INTERVIEW – Grace Ly, la blogueuse qui oeuvre pour une représentation plus juste des Asiatiques en France

ENTRETIEN – Née en France, Grace Ly a utilisé la cuisine comme porte d’entrée pour accéder à la culture cambodgienne transmise par ses parents en y consacrant un blog, « La Petite Banane« . Grace Ly parle volontiers de sa double culture franco-asiatique et a même créé une websérie, « Ça reste entre nous », où d’autres femmes et des hommes s’expriment sur la question. Le dernier épisode mis en ligne à ce jour, le troisième aborde le thème de l’éducation des enfants. Pour les six suivants de la saison 1, elle a décidé avec son équipe de lancer une campagne de crowdfunding qui s’achève dans 46 jours.  Déjà 27% de l’objectif atteint soit 4170€. Pour contribuer, c’est par ici !
Grace Ly fait partie de celleux qui veulent montrer une autre image des Asiatiques en France,  reflétant tout simplement leur quotidien et s’éloignant ainsi des clichés établis par la société.
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Grace Ly © Vanida Hoang

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Grace Ly, je tiens un blog qui s’appelle « La Petite Banane » où je parle de bonnes adresses de cantines et restaurants asiatiques mais aussi d’identité.

Pourquoi avoir appelé votre blog « La Petite Banane » ? Est-ce un nom qui a choqué certain.e.s ?

Bien sûr, on m’a déjà dit « mais pourquoi utiliser le mot ‘banane’ ? C’est raciste ! » Mais c’est le surnom que me donnait ma mère de façon affectueuse. Elle me disait jaune à l’extérieur et blanche à l’intérieur, du fait de ma double culture -mes parents ont quitté la guerre au Cambodge pour venir en France où je suis née. Ma mère voulait à tout prix que je m’intègre, elle croyait bien faire.

Quand avez-vous créé le blog ? Comment vous est venue l’idée ?

J’ai créé le blog il y a 7 ans. Il est né d’une colère, suite à une série de reportages télévisés qui pointaient du doigt les restaurants chinois pour leur mauvaise hygiène. On parlait d' »appartements raviolis ». Cela a contribué à leur faire une mauvaise réputation, ce que je trouve injuste. A cause d’une minorité, la majorité des restaurateurs sont stigmatisés. Quand on va manger dans un mauvais restaurant par exemple français, on dira « ça peut arriver », « je n’ai pas eu de chance ce coup-ci ». Alors que quand il s’agit d’un restaurant chinois, ce sera « je ne mangerai plus jamais ce type de cuisine, je vais encore tomber malade. » Je suis d’autant plus sensible à ça que mes parents sont eux-mêmes restaurateurs. J’ai également choisi de parler de cuisine car c’est le moyen le plus rapide d’accéder à la culture de mes parents.

Comment est née la websérie « Ça reste entre nous » ? Pourquoi ce nom ?

Le projet, que je réalise avec mon amie Irène Nam à la caméra, est inspiré des discussions que j’ai avec mes proches quand on se retrouve et qu’on échange autour d’un repas. L’idée, c’est de donner la parole à des asiatiques français.e.s, qui parlent de leurs expériences. Il y a un manque de visibilité à ce sujet. Ou alors, on nous limite à des stéréotypes (tou.te.s des restaurat.eur.ices, la minorité modèle etc). Dans cette websérie, on partage des choses personnelles, dont je ne peux, pour ma part, parler que dans un cadre intime. C’est de là que vient le nom « Ça reste entre nous ».

Pour le moment, vous avez réalisé trois épisodes : un sur les femmes, un autre sur les hommes et le dernier sur l’éducation des enfants. Comment avez-vous sélectionné les intervenant.e.s ? A-t-il été difficile de les convaincre de participer ?

Les intervenant.e.s sont des ami.e.s, pour des raisons pratiques ; c’était plus simple pour commencer. Iels  ont tou.te.s  accepté volontiers de participer sauf une femme, qui figure dans le dernier épisode, qui a failli ne pas le faire à la dernière minute. Encore une fois, on parle de choses intimes, elle avait peur de ce qu’aller en penser sa famille. Au final, elle a joué le jeu et m’a même dit que ça lui avait fait du bien.

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Steve Tran © Camy Duong

Avez-vous montré le projet à vos parents ?

Ils ne comprennent pas les questionnements identitaires que je peux avoir. Pour mon père, je suis cambodgienne. Mes parents sont d’une autre génération. Ils se disent, après avoir fui la guerre, qu’ils sont bien contents que ce pays, la France, les a accueilli. Pour eux, je m’invente des problèmes à critiquer les clichés auxquels on est assimilé.e.s et je devrais juste dire merci d’avoir pu naître ici. J’aimerais donc finir certaines choses avant de leur montrer.

