Naïl Ver-Ndoye, co auteur de ‘Noir entre peinture et histoire’: « Mon but est de rendre l’art accessible à tout le monde»

ENTRETIEN- Depuis le 26 mars, le grand public peut visiter l’exposition « modèle noir : de Matisse à Géricault » au Musée d’Orsay. Une exposition qui parle des noir.es en tant que sujets artistiques mais adresse également leur place dans la société française. En octobre dernier paraissait le livre « Noir entre peinture et histoire », co-écrit par les historiens et professeurs Naïl Ver-Ndoye et Grégoire Fauconnier adressant la question des modèles noir.es du XVIème au XXème siècle à travers l’Europe. Un travail de quatre ans bien venu alors qu’il reste encore difficile d’aborder les questions raciales en France. Naïl Ver-Ndoye nous en dit plus sur ses découvertes et livre son point de vue sur la difficile discussion en France sur ces questions.


Quel est le postulat de départ du livre « Noir, entre peinture et histoire » ?

Au départ, je pensais que l’histoire de la présence noire en Europe se résumait surtout à l’esclavage et à la colonisation. Je m’attendais d’ailleurs à ce qu’on trouve beaucoup de tableaux mettant en scène l’esclavage. Mais ce ne fut pas le cas car contrairement aux Etats-Unis, il ne se pratiquait pas sur le sol français. En revanche, on a trouvé beaucoup d’oeuvres représentant des domestiques. J’ai finalement découvert que des Noir.es étaient en Europe notamment suite à des échanges diplomatiques et offraient même des cadeaux, comme une girafe

Comment a été accueilli le projet par les maisons d’édition ?

Ça a été difficile de trouver un éditeur. Au début, on nous a conseillé d’aller voir des éditeurs anglo-saxons en nous disant que si le livre marchait bien, on le traduirait en français car c’est une problématique qui n’est pas traitée en France.

Y a-t-il des œuvres qui ont été particulièrement difficiles à trouver ?

On a découvert l’histoire de l’abbé Moussa, un sénégalais arrivé en France dans les années 1820 et qui a donné la messe au roi Louis-Philippe, à travers un texte. Il n’y avait pas d’images en haute définition de son portrait. Quand on a contacté le musée de Bagnères-de-Bigorre dans les Pyrénées, la toile n’était pas exposée mais stockée dans la réserve et il n’y avait pas de possibilité d’avoir de photos. On a mis un an et demi pour obtoir cette photo et pour d’autres œuvres. Finalement, notre éditeur a négocié avec le musée pour envoyer un photographe sur place. En tout, il aura fallu un an et demi pour obtenir la photo de cette œuvre. Pareil pour le tableau « Ourika » et d’autres, ce qui a en partie retardé la sortie du livre.

Quel est le but de ce livre ?

Mon but est de rendre l’art accessible à tout le monde, de démocratiser la culture et je pense qu’avec ce livre, c’est réussi. On a produit un livre que les historiens de l’art n’ont pas pu faire.

En histoire, il y a quatre périodes : ancienne, médiévale, contemporaine, moderne. Dans le livre, on traite un peu de la médiévale et surtout des deux dernières. Je pense que pour les historiens de l’art, on va se concentrer sur un courant de peinture, un artiste ou un pays. Mon objectif est de sortir de cette lecture trop académique, de ne pas me mettre de limites.

Je l’ai conçu de façon à ce qu’il n’y ait pas besoin de le lire en continu ; on pioche dedans quand on veut.

Je me suis efforcé de trouver des petites anecdotes pour chaque tableau, de partir de la petite histoire pour aborder la grande histoire. Par exemple, quand on met un tableau sur Haïti, on en profite pour placer la révolution haïtienne ; quand on voit « Othello », on parle du blackface qui existe encore aujourd’hui, quand on fait figurer le tableau « Les grands plongeurs noirs » de Fernand Léger dans la dernière partie de l’ouvrage, on peut évoquer la ségrégation dans les piscines américaines et rappeler qu’une de ses conséquences est que les noir.es sont toujours plus victimes de noyades que les blanc.hes aux Etats-Unis …

Parlons de l’exposition « Le modèle noir : de Matisse à Géricault » actuellement au Musée d’Orsay qui balayent les périodes de 1794 au XXème siècle. Dans la première salle, un panneau indique que de « nombreux titres (d’oeuvres) anciens reflètent des marqueurs raciaux datés tels que « nègre », « mulâtre », « câpresse » mais ne pouvant être d’usage de nos jours. (…) et a décidé de renommer les œuvres en mettant le nom du modèle lorsqu’il était connu. On note aussi que sous certaines œuvres les termes racistes ont été remplacés par « noir » par exemple. Qu’en pensez-vous ?

