MILITANTISME – Racisme et sexisme : la cause de la cyberactiviste afroféministe @chillancezone

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ENGAGEMENT- Qu’elleux s’expriment sur la toile ou organisent des manifs, pour l’environnement, contre le “blackface” ou la “misogynoir”, les Afrodescendant.e.s militent. Cette semaine, L’Afro a parlé avec Taïna, @chillancezone, cyberactiviste afroféministe. 

Militer : vb. Agir, combattre pour ou contre quelqu’un, quelque chose. L’Afro va à la rencontre des Afrodescendant.e.s qui veulent voir changer le bout de leur rue ou du monde et inaugure sa série d’entretiens « Afro et engagé.e ». Aujourd’hui, c’est Taïna, @chillancezone, cyberactiviste afroféministe qui s’exprime. 

Qui êtes-vous ? 

Le moment fondateur qui vous a poussé à l’action ?

C’est plutôt un outil : Twitter. Y parler des micro agressions que l’on subit au travail en tant que femme noire a été pour moi libérateur. Je travaille dans un milieu qui se pense exempt de tout racisme qui y est systémique et donc plus insidieux : c’est également difficile de s’admettre à soi-même qu’il existe. Partager comment je me sentais invisible.

Depuis combien de temps vous militez ?

 Je ne milite pas vraiment. J’écris sur ce qui me touche, je participe parfois à des manifs qui me tiennent à cœur et j’essaie de baigner dans la sororité noire informelle le plus souvent : être entourée de femmes noires m’est vital.

Comment le vivent vos proches ? 

Le fait de « militer » sur Internet ne me fait pas changer mes habitudes de vie donc cela n’a pas d’incidence sur eux. J’ai  toujours eu mes idées sur ces sujets et elles se sont renforcées.  Est ce que mes proches sont d’accord avec tout ce que je dis ? Non. Respectent t-ils ma liberté de penser ? Oui. Comme c’est tout ce que je demande, je le vis bien.

Les réactions lorsque vous révélez la cause pour laquelle vous militez ? 

Lorsque je m’affirme féministe, il y a toujours deux réactions. Celleux qui pensent aux Femen alors que c’est un courant plutôt versé dans les images chocs et assez raciste. Pour moi le féminisme, ce n’est pas créer d’autres discriminations : il doit concerner toutes les femmes quelque soit la religion, la couleur de peau.

Si certain.e.s de mes interlocutrice.eur.s ne tiltent pas sur le féminisme, le mot afroféminisme fait réagir : « Oui mais pourquoi diviser ? », m’oppose-t-on. Difficile de leur faire entendre  que le féminisme blanc ne prend pas en compte -notamment- la double agression raciste et sexiste que je peux vivre au quotidien, en tant que femme noire. En France, on est prompt à parler de plafond de verre, des violences faites aux femmes. On peut reconnaître l’existence de ce sexisme-là, à demi-mot, mais parler de racisme, c’est renvoyer au passé colonial du pays et le déni sur cette question est immense.

Êtes-vous encarté.e ? Dans une association ? Dans une ONG ?  Sympathisant.e de mouvement ? 

J’ai cherché à le faire au début mais je ne me reconnais pas dans des associations anti-racistes comme SOS Racisme et co, avec des hommes blancs à leur tête, c’est quand même l’ironie poussée à l’extrême. Des associations comme Osez le féminisme, crachant sur les femmes voilées, très peu pour moi : quand t’es féministe, tu prends en compte toutes les femmes. Le Parti des Indigènes de la République, -P.I.R.-, un parti décolonial et ses textes pleins d’homophobie latente, non plus.

Etant d’origine haïtienne, j’ai trop vu à quel point les ONG, c’est juste un business comme un autre p: je n’irai donc jamais militer pour l’une d’elle. Je préfère les actions spontanées de femmes partageant les mêmes points de vue que moi. Internet a au moins ça de bien ; en deux clics, on peut trouver diverses causes qu’on veut défendre et les soutenir financièrement ou en signant des pétitions. Il y a deux ans, j’ai pris la décision de ne pas m’encarter, de ne pas faire partie d’une assoc. Je ne dis pas que toutes les assoc sont nulles, des récentes trouvent mes faveurs ; j’ai juste fait ce choix.

Quel est votre mode d’action préféré ? 

 Tous, du moment qu’on arrive à faire changer les choses que ce soit en allant aux manifs, en participant aux hashtags sur les réseaux sociaux, en mobilisant sur le net pour signer des pétitions.

Qu’est-ce qui, selon vous, empêche principalement votre cause d’avancer ? 