Avez-vous tenté de vendre ce concept pour l’adapter à la télévision ?

On a tenté de démarcher quelques chaînes mais elles sont frileuses…

Jugent-elles le programme « trop communautaire » ?

Oui, parce qu’un programme qui ne réunit QUE des asiatiques … Pourtant, quand on voit le public qui vient quand on organise des projections -comme la seconde qui a eu lieu en novembre au Musée de l’Histoire de l’Immigration– ou même l’audience sur les réseaux sociaux, on voit bien que le sujet ne parle pas qu’aux Asiatiques mais touche tout le monde. Ce sont des questions universelles qu’on aborde : l’amour,  la séduction, la confiance en soi, l’éducation des enfants …

Quelle est la suite du projet ?

Nous allons continuer « Ça reste entre nous » mais cette fois, j’aimerais beaucoup que ce soit des intervenant.e.s extérieur.e.s, des femmes et des hommes que je ne connais pas, qui y prennent part, en proposant des thèmes et en prenant la parole devant la caméra. Nous allons aussi lancer une campagne de crowdfunding car le programme a été réalisé sur nos fonds personnels jusqu’ici.

Vous pouvez retrouver Grace Ly sur la page Facebook La Petite Banane, sur la page Facebook Ça reste entre nous. Elle est également sur Twitter (@BananaGras).

(Crédits photo à la une : Camy Duong)

SÉRIE – Pourquoi c’est important de regarder « Insecure » d’Issa Rae (quand on a OCS)

TÉLÉ – L’Afro a pu voir les premiers épisodes en exclusivité d’Insecure, la nouvelle série créée et interprétée par Issa Rae diffusée dimanche 9 octobre sur HBO (Girls…)   et lundi 10 octobre sur OCS. Ce projet a une histoire, débutée sur Youtube en 2011. On vous la raconte.

Noire et nerd, c’est le parfait point de départ qu’a choisi Issa Rae, une comédienne américaine pour écrire et jouer dans The Misadventures of  Awkward Black Girl, sa série diffusée sur Youtube en 2011. Vingt millions de vues plus tard, le projet a atterri sur HBO et s’appelle Insecure. Même si on n’y aime pas tout, on vous dit pourquoi on a apprécié regarder les premiers épisodes.

The Misadventures of  Awkward Black Girl, c’était l’histoire de J., que joue Issa Rae, qui a également écrit le scenario. « Je suis maladroite et je suis noire. Quelqu’un m’a dit un jour que c’était les deux pires choses que l’on puisse être », dit l’héroïne dès le début du premier épisode. On suit J. dans sa vie d’Afro-américaine moyenne. J. qui se fait larguer par son mec, qui se rase le crâne à la suite de cela, -qui « big chop » comme on dit chez les « nappys »- J. dans son boulot de téléprospectrice pour une entreprise qui vend le nécessaire pour se nettoyer le colon, J. avec ses collègues tous plus ridicules et/ou détestables les un.e.s que les autres.

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Coucou la bonne ambiance

Il y a celui qui parle tellement bas qu’il est inaudible, l’emmerdeuse de première et la cheffe, cerise sur le gâteau, une sorte de Rachel Dolezal, incarnant à merveille le cliché de l’amoureuse de la culture africaine-américaine, n’hésitant pas à arborer d’horribles tresses et à ponctuer ses conversations avec J. de « girlfriend » et autres « sister ».

Coucou les nattes couchées qui marquent mal
Coucou les nattes couchées qui marquent mal

Et la meilleure défense de l’héroïne pour tenir dans cet environnement, c’est l’agressivité passive à coup de rap énervé mais totalement awkward.

Insecure : du droit d’être noire et nerd

Issa Rae a débuté le projet alors qu’elle n’était pas encore diplômée, avec de petits moyens : une équipe de 12 personnes, dont sa meilleure amie – à qui elle apprend à tenir une caméra- et son petit frère – enimaL, rappeur et producteur de la majeure partie de la musique de la websérie. Très vite, l’awkward black girl devient un phénomène sur la toile : la seconde saison est hébergée sur la chaîne Youtube de Pharrell Williams, iamOther et l’ensemble des épisodes des deux saisons totalisent plus de 20 millions de vues à ce jour.