Le fait de remplacer les termes racistes se fait déjà aux Pays-Bas depuis 2015. La directrice de l’époque du Rijksmuseum à Amsterdam a décidé de remettre en question le passé colonial du pays et de passer en revue 220 000 noms de tableaux. Elle recevait beaucoup de messages de descendant.es et elle a décidé de chercher des termes « plus neutres ». Pour moi, neutre ne veut rien dire car peut-être qu’à l’époque « nègre » était neutre. Une chose est sûre : je suis contre son utilisation aujourd’hui, c’est péjoratif, une partie de la population en souffre. A partir du moment où on utilise des termes qui peuvent blesser des gens, il faut faire attention. Il y a eu tentative de réappropriation mais le mot est trop chargé. Mais la sémantique évolue et peut-être que le mot « noir » ne sera plus neutre dans le futur.

A Amsterdam, ils ont été jusqu’au bout. Il ne faut pas oublier que la plupart des artistes, à part les grands noms, n’ont pas donné les titres à leurs oeuvres, ce sont leurs proches ou autres qui vendaient les toiles qui l’ont fait. Mais si c’est l’artiste qui l’a marqué au dos, le musée laisse le titre original en dessous en indiquant « nom original donné par l’artiste » Cette réflexion est intéressante à mon sens.

J’ai d’ailleurs récemment appris l’origine de « chabin » et « mulâtre », des mots péjoratifs depuis le début puisqu’ils désignent des animaux hybrides et stériles. Informer les gens sur les sens de ces termes, c’est un travail d’éducation que nous avons.

On parle aussi d’exposition pionnière sur le sujet or elle vient des Etats-Unis.

Le Musée d’Orsay oublie d’évoquer l’exposition de 2008 « Black is beautiful, de Rubens à Dumas » au Rijksmuseum à Amsterdam qui balaye cinq siècles, intègre sept pays européens et a été réfléchi avec des membres de la communauté noire sur place.

Finalement, en France, c’est comme si on existait dans les peintures du XIXème siècle mais qu’on existait pas au XXème siècle.

Quels sont les retours concernant le livre ?

Aujourd’hui encore, on m’envoie des messages en me disant « le livre est super, j’ai appris des choses » ou pour se réjouir qu’on voit autre chose que juste des noir.es dans des positions subalternes, avec des rois, des princes, des cavaliers etc. Des personnes ayant acheté le livre se prennent en selfie avec et j’ai donc créé un compte Instagram pour les publier.

Quels sont les projets à venir ?

Le livre sera actualisé et réédité. Sinon, je continue à donner cours dans un lycée.

INTERVIEW – Adjani Salmon, créateur de « Dreaming Whilst Black » : « la spécificité fait l’universalité »

ENTRETIEN – Réalisateur jamaïcain âgé de 29 ans basé à Londres depuis cinq ans, Adjani Salmon dépeint avec sa websérie Dreaming Whilst Black le parcours de Kwabena Robinson, un jeune jamaïcain londonien qui tente de se faire sa place dans l’industrie du cinéma. Le soutien ou pas des proches, la procrastination, la page blanche, le difficile équilibre entre objectifs professionnels et vie personnelle, les problèmes financiers … Les grandes lignes de vie d’un.e créatif.ve y sont. Mais aussi le racisme et les discriminations dont on fait l’objet dans le milieu professionnel notamment quand on est issu.e d’une « minorité ». Adjani Salmon a répondu aux questions de L’Afro.

Vous avez réalisé votre première websérie, Blip online series, avec votre cousin quand vous viviez encore en Jamaïque. Que retenez-vous de cette expérience ?

C’était en 2011 et elle est encore en ligne mais elle est horrible ! (rires) il faut bien avoir en être que c’était la première fois que je réalisais du contenu. C’était bien par rapport à où j’en étais à l’époque. Je laisse mon travail sur internet pour que l’on voit mon évolution. Car beaucoup d’artistes n’assument pas ce qui a contribué à leur processus d’apprentissage et retirent leurs anciennes oeuvres pour laisser en ligne un premier film où on se dit « waouh ! c’est incroyable! » Mais j’ai évolué en tant qu’artiste. Je trouve que Blip était un concept marrant : on avait une idée le matin, on filmait le jour et on mettait l’épisode en ligne la nuit. C’est très différent de Dreaming Whilst Black. On retrouve le côté humoristique. On peut aussi déjà percevoir mon univers même si je ne maîtrisais pas encore la réalisation.

A l’âge de 14 ans, ma mère m’a offert une petite caméra avec laquelle on pouvait lire les vidéos à l’envers. On l’utilisait avec cette option avec mon cousin pour faire des films de karaté. La vie est ensuite devenue sérieuse et j’ai décidé de m’orienter professionnellement dans l’architecture que j’ai étudié en Angleterre. J’ai été diplômé à 21 ans. Quand mon cousin a fini ses études, il s’est acheté une caméra. Il était photographe et c’est là que j’ai compris qu’il était possible d’être artiste.