Pour l’afroféminisme, c’est notre invisibilité de femmes noires et ce besoin qu’ont les hommes -noirs, blancs-, ainsi que certaines femmes non blanches, à vouloir prendre notre spot. Par exemple, lors d’un grand débat sur l’afroféminisme, qui est avant tout un outil pour les femmes noires, d’autres femmes voulaient que cet outil soit pour toutes les femmes non blanches. Je n’accepte pas que certaines personnes veuillent revendiquer leur  héritage afro lorsqu’il y a des outils mis en place mais ne répondent pas présentes lorsqu’il s’agit de parler et de se battre contre des discriminations spécifiques aux femmes noires comme la misogynoir, misogynie qui touche spécifiquement les femmes noires.

Une action qui a débouché sur quelque chose d’inattendu ? 

J’admire toujours les actions que le collectif afroféministe Mwasi arrive à mettre en place  que ce soit pour aider des réfugié.e.s ou pour célébrer le 8 mars : ces femmes déchirent tout. Participer au film Ouvrir la Voix d’Amandine Gay a aussi été inattendu et révélateur pour moi.

Une action particulièrement difficile à mener ? 

 Participer à la manif contre Exhibit B en tant qu’afrodescendante a pour moi été difficile. On s’est fait gazer alors que tout ce que l’on demandait, c’était un minimum de respect pour ce que nous sommes, des êtres humains.

Le reproche qu’on vous fait souvent, lorsque vous parlez de la cause pour laquelle vous militez ? 

« Tu vois le mal partout. T’es parano. Tu donnes un style… » Pour les gens, parler racisme et sexisme, c’est trop.

La chose positive qu’on vous dit souvent, lorsque vous parlez de la cause pour laquelle vous militez ? 

Quand tu dis aux gens que t’es contre le racisme, le sexisme, l’islamophobie, l’homophobie, la transophobie ça n’a qu’un seul effet : leur clouer le bec.


Qu’est-ce que représente le fait de militer dans votre vie ?

Ma vie est politique, mon existence en tant que femme noire et le fait de l’assumer dans un monde comme le notre est l’acte le plus militant de ma vie. Cela ne représente qu’une seule chose pour moi : la liberté, le principe le plus important.

Pour suivre Taïna sur Twitter, c’est par ici

MILITANTISME – Les enfants adoptés : la cause de la militante afrodescendante Tauana Olivia Gomes Silva des Peaux Cibles

Tauana Gomes Silva
crédits : Tauana Gomes Silva
ENGAGEMENT- Qu’elleux s’expriment sur la toile ou organisent des manifs, pour l’environnement, contre le “blackface” ou la “misogynoir”, les Afrodescendant.e.s militent. Pour la première interview de ce format, L’Afro a parlé avec Tauana Olivia Gomes Silva, militante du collectif afroféministe rennais Les Peaux Cibles. 

Militer : vb. Agir, combattre pour ou contre quelqu’un, quelque chose. L’Afro va à la rencontre des Afrodescendant.e.s qui veulent voir changer le bout de leur rue ou du monde et inaugure sa série d’entretiens « Afro et engagé.e ». Aujourd’hui, c’est Tauana Olivia Gomes Silva, militante associative dans Les Peaux Cibles, un collectif afroféministe de Rennes qui s’exprime. 

Qui êtes-vous ? 

Tauana Olivia Gomes Silva, 31 ans, femme « métisse » noire, brésilienne, adoptée pendant l’enfance par une famille brésilienne, bisexuelle, immigrée, arrivée en France en janvier 2006 en tant que fille au pair, ancienne sans-papiers, étudiante, précaire. Je viens de la campagne brésilienne, d’une ville très connue d’où les personnes immigrent de manière illégale pour aller chercher du travail aux États-Unis.

J’ai choisi la France, où j’ai débarqué seule, avec quelques euros en poche pour étudier le français. À cette époque, je voyais ce pays comme celui des droits de l’homme par excellence, où tout était possible. J’avais un visa, mais je suis devenue clandestine après quelques mois sur place. Ma patronne n’a pas voulu signer mes papiers pour le renouvellement du récépissé de séjour. Pendant une période, j’ai donc travaillé chez elle en échange d’un toit et de la nourriture. J’ai rencontré un Français, avec qui je me suis mariée : notre union, dans laquelle il y a beaucoup d’amour et de soutien, tient toujours. J’ai eu ma carte de séjour et je suis retourné à l’université, où j’ai fait une licence et un master d’histoire. Je suis actuellement doctorante en histoire et travaille sur une thèse portant sur La participation politique des femmes noires dans les mouvements de gauche pendant la dictature militaire au Brésil (1964-1984).

Pour quelle cause militez-vous ?

Actuellement, je suis aussi engagée dans la lutte des enfants adoptés. Parler de l’adoption n’est pas très facile que les gens idéalisent beaucoup. Cette thématique est très importante pour moi car comme cela a été  le cas pour moi, la majorité des familles qui adoptent sont blanches et les enfants sont racisé.e.s. Les questions raciales commencent donc à la maison et les familles ne sont pas préparées à les gérer.