Quand on ne se sent pas représenté.e, on s’en charge soi-même.  C’est ce qu’a fait Issa Rae ; écrire, jouer et réaliser The misadventures of awkward black girl, c’est l’opportunité de se retrouver dans un personnage féminin noir autre que la noire énervée ou la croqueuse d’hommes pour ne citer qu’eux.
Le personnage de J. a diverses facettes, à l’image d’Issa Rae qui avoue « être coupable d’aimer les téléréalités », adorer les délires « ratchet », être fan de Seinfeld et de Donald Glover, qui a contribué à remettre au goût du jour l’image du noir nerd à la télévision par exemple dans le sitcom Community et que l’on connaît aussi comme rappeur sous le nom de Childish Gambino. Ce dernier apparaît d’ailleurs dans l’un des épisodes de la websérie.  J. n’est pas particulièrement sexy, elle n’est pas sous ou surdiplômée mais c’est une « average girl » cherchant l’amour, voulant se faire une place dans la société, s’épanouir professionnellement. Enfin, un personnage normal et marrant qui lui ressemble … et auquel on peut aussi s’identifier  !

Changements locaux pour la version HBO

HBO comprend qu’il y a du potentiel en 2014.

Ce contrat avec la chaîne américaine, c’est un tour de force quand on sait à quel point il est difficile de vendre un concept à une chaîne de télévision. Elle avait notamment été approchée par Shonda Rhimes en 2013 pour réaliser le pilote d’une des Issa Rae productions,  I hate L.A. dudes qui n’a finalement jamais abouti. Mais pour que The Misadventures of awkward black girl, rebaptisé sur le petit écran Insecure voit le jour, il aura fallu près de deux ans de travail, comprenant de nombreuses phases de réécriture.

Dans Insecure, Issa, qui porte son propre nom, est en couple depuis plusieurs années avec un homme qui a du mal à monter sa propre entreprise. Alors qu’elle s’ennuie, elle reprend contact avec son « what if guy », soit celui avec qui il ne s’est jamais vraiment rien passé et qui lui fait se demander ce que serait sa vie si elle s’était mise avec lui.

Dans une interview donnée à CNN, Issa Rae affirme que le rôle qu’elle campe est celui de celle qu’elle serait si elle ne savait pas ce qu’elle voulait faire. Elle a également insisté sur le fait que ce récit n’a aucunement la prétention de représenter la femme noire par excellence mais qu’il s’agit d’une expérience spécifique. Encore une fois, elle démontre la nécessité d’une variété dans les narrations, les façons de les écrire et de les montrer. Les contraintes du format TV -format d’environ 30 min, rythme, le casting vendeur- ont entraîné des changements dans l’oeuvre originale web.

Du renouveau à la télévision américaine ?

Issa Rae a lancé son projet « Color Creative » en 2013, une plateforme visant à « augmenter les chances des auteurs de télé femmes et issus de minorités, de montrer et de vendre leur travail, à la fois au sein et en dehors du circuit classique des studios (…) en formant les futures créateurs et auteurs-producteurs qui aideront à changer le paysage télévisuel. » Si on peut saluer l’initiative, tout n’est pas parfait. La plupart de ses collaborat.eur.ices sont des personnes déjà plus ou moins installées dans le monde de la télévision si hollywoodien, à l’instar de Larry Wilmore qui officie dans le « Daily Show » de Jon Stewart et de Natasha Rothwell qui écrit pour le « Saturday Night Live » et joue dans la série Netflix The Characters.

Côté réalisation, on retrouve Melina Matsoukas qui a  réalisé des clips pour Rihanna (« We found love »-pour lequel elle a gagné un Grammy-, « You da one »), Solange (« Losing You »), Beyoncé (« Pretty Hurts », « Diva », « Formation »), Kevin Bray qui a également fait dans les music videos pour Brandy (« Have you ever, Almost doesn’t count) ou encore Whitney Houston (« Your love is my love ») et désormais dans la série TV avec Suits, sans oublier Cecile Emeke et avec Raphael Saadiq et Solange pour une direction musicale au top. Des personnalités pas tout à fait mainstream, mais influentes et installées dans leur domaine.

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Issa et sa BFF Molly dans Insecure

C’est peut-être dans le casting que l’effort de mettre en valeur plus de comédien.ne.s non-blanc.he.s sans trop d’exposition se voit le plus, on aperçoit plusieurs comédien.nes de chaînes Youtube que l’on suit comme Rome et Chaz, deux des six colocataires humoristes de « Dormtainment », enimaL et d’autres qui jouaient dans The « F » word, websérie réalisée par Issa Rae sur la vie d’un groupe de rap un peu à la ramasse qui essaie de percer.

