INTERVIEW – Nneka Onuorah, réalisatrice de « The Same Difference » : « Je voulais faire un film pour les femmes qui n’adhèrent pas forcément aux labels »

ENTRETIEN – La réalisatrice américaine Nneka Onuorah est invitée par la militante Pierrette Pyram et l’association afro LGBTQI Afrique Arc-En-Ciel Paris IDF (AAEC) à présenter son premier documentaire The Same Difference. Le film, indépendant et sorti en 2015, avait interpellé et séduit le public. Nneka Onuorah y fait dialoguer des anonymes et des comédien.ne.s, artistes aperçu.e.s dans Empire, Orange Is The New Black pour parler de discriminations au sein de la communauté, par rapport à leurs choix de vie.
À cette occasion, l’Afro team anime la discussion qui suivra la projection du film et a échangé avec elle pour parler du documentaire, de la France et de ce que c’est que d’être noire et lesbienne sous l’administration Trump.

Comment allez-vous ?

Très bien, je suis ravie de venir à Paris !

Si l’on vous dit que votre film nous a fait penser à The Aggressives, qu’en pensez-vous ?

The Aggressives a bien inspiré mon film. Regarder ce film m’a permis d’avoir un aperçu sur les lesbiennes se présentant de façon masculine mais je voulais faire un film pour les femmes qui n’adhèrent pas forcément aux labels et au rôle social lié au genre. Je voulais créer un espace pour les personnes qui ne se reconnaissent peut-être pas dans ce statu quo.

Comment avez-vous préparé ce documentaire ? Combien de temps cela vous a-t-il pris ? Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?

Cela m’a pris un an et demi. À l’époque, j’étais productrice chez BET. J’ai donc géré à la fois mon travail pour une grande chaîne de télévision, mon documentaire et ma mère atteinte d’un cancer. J’ai mis toutes mes économies dans ce film ; c’était la chose la plus importante pour moi. Je pense que c’est la levée de fonds qui a été le plus difficile, comme je ne connais pas de personnes riches, tout a du venir de moi.

Comment ont réagi les intervenantes de votre film la première fois qu’elles l’ont vu ?

Elles étaient contentes de constater qu’elles avaient pris en maturité avec le temps ; pas mal de points de vue ont évolué depuis la sortie du film. C’est une chose de s’exprimer sans s’entendre parler mais le documentaire a permis à chacune de vraiment pouvoir le faire et d’extérioriser leurs propos, qu’ils soient bons ou mauvais.

Y a-t-il une plus grande discussion au sein de la communauté LGBTQI noire depuis votre film ?

Oui, le film m’a permis d’ouvrir une plus large discussion. On a pu creuser certains points : pourquoi sommes-nous comme nous sommes ? Qu’est-ce qui nous a poussé à nous imposer des règles strictes ? Pourquoi est-ce si répandu au sein de la communauté noire ? Comment cela nous affecte t-il également au niveau physique et mental ?

Le fait que les gens aient une opinion si mauvaise des Noir.e.s confirme juste à quel point ils veulent nous ressembler.

Pensez-vous que l’on puisse comparer la relation qu’a un homme avec la masculinité avec celle que la communauté LGBT peut avoir selon les standards de la société ?

Oui, absolument. La communauté lesbienne utilise pas mal d’éléments de la société hétéronormative, parce qu’à nos yeux, faire partie de la norme est synonyme de liberté ; c’est tout ce qu’il y a de plus normal pour nous.

Que pensez-vous des problèmes de discriminations liés à la communauté LGBT depuis la sortie du film ?

J’ai l’impression que l’on fait des progrès. Je veux continuer à analyser, à grandir et à éduquer avec chacun des films que je réalise.

Vous disiez dans une interview pour le New York Times en 2011 que la religion était importante pour vous. Comment arrivez-vous à trouver un équilibre entre votre foi et votre orientation sexuelle ?

Je suis plutôt spirituelle. La religion pour moi est institutionnalisée. J’ai besoin de me sentir libre avant tout or, les institutions ne nous autorisent pas à être libres. Mais Dieu est amour et l’amour, c’est la liberté. Je me concentre donc sur Dieu plutôt que sur l’être humain.

« Stud », « butch », « femme », »aggressive »… trouvez-vous que ces appellations aient du sens ? Vous identifiez-vous à une d’elles ?

Je ne me donne aucune étiquette, car si je le fais, cela signifie que je dois me conformer à tout ce qui fait cette identité. C’est-à-dire que si un jour j’ai envie de changer, alors je ne serai pas libre de le faire. Comme je l’ai déjà dit, la liberté est essentielle pour moi.

Comment est-ce qu’être noire et lesbienne après l’élection de Donald Trump ?

Cela rend plus forte. Notre génération voit désormais la vérité sur ce que ce sont les États-Unis et cela nous permet de progresser et de lutter. Le fait que les gens aient une opinion si mauvaise des Noir.e.s confirme juste à quel point ils veulent me ressembler. Je suis noire, je suis lesbienne et je suis une femme ; il n’y a donc personne de mieux préparée que moi pour se battre.

Savez-vous comment se porte la communauté LGBT afrofrançaise ?

Je ne sais pas trop mais je suis impatiente de le découvrir.