Depuis combien de temps vous militez ?

Depuis 2005.

Êtes-vous encarté.e ? Dans une association ? Dans une ONG ?  Sympathisant.e de mouvement ?  

Je fais partie des Peaux cibles- Collectif Afroféministe de Rennes.

Comment le vivent vos proches ?

Ils sont au Brésil et vivent très bien mon militantisme car c’est très courant chez moi. Les femmes noires brésiliennes sont mobilisées depuis la fin du XIX siècle. Ils sont aussi très fiers de moi ; que je fasse mon doctorat en France est très important pour eux. C’est un signe de réussite. Par contre, avec mes proches en France -ma belle-famille,  principalement-, on ne discute pas de ma vie de militante afro féministe.

Le moment fondateur qui vous a poussé à l’action ?

Mon retour du Brésil, où je rentre très régulièrement, en janvier 2015. En 2014 j’y ai retrouvé ma mère biologique, un frère donné aussi à l’adoption et un autre frère, décédé. Je suis toujours à la recherche de mon père biologique. Jusqu’en 2015, je ne voyais pas l’intérêt de militer ici, car je souhaitais rentrer au Brésil dans les plus brefs délais, mon séjour en France devant durer juste le temps de finir mes études dans mon esprit. Face à la grande mobilisation des femmes noires brésiliennes et mes 12 mois à leurs côtés, je suis retournée en France avec le désir de tourner mon militantisme vers le pays où je réside maintenant depuis 10 ans, une manière également de ne plus me sentir isolée en France.
Je souhaite toujours rentrer au Brésil, mais je me suis dit qu’il était temps de commencer à penser plus au pays où je me suis installée. En tant qu’immigrée, il m’a fallu pourtant neuf ans pour m’identifier avec les femmes noires « françaises ».

Quelles sont les réactions des gens lorsque vous leur révélez la cause pour laquelle vous militez ?

Avec les non racisé.e.s : C’est du communautarisme, du racisme anti-blanc, les races n’existent pas, on est tous humains, il y a des cons partout, tu es un peu parano…Heureusement, maintenant que je fais une thèse sur l’Histoire des femmes noires, j’arrive à avoir un peu plus de crédibilité. Cependant, il est toujours difficile de parler de la lutte contre la négrophobie en France.

Quel est votre mode d’action préféré ?

Les réunions, conférences, débats non-mixtes avec les différents mouvements afro-féministes en France.

Qu’est-ce qui, selon vous, empêche principalement votre cause d’avancer ?

Les discours français qui nient l’existence de la race et du racisme en France.

Une action qui a débouché sur quelque chose d’inattendu ?

La Marche des Femmes Noires Brésiliennes.

Une action particulièrement difficile à mener ?

Toute action où on doit parler de la race. Il est très difficile aussi de parler du vécu des immigrées, surtout quand on est immigré et non français. Pour beaucoup, il s’agit uniquement d’une histoire de papier, carte de séjour ou nationalité.

Le reproche qu’on vous fait souvent, lorsque vous parlez de la cause pour laquelle vous militez ?

C’est du communautarisme, du racisme anti-blanc, il n’existe pas les races, on est tous humains, il y a des cons partout, tu es un peu parano…

La chose positive qu’on vous dit souvent, lorsque vous parlez de la cause pour laquelle vous militez ?

Les blancs français, pas grand-chose !

Que représente le fait de militer pour vous ?

C’est ma vie, c’est appréhender mon histoire, préserver l’estime de soi, mon indépendance intellectuelle. C’est un moyen de comprendre les souffrances que j’ai endurées dûes à ma condition raciale et sociale, de nommer les choses.

Quelle initiative/action vous a marqué ? Pourquoi ?

La Marche du 31 octobre- Marche pour la dignité et contre le racisme. Les rassemblements des racisé.é.s font du bien. Tout ce qui est organisé par et pour nous. J’ai pu enfin être en contact avec d’autres militant.e.s racisé.é.s en France.

Une organisation/association que vous suivez de près et dont vous vous inspirez ?

En France, MWASI et Cases Rebelles.

Quel.le militant.e vous inspire ? Pourquoi ?

Toutes les militantes afro-féministes brésiliennes, Lélia Gonzales, Thereza Santos, Edna Roland, Arabela Pereira Madalena, Conceição Evaristo… Maintenant, comme cité ci-dessus, je commence à m’intéresser aux nombreuses militantes afro-féministes françaises. Pour beaucoup de ces femmes, vivre, survivre, dans ce monde raciste, sexiste, classiste, xénophobe etc c’est déjà de la résistance.

Pour suivre l’actualité des Peaux Cibles https://www.facebook.com/femmesnoiresrennes/