Insecure et awkward black girl : pas le même combat

La grosse déception, c’est surtout la disparition du duo original que formaient J. et son amie indienne Cece, interprétée par Sujata Day, au summum de l’awkwardness,  au profit du tandem Issa et Molly. Cette dernière est l’archétype de la femme noire éduquée, au top de sa carrière mais qui galère pour se caser. Un air de déjà vu dans la série Being Mary Jane ou encore le film Think like a man. Le pire : la talentueuse Sujata Day devient un simple personnage secondaire. Dommage.

Reste que la série est drôle, même s’il nous manque un peu d’awkwardness. On est en tout cas contentes de voir que la volonté d’Issa Rae de montrer d’autres femmes noires différentes sur petit écran, a porté ses fruits. Et c’est fort et symbolique, à l’heure où Girls, l’autre série phare de HBO, créée et interprétée par Lena Dunham s’arrête définitivement après six saisons et de nombreuses polémiques autour de la représentation ou plutôt la non-représentation des femmes non blanches.

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On continuera à la suivre, en espérant qu’elle puisse développer encore d’autres récits, toujours proches de la réalité, avec une touche de fantaisie et surtout avec son humour particulier. Et que d’autres puissent apporter leur pièce à l’édifice également, qu’ils débutent sur le net ou pas.

INTERVIEW – Harold Varango, créateur de ‘Persuasif’, websérie qui questionne la morale

Harold VARANGO
Harold Varango par Jocelyn Rolland
ENTRETIEN – Vous êtes peut-être tombé, au détour d’un clic sur le net, sur la websérie Persuasif. Écrite, créée et réalisée par Harold Varango, l’histoire tourne autour de Nathanaël, personnage complexe et insondable, recouvreur de dettes efficace sans avoir recours à la violence. Produite par Arte Creative, la première saison de cette série est le « premier projet abouti » du réalisateur. L’Afro l’a rencontré.

Qu’avez-vous fait avant de devenir réalisateur ?

Tellement de choses ! J’ai d’abord été dj de 1992 jusqu’à la fin des années 90. Je composais aussi des musiques. Mais j’ai décidé d’arrêter car pour que ça marche, il faut connaître du monde, ça dépend de la bonne humeur de gens qui ne sont en plus pas forcément qualifié. En bref, il fallait trop d’intermédiaires ce qu’internet a changé.

J’ai ensuite commencé à bricoler un peu, à me former au montage autour de début 2000 ; j’avais cette idée, pas forcément justifiée, que j’y arriverai plus facilement dans l’image que dans le son.

J’ai fini par devenir régisseur, je m’occupais de la logistique de tournages, partie musclée, vous êtes le monsieur ou la madame à tout faire. L’idée, c’était de voir comment se passait un tournage. Au bout d’un moment, j’ai senti que j’avais fait le tour et pouvait prendre les commandes.

En fait, je voulais faire des films depuis le collège mais je me disais que ce n’était pas sérieux, à cause de la mentalité de mes parents africains qui me disaient qu’il fallait un vrai boulot. Je l’ai tellement bien intégré que je me suis longtemps censuré.

Dans mon esprit, je suis toujours régisseur. Il faudra beaucoup de temps, et plus de productions, pour pouvoir dire que je suis réalisateur avec conviction. C’est très précaire, comme profession …

Comment a débuté l’aventure Persuasif ?

On a tourné deux épisodes d’une première version de la série en 2010, qui étaient fin prêt en 2012. Dès le début, j’ai voulu le faire pour internet, de façon totalement indépendante. Mais il y a des personnes dans l’équipe qui ont proposé d’essayer de démarcher car je ne pouvais payer personne, l’argent servant uniquement à la logistique. Je me suis dit que je devais bien essayer même si je n’étais pas partant puisque ce n’était pas le but à la base. J’ai constaté que le monde de l’audiovisuel français est très fermé. Parmi ceux qu’on a contacté, Arte. Ils ont été intéressé mais le développement a pris du temps.

Pourquoi spécifiquement pour le web?

Je trouve que cette plate-forme permet aux choses d’aller plus vite et d’éviter de passer par des intermédiaires. On peut aussi y faire tout ce qu’on veut. La télévision en général a tendance à émasculer les choses et que ça ne nous intéressait pas. Ce que je voulais faire au départ, c’était de varier la durée des épisodes, pouvoir en faire un de 20 min, un autre 4 min … mais la chaîne a demandé du 6 min, bien que ce ne soit pas respecté à lettre. Internet est censé être un espace de liberté, si on commence à y mettre des dogmes et des formats fixes, on importe les codes de la télé.

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Comment s’est passée la collaboration avec Arte ?