Pour participer à la projection-débat le samedi 3 juin à 17h, réservez vos places avant le 30 mai ici (attention, elles sont limitées !)

Pour plus d’infos sur le déroulé de la soirée, rendez-vous ici

Pour suivre l’actualité du film : rendez-vous sur Facebook

(Photo de Joe Swift)

2017, l’espace est aux femmes noires ? : la conquête de Jeanette Epps et Fatoumata Kebe

PARCOURS – « Hidden Figures » est sorti aux Etats-Unis et raconte l’histoire de mathématiciennes noires dont on a effacé le rôle prédominant dans la conquête de l’espace. L’occasion de parler de Jeanette Epps et de Fatoumata Kebe, deux figures qui ont aussi la tête dans les chiffres et les étoiles.

Pour la première fois, Jeanette Epps, scientifique afro-américaine va rejoindre l’ISS (la station spatiale internationale). 40 ans après la sélection de Sally Ride, la première femme à avoir embarqué à bord de l’ISS, la NASA a choisi de faire appel à cette physicienne de 46 ans, détentrice d’un doctorat en ingénierie aérospatiale. Elle sera ingénieure de vol lors de sa mission de 6 mois.
Si on peut saluer cette nouvelle, on ne peut s’empêcher de se rappeler que la NASA n’a pas toujours mis en valeur ce qui revenait de droit aux femmes noires qui l’ont intégré. Le film Hidden Figures sorti aux Etats-Unis, sort le 8 mars en France et rappelle comment l’agence a invisibilisé les mathématiciennes qui ont travaillé au service de l’Administration américaine de l’aéronautique et de l’espace. Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson, interprétées respectivement par Taraji P. Henson, Octavia Spencer et Janelle Monáe ont permis aux Etats-Unis de planter le drapeau dans l’espace avant la Russie, pas moins !- et leur rôle a été totalement occulté, enterré, oublié.

C’est le cinéma qui fait aujourd’hui connaître l’importance de ces femmes. D’ailleurs, outre une nomination dans la catégorie de meilleure actrice dans un second rôle pour Octavia Spencer, le film concourt dans la catégorie meilleur film et meilleur scenario de l’année.

« Beaucoup de gens veulent devenir astronaute, la plupart ne poursuivent pas ce rêve » Jeanette Epps

Une nomination liée à l’effet Obama ?

Avant de rejoindre la 20e promotion de l’ISS, Jeanette Epps, qui a vu le jour à Syracuse, a travaillé pour Ford Motor, puis pour la CIA. En 2009, elle est sélectionnée pour rejoindre la station spatiale internationale. La même année, Barack Obama nommait Charles Bolden à la tête de la NASA, un poste jamais occupé par un.e noir.e auparavant. À noter que depuis sa création en 1958, sur 321 astronautes, la NASA a recruté 16 afro-américains, parmi lesquels  5 femmes.

jeanette-epps
Go la follow sur LinkedIn #nasaréseau

Quand Jeanette Epps a appris sa nomination, elle a déclaré : « Beaucoup de gens rêvent de devenir astronaute, la plupart néanmoins, ne poursuivent pas ce rêve ». Après avoir passé sept années à s’entraîner à la marche dans l’espace, et à l’utilisation d’un bras robotique, Jeanette Epps semble prête à prendre part aux expéditions 56 et 57 de l’ISS.
Départ prévu au printemps 2018, au Kazakhstan.

En France, Fatoumata Kebe a la tête dans les étoiles

Décider de travailler dans l’univers spatial ou de l’astronomie, n’est pas aisé quand on est une femme. Aujourd’hui encore, elles ne sont que 17% à évoluer dans ce milieu. Et qu’en est-il lorsque l’on est une femme noire, ayant grandi en banlieue ? Fatoumata Kebe, 30 ans, raconte : « Quand je suis arrivée à l’Observatoire de Paris, même au bout de plusieurs mois, on me prenait pour la standardiste. Pour eux, c’était impossible que je puisse être doctorante. » Pourtant, les faits sont là.
Fatoumata Kebe a obtenu un master en mécanique des fluides et s’est lancée dans une thèse. Son sujet d’étude : les débris spatiaux, les morceaux de fusées, de vaisseaux, ou encore les satellites polluant l’espace. Le 10 janvier à l’Institut d’Astrophysique de Paris, elle a présenté les résultats des 4 années qu’elle a dédiée à la recherche. Malgré le fait que son travail s’appuie largement sur des équations, des courbes, et des modélisations, Fatoumata Kebe a réussi a rendre intelligible son propos au plus grand nombre.

ICI ON VOULAIT METTRE LA VIDEO INSTAGRAM DE LA RÉALISATRICE AMANDINE GAY PRÉSENTE LORS DE LA PRÉSENTATION DE FATOUMATA KEBE MAIS SEULES LES SUPER LÉGENDES APPARAISSAIENT, PAS LA VIDEO 😦 CHECKEZ-LA EN CLIQUANT ICI

Jeanette Epps et Fatoumata Kebe, fortes de leur réussite dans le milieu académique, n’en oublient pas néanmoins de s’investir auprès des plus jeunes, afin de leur transmettre leur goût de la science. La scientifique française, qui a fondé l’association Ephémérides, partage son savoir avec des collégiens qui n’ont pas forcément la possibilité d’accéder à ces enseignements.