxons en nous disant que si le livre marchait bien, on le traduirait en français car c’est une problématique qui n’est pas traitée en France.

Y a-t-il des œuvres qui ont été particulièrement difficiles à trouver ?

On a découvert l’histoire de l’abbé Moussa, un sénégalais arrivé en France dans les années 1820 et qui a donné la messe au roi Louis-Philippe, à travers un texte. Il n’y avait pas d’images en haute définition de son portrait. Quand on a contacté le musée de Bagnères-de-Bigorre dans les Pyrénées, la toile n’était pas exposée mais stockée dans la réserve et il n’y avait pas de possibilité d’avoir de photos. On a mis un an et demi pour obtoir cette photo et pour d’autres œuvres. Finalement, notre éditeur a négocié avec le musée pour envoyer un photographe sur place. En tout, il aura fallu un an et demi pour obtenir la photo de cette œuvre. Pareil pour le tableau « Ourika » et d’autres, ce qui a en partie retardé la sortie du livre.

Quel est le but de ce livre ?

Mon but est de rendre l’art accessible à tout le monde, de démocratiser la culture et je pense qu’avec ce livre, c’est réussi. On a produit un livre que les historiens de l’art n’ont pas pu faire.

En histoire, il y a quatre périodes : ancienne, médiévale, contemporaine, moderne. Dans le livre, on traite un peu de la médiévale et surtout des deux dernières. Je pense que pour les historiens de l’art, on va se concentrer sur un courant de peinture, un artiste ou un pays. Mon objectif est de sortir de cette lecture trop académique, de ne pas me mettre de limites.

Je l’ai conçu de façon à ce qu’il n’y ait pas besoin de le lire en continu ; on pioche dedans quand on veut.

Je me suis efforcé de trouver des petites anecdotes pour chaque tableau, de partir de la petite histoire pour aborder la grande histoire. Par exemple, quand on met un tableau sur Haïti, on en profite pour placer la révolution haïtienne ; quand on voit « Othello », on parle du blackface qui existe encore aujourd’hui, quand on fait figurer le tableau « Les grands plongeurs noirs » de Fernand Léger dans la dernière partie de l’ouvrage, on peut évoquer la ségrégation dans les piscines américaines et rappeler qu’une de ses conséquences est que les noir.es sont toujours plus victimes de noyades que les blanc.hes aux Etats-Unis …

Parlons de l’exposition « Le modèle noir : de Matisse à Géricault » actuellement au Musée d’Orsay qui balayent les périodes de 1794 au XXème siècle. Dans la première salle, un panneau indique que de « nombreux titres (d’oeuvres) anciens reflètent des marqueurs raciaux datés tels que « nègre », « mulâtre », « câpresse » mais ne pouvant être d’usage de nos jours. (…) et a décidé de renommer les œuvres en mettant le nom du modèle lorsqu’il était connu. On note aussi que sous certaines œuvres les termes racistes ont été remplacés par « noir » par exemple. Qu’en pensez-vous ?

Le fait de remplacer les termes racistes se fait déjà aux Pays-Bas depuis 2015. La directrice de l’époque du Rijksmuseum à Amsterdam a décidé de remettre en question le passé colonial du pays et de passer en revue 220 000 noms de tableaux. Elle recevait beaucoup de messages de descendant.es et elle a décidé de chercher des termes « plus neutres ». Pour moi, neutre ne veut rien dire car peut-être qu’à l’époque « nègre » était neutre. Une chose est sûre : je suis contre son utilisation aujourd’hui, c’est péjoratif, une partie de la population en souffre. A partir du moment où on utilise des termes qui peuvent blesser des gens, il faut faire attention. Il y a eu tentative de réappropriation mais le mot est trop chargé. Mais la sémantique évolue et peut-être que le mot « noir » ne sera plus neutre dans le futur.

A Amsterdam, ils ont été jusqu’au bout. Il ne faut pas oublier que la plupart des artistes, à part les grands noms, n’ont pas donné les titres à leurs oeuvres, ce sont leurs proches ou autres qui vendaient les toiles qui l’ont fait. Mais si c’est l’artiste qui l’a marqué au dos, le musée laisse le titre original en dessous en indiquant « nom original donné par l’artiste » Cette réflexion est intéressante à mon sens.

J’ai d’ailleurs récemment appris l’origine de « chabin » et « mulâtre », des mots péjoratifs depuis le début puisqu’ils désignent des animaux hybrides et stériles. Informer les gens sur les sens de ces termes, c’est un travail d’éducation que nous avons.

On parle aussi d’exposition pionnière sur le sujet or elle vient des Etats-Unis.

Le Musée d’Orsay oublie d’évoquer l’exposition de 2008 « Black is beautiful, de Rubens à Dumas » au Rijksmuseum à Amsterdam qui balaye cinq siècles, intègre sept pays européens et a été réfléchi avec des membres de la communauté noire sur place.

Finalement, en France, c’est comme si on existait dans les peintures du XIXème siècle mais qu’on existait pas au XXème siècle.

Quels sont les retours concernant le livre ?

Aujourd’hui encore, on m’envoie des messages en me disant « le livre est super, j’ai appris des choses » ou pour se réjouir qu’on voit autre chose que juste des noir.es dans des positions subalternes, avec des rois, des princes, des cavaliers etc. Des personnes ayant acheté le livre se prennent en selfie avec et j’ai donc créé un compte Instagram pour les publier.

Quels sont les projets à venir ?

Le livre sera actualisé et réédité. Sinon, je continue à donner cours dans un lycée.