Arte nous a laissé pas mal de liberté. La version finale de la série est différente de la première mais l’équipe d’Arte n’a pas dénaturé l’esprit original. Elle a été mise en ligne le 10 novembre 2015. Et 3 jours plus tard, il y a eu les événements tragiques que l’on sait à Paris et le net ne parlait bien évidemment que de ça. Donc ça a bien gâché le décollage de la série qui est un peu tombée à la trappe. On a fait nos petites vues mais il a fallu pas mal les soutenir.

Comment vous est venue l’idée du scénario ?

Je voulais raconter une histoire mais avec une continuité d’où le thème du recouvrement de dettes – qui est le fil conducteur – et le choix format série. La presse dit souvent qu’il s’agit d’un polar. Il y a effectivement une structure policière mais je ne l’ai pas écrite en me disant ça. Et d’ailleurs, un polar en dit souvent plus qu’il n’y paraît. Le cœur de la série, c’est le côté sentimental et une vraie réflexion sur la morale : qu’est-ce que c’est que la morale ? Est-ce que la morale de l’un est celle de l’autre ? Comment on se construit sa morale ? À quoi peut-elle résister ? Où est la frontière entre la morale et le légal ?

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Comment avez-vous choisi Blaise Ba pour interpréter Nathanaël, le personnage principal ?

Blaise, je le connais depuis presque 20 ans. On avait déjà fait un petit film en 2003 mais personne ne l’a vu, même pas lui , c’était du grand bricolage ! Ce qui est drôle, c’est que le sujet était sensiblement le même que celui de Persuasif et qu’il était déjà au centre du scénario mais je ne m’en étais pas rendu compte au début.

Et pour le reste des comédien.ne.s ?

Je connaissais une bonne partie des comédiens de la première version. Pour la seconde, je les ai tous rappelé, mais tout le monde n’a pas pu ou voulu revenir. On a fait pas mal de casting. Eriq Ebouaney est venu à nous, je n’y croyais pas ! Pareil pour Bass Dhem. Quand le directeur de casting nous a dit qui était venu, j’étais étonné ! Et ça nous confirme que le scénario convainc les gens, parce que si c’est de la merde, ils ne se déplacent pas. Concernant le tournage, qui a duré 20 jours, c’était dur mais fort humainement.

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Blaise Ba et Eriq Ebouaney dans Persuasif

Vous avez gagné le prix de la web série étrangère au Canada au festival de Vancouver. Est-ce que ça vous a permis d’avoir plus de visibilité ?

Pour moi, ce prix est lourd de sens : on le gagne au Canada, pays de la websérie devant plus de 50 webséries dont des américaines. Mais ce qui se passe est assez paradoxal. Le TéléObs a sorti récemment un article sur le renouveau des webséries françaises, notre travail n’a pas été évoqué. On est une des deux séries d’Arte Creative, ils parlent de l’autre, mais pas de nous. Dans les retours d’anonymes que nous avons pu avoir, certains disent même qu’ils n’ont jamais vu une production de telle qualité en matière de websérie française. On peut donc faire tout ça et malgré tout être ignoré par la presse. Quand on est un.e journaliste qui s’intéresse à l’audiovisuel, on se doit de regarder ce qu’il se passe sur le web. Car si le vent doit souffler dans le domaine, il soufflera par là. C’est là où les créations prennent le plus de risques, car il y a moins d’enjeux financiers. Et ça me paraît difficile de dire qu’on est spécialiste du domaine et qu’on n’a pas vu la série.

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À quoi est-ce que vous vous attendiez ?

Je m’attendais à ce que les gens regardent. On a fait la série en faisant des choses différentes de ce qu’on a l’habitude de voir. On l’a fait et on est appuyé par une chaîne dont le bon vouloir est rarement mis en cause voire jamais. Je ne pensais pas qu’avec ce bagage, on puisse être ignoré de cette manière-là. Cet aspect là était une mauvaise surprise pour moi et me montre que le monde de l’image fonctionne comme celui de la musique.

Vous regardez des webséries ?

Non, en ce moment parce que je n’ai pas le temps et pendant le tournage de Persuasif, c’est parce que j’avais peur d’être influencé. Mais en matière de séries, j’aimais bien Scrubs et X Files. La seule que j’ai regardé à cette période-là, c’est Mad Men. Je pense qu’elle a influencé mon projet au niveau du rythme même si les deux n’ont rien à voir. Ce que j’aime dedans, c’est le fait qu’il n’y ait pas forcément de réponse dans chaque épisode ; la narration est errante, sophistiquée, brillante. Certains ont plutôt tendance à comparer Persuasif à The Wire.

Le long-métrage, ça vous intéresse ?

Bien sûr. Ce que j’aime, c’est raconter des histoires. Si le format série me permet de le faire, ça me va. Mais ce format n’est pas une fin en soi. J’ai d’ailleurs déjà écrit un long-métrage avant de faire Persuasif car je savais que la route serait longue avant de pouvoir réaliser un premier film. J’ai voulu me servir d’internet en me disant que ce serait plus rapide et finalement il aura fallu 5 ans pour que le projet soit enfin prêt et diffusé. Pour la saison 2 de la série, il n’y a aucune certitude pour le moment mais on aimerait en faire une !

Pour regarder la série, c’est par ici .

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INTERVIEW – Racisme, afroféminisme… : Naya Ali (@laringarde) fait des vidéos

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ENTRETIEN – Y a pas que les vlogs sur le contouring, le gaming, les astuces beauté et les sketches sur YouTube, il y a aussi les vidéos de La Ringarde. Derrière ce nom se cache la journaliste Naya Ali, afroféministe revendiquée, qui parle discriminations, sexisme dans ses vidéos qu’elle réalise et monte elle-même. L’Afro l’a rencontrée.

Ça manquait en français et La Ringarde l’a fait ! La journaliste, Naya Ali de son vrai nom, ancienne de Noir et Fier et du site Madmoizelle, décrypte en vidéo les mots du racisme et du sexisme, qui touchent les personnes non-blanches en France, sans détours, avec un peu d’humour et beaucoup de pédagogie. A mettre sous tous les yeux, même si le résultat n’est pas parfait ! On a voulu en savoir plus sur cette youtubeuse qui s’affirme afroféministe, sur son parcours, ses motivations. Cinquante minutes d’entretien plus tard, nous voilà.

L’Afro :  Vous êtes un des visages de Youtube. D’où venez-vous ?

Naya Ali : Je suis née et j’ai grandi en banlieue, dans le 95, dans une petite ville où il y a beaucoup d’arbres. À 26 ans, j’y vis encore car je l’aime beaucoup !

Vous êtes passée par différents médias. Avez-vous une formation de journaliste ?

Après un Bac + 3 infocom et un master culture et médias, dans lequel on décortiquait particulièrement la télévision, j’ai écrit mon mémoire sur la représentation des femmes noires dans les magazines de mode les plus vendus et les plus connus en France, il y a trois ans. J’ai fait beaucoup de recherches, qualitatives et quantitatives ; par exemple, j’ai étudié des numéros de Vogue sortis depuis les années 70.
Surprise : il y avait plus de femmes noires qu’aujourd’hui, foncées, belles, et pas dans des postures dégradantes comme cela a pu être le cas dans les années 90 ; on se rend compte que les mannequins noires étaient très présentes, même si je n’ai pas eu la chance de rencontrer celles qui ont posé à cette époque.

C’est ce qui vous a donné envie de parler d’afroféminisme, des discriminations ? 

Si je me suis revendiquée féministe après avoir mieux compris que ce n’était pas l’image de la militante hystérique et anti-hommes qu’on nous vendait, 90% du féminisme dont on parle est blanc. En tant que jeune fille noire, je ne m’y reconnaissais pas. Comme j’ai toujours beaucoup lu, j’ai commencé à lire les théories du black feminism, l’afroféminisme en France, et je me suis sentie enfin moins seule. En français, j’ai dévoré Sois blanche et tais toi ! de Rokhaya Diallo, que je conseille pour celleux qui veulent être initié.e.s à l’afroféminisme en France.
Sinon, il y a des blogs très bien écrits sur le sujet, ou des comptes Twitter super comme celui d’Amandine Gay. Je suis très proche de ma famille, originaire des Comores, dont j’ai reçu une éducation africaine, musulmane, beaucoup de valeurs, des principes des coutumes hyper cool mais qui peuvent être très difficiles à porter quand on est une fille qui vit en France. J’étais la « rebelle ».
J’ai commencé à faire comprendre à mes parents, qu’autre chose m’intéressait, comme faire des études longues ; j’ai toujours été admirative de tout ce que ma mère savait faire, mais ce n’était pas moi. Ça a été dur de sortir de ce dans quoi j’avais le sentiment qu’on m’enfermait, la caricature de la « parfaite épouse africaine ».

Quelles sont vos expériences journalistiques ?

J’ai travaillé pour Noir et Fier. Ça a été une super expérience. Je suis arrivée dans le média, par l’intermédiaire d’un ami, qui travaillait sur l’aspect technique du site et qui m’a présenté au boss. Ce dernier m’a engagée après avoir lu quelques articles du blog -aujourd’hui disparu-, que j’avais créé à l’époque, La Ringarde dont j’ai gardé le nom pour ma chaîne Youtube, où je parlais de tout, de manière un peu décalée ; je ne suivais pas la mode, je préférais lire des bouquins. J’y suis restée près d’un an, en débutant comme rédactrice. Les derniers mois, je suis devenue rédactrice en chef et j’ai commencé à faire des vidéos sur YouTube.

La communauté noire ? Penser qu’elle existe fait du bien !

Comment êtes-vous passée de Noir et Fier à Madmoizelle ?

Une des rédactrices avait écrit un article sur une de mes vidéos. Puis Fabrice Florent, le rédac chef du site, m’a demandé d’en faire une. J’ai adoré. J’ai rejoint ensuite l’équipe pour y travailler à plein temps, en CDD. J’ai arrêté il y a près de deux mois, avant la fin de mon contrat.

Pourquoi ?

Pour me concentrer sur mes vidéos. J’avais écrit un article qui a bien fonctionné sur l’afroféminisme. J’étais super contente de voir que ça intéressait les lecteur.ice.s qui posaient plein de questions. Ça se passait toujours très bien avec l’équipe.
J’ai donc continué de faire des sujets autour des femmes, artistes noir.e.s. Certains passaient très bien, d’autres très mal. Les lectrices blanches faisaient du whitesplaining, -le fait d’expliquer des problématiques de discrimination raciale, sexuelle ou autre… à celleux qui les vivent !-, et les lectrices noires le vivaient mal, hallucinaient de lire certains commentaires, ce que je peux comprendre. Du coup, elles me disaient : « Super, ces articles, mais pas sûr que ça vaille la peine de continuer. »
A un moment, j’étais dans une impasse. Soit je restais chez Madmoizelle et je me privais de faire une partie des articles qui me plaisaient -30% à peu près sur toute ma production écrite sur le site qui touchait à plein d’autres sujets-, soit je me concentrais sur ma chaîne YouTube, -faire une vidéo de cinq minutes, ça n’a l’air de rien, mais ça demande beaucoup d’énergie-, avec des abonné.e.s suffisamment nombreux.se.s pour continuer. Je suis partie.

Naya Ali

Vos vidéos parlent beaucoup de problématiques qui touchent les Noir.e.s en France. Croyez-vous à l’existence d’une communauté noire ?

C’est un terme qu’on entend souvent chez Noir et Fier ! Penser qu’elle existe, en parler fait du bien à beaucoup de monde. Pour moi, elle existe dans le sens où on vit plus ou moins les mêmes choses, on se rassemble plus ou moins autour des mêmes choses, on peut se serrer les coudes. Par contre, je ne suis pas d’accord avec l’idée que cela veuille dire que les Noir.e.s sont tout.e.s pareil.le.s, écoutent tou.te.s du r’n’b ou du rap par exemple. On m’a souvent dit : « Tu parles comme une blanche ! » ou on a pu me reprocher de faire des « trucs de blanc » comme d’écouter des morceaux rock. Mais qu’est-ce que ça veut dire ?!
Je me suis reconcentrée sur ces termes quand j’ai travaillé dans des entreprises où il n’y avait que des personnes blanches et j’avais besoin de partager des choses avec des personnes qui me ressemblent. Retrouver certain.e.s de mes ami.e.s noir.e.s à l’extérieur était du coup libérateur, comme boire de l’eau après une grosse soif ! Communauté d’expériences, de ressentis oui, pas nécessairement d’esprit.

Quels contenus proposiez-vous au départ sur votre chaîne Youtube ? 

Des critiques de séries des années 90 notamment. Je voyais aussi qu’il y avait des chaînes de nanas super cool qui parlent d’afroféminisme aux Etats-Unis, et j’ai tenté de savoir s’il y en avait en France. J’ai même lancé un appel sur Twitter pour savoir s’il y avait des vlogueuses qui faisaient autre chose que de la beauté. À ma connaissance, il n’y en avait pas et ça m’a rendu triste. Pour moi, cela ne servait à rien de faire des articles pour ne parler qu’aux noir.e.s. et Youtube est un super vecteur pour dire des choses.  J’ai 5000 abonné.e.s, ce qui est peu pour certain.e.s., mais je m’adresse à plein de personnes différentes avec mes émissions. Je compte cependant arrêter les débriefs, car c’est très éprouvant.

À terme, je veux créer une chaîne qui parle de ces questions-là, pas forcément centrées sur les Noir.e.s et qu’on se regroupe toutes. Je connais des tas de filles qui ont des tas de trucs à dire. Je n’ai rien contre les vlogs de beauté, qui ont d’ailleurs contribuer à rendre les filles noires visibles ; je m’en inspire d’ailleurs pour me coiffer, me maquiller. Mais si elles ne font que ça parce que c’est devenu un créneau par peur de faire autre chose, je dis non (rires) ! Qu’elles aient peur de se lancer pour plein de raisons, à cause des réactions, de manque de matos – j’ai commencé avec du matériel tout pourri- : c’est pas grave, allez-y les meufs !

Sa dernière vidéo 

Combien de temps ça prend pour faire une vidéo ? 

Pour les Kezak’ Oh !, ma grosse émission avec la voix qui me pose des questions, le tournage me prend un après-midi. J’écris, ma soeur m’aide à cadrer, je monte, -c’est le plus compliqué-, je cherche des extraits que j’ai le droit d’utiliser : en tout, ça me prend 10 jours.  Pour mes vlogs, j’ai besoin d’une heure de tournage et d’une journée pour le montage.

Est-ce que l’on vous a approché pour faire des collaborations ? Diffuser vos contenus ailleurs ?

Je reçois trois messages par jour de personnes qui me disent qu’elles aiment ce que je fais, ce qui me touche beaucoup à chaque fois ! Mais pas de mail pour me dire « Merci, tu m’as donné envie de faire comme toi » ou pour collaborer. Si y a besoin, je dis volontiers quel matériel j’utilise, ou encore je peux aider à monter quelque chose vite fait !

Quels sont vos projets ? 

J’aime beaucoup ce que fait Buzzfeed, qu’on critique pour ses articles faits à la va-vite, sur sa chaîne Youtube, avec des sketches très drôles parfois. À long, long terme, j’aimerai pouvoir faire aussi de la fiction, des saynètes pour rendre les acteur.ice.s noir.e.s visibles tout en convoquant un casting métissé, quand j’aurai bien développé ma chaîne. Si vous êtes réalisateur.ce, contactez-moi (rires) !

Comment votre famille considère vos vidéos ?

Ma soeur, qui m’aide, est ma première fan ! J’ai montré la vidéo sur l’appropriation culturelle à ma mère ; elle était fière du résultat, même si quand je parle de féminisme avec elle, qui est par ailleurs très heureuse dans sa vie, elle ne comprend pas bien pourquoi je fais ces vidéos.

Et pourquoi vous faites tout ça ?   

J’aurais aimé voir quelqu’un, il y a dix ans, faire ce genre de choses. Ado, à force d’entendre des remarques désagréables, sexistes, racistes, j’étais  réellement persuadée que les filles noires valaient moins que les filles blanches. J’étais dans une haine de moi-même et j’aurai kiffé voir une meuf parler librement et évoquer les motifs qui m’auraient encouragé à m’aimer.  J’aimerais que ça aide des jeunes filles, des jeunes femmes noires qui pensent que le féminisme ne s’adresse qu’aux femmes blanches. Entre femmes, on doit être solidaire. Ce n’est pas un mec qui peut nous encourager, ce n’est pas pareil. Ensemble, les filles noires, on peut beaucoup.  Ne nous regardons pas mal dans la rue. Faisons-nous des câlins !

 

Vidéo

A VOIR – Colorisme, whitewashing*… Trois vidéos de La Ringarde pour mieux comprendre le racisme

[SELECTION] Difficile parfois de mettre des mots sur des situations que les personnes noires vivent. La sociologie, les écrivain.e.s, les militants le font et pourtant tout le monde ne les connaît pas. Naya Ali aka La Ringarde, que nous avons rencontré, fait des vidéos dans lesquelles elle vulgarise quelques concepts qui touchent des réalités que peuvent vivre les Afrodescendant.e.s.

Colorisme, whitewashing*,- le fait de nier la culture non-occidentale de quelqu’un ou de réutiliser des codes culturels, de relire l’histoire sous un jour exclusivement « blanc »-, appropriation culturelle… C’est parfois très compliqué de suivre une conversation entre afrofems françaises sur Twitter ou un colloque de spécialistes pour la.e lectrice.eur non-initié.e aux divers concepts que recouvre l’expérience d’être noir.e en France et des multiples situations de discriminations que les personnes peuvent rencontrer. Petit lexique vidéo à la mise en scène claire et travaillée par Naya Ali, que l’on remercie pour cet effort.

Sur le colorisme

L’appropriation culturelle

Le « whitewashing »