Comment vous est venue l’idée de la série Dreaming Whilst Black ?
Elle est le résultat d’une frustration. J’ai été diplômé d’une école de cinéma en février 2013. J’ai ensuite réalisé un court métrage, His Father’s son qui a été en compétition au sein de festivals à l’international qui permettent une nomination possible aux Oscar. Je pensais que ça suffirait. Mais ça ne change rien, ça ne rapporte pas d’argent. A l’époque, je regardais la websérie Awkward Black Girl d’Issa Rae. Un an plus tard, j’ai trouvé du travail dans la section artistique d’une grande entreprise dans l’industrie cinématographique. Puis, Cecile Emeke est arrivée sur Youtube avec sa websérie et Ackee & Saltfish. de Cecile Emeke. Je voyais ces personnes qui explosaient sur internet, qui parlaient directement à leur public et que les décideurs allaient chercher après les avoir repérées. J’ai donc décidé de tenter ma chance. Dès le début, je savais que je voulais faire une websérie. L’idée de DWB est en partie inspirée de Insecure, d’Atlanta et de Master of None, la série créée par Aziz Ansari, acteur Indien vivant à New-York sur un acteur indien vivant à New-York. Je ne pouvais pas tourner autre part qu’à Londres comme je n’avais pas d’argent, il fallait donc que mon personnage soit aussi à Londres. La stratégie était d’être le plus économe possible. Si Spielberg et vous deviez chacun.e faire un film dans votre maison, vous pourriez techniquement faire le même film. La différence sera le savoir-faire et bien sûr, les moyens puisque Spielberg a bien plus l’argent ! Une idée simple bien réalisée, c’est ce sur quoi on est parti. En termes financiers, je ne m’attendais pas à ce que ça coûte autant !

La plupart des séries britanniques avec un casting majoritairement noir parle surtout des noir.es mais ne met jamais en lumière les Blanc.hes et la question raciale de façon générale et ça change très lentement. Pour l’instant, il n’y a aucune série qui parle directement de racisme sans prendre de gants. Le plus souvent, quand ça arrive, il s’agit d’une série avec un « token », un personnage noir qui évolue seul dans un monde blanc. A Londres. Ce n’est pas réaliste! Traiter de racistes des personnes qui financent votre contenu, ça ne peut pas marcher ! Je suis indépendant et en tant que tel, je me suis dit que si je devais choisir un message à délivrer au monde, ce serait celui-là et que je le ferai avec autant de force que possible. C’est à prendre ou à laisser. Je me suis aussi dit qu’il y avait assez de noir.es en Angleterre, en Jamaïque et aux Etats-Unis qui pourraient au moins aimer la série. Mais il y a des gens qui disent que l’on a fait du racisme inversé.

On vous a dit ça ?

Pas directement mais une personne m’a fait remarquer une fois qu’il n’y avait aucun personnage blanc positif dans la série. Je lui ai répondu que c’était la vie ! (rires)

L’histoire est centrée sur l’expérience de Kwabena Robinson, un jeune réalisateur d’origine jamaïcaine et basée à Londres, comme vous. Mais la série aborde aussi la façon dont la société britannique traite les noir.es et les autres non-blanch.es. C’est le thème principal de l’épisode 2 « The Great British race off ». Pourriez-vous nous en dire plus ?

J’ai développé la série avec 4QuarterFilms (la société de production qu’il a co-fondé avec trois ex-camarades d’école de cinéma ndlr) et l’ai écrite avec mon ami Ali Hughes avec qui j’ai étudié dans la même école. Je voulais faire un épisode qui serait une métaphore de la recherche de travail car c’est ce qu’on passe le plus clair de notre temps à faire dans le monde du cinéma. On a réfléchi à la meilleure façon de mettre ça en scène. Ali a dit qu’il voulait le faire sous la forme d’une course. Là, on s’est tou.tes dit « c’est génial, faisons-le ! » Après, ça s’est compliqué. Au départ, on avait huit personnages mais le budget étant restreint, on en a gardé quatre. On a du se baser sur des statistiques prenant en compte la sexe et la race des réalisateur.ices qui ont réalisé un film en Angleterre de 1911 à nos jours; on ne pouvait pas affirmer des choses sans savoir de quoi on parlait précisément. Résultat : 94% des longs-métrages sont réalisés par des hommes blancs, 4% par des femmes blanches, 0,9% par des hommes noirs et asiatiques, 5 hommes noirs ont réalisé un long métrage et une femme indienne qui est Gurinder Chadha (Joue la pour Beckham, Coup de foudre à Bollywood). En sachant que les minorités représentent 11% de la population du pays et 40% de celle de Londres. Mais les minorités ne représentent que 8% de l’industrie à Londres. D’ailleurs, à chaque fois que je travaillais sur un tournage, j’étais le seul Noir.

Un autre sujet abordé dans DWB est la difficulté à gérer à la fois sa vie personnelle et sa carrière professionnelle. Est-ce quelque chose que vous avez vécu ?

Oui ! C’est en partie basée sur des faits personnels et Ali, qui a écrit avec moi chaque épisode, l’a vécu également. Mais ce qui nous importait surtout, c’était de raconter la relation de couple entre un créatif et une non-créative, la déconnexion qui s’opère entre les deux. C’était compliqué car on voulait que le personnage principal, Kwabena, soit un personnage noir non stéréotypé mais on devait lui trouver des défauts et on voulait éviter certains clichés du type dealer, pauvre, abusif … Finalement, Kwabena est un homme passif, qui a du mal à gérer son temps. Au fond, c’est un bon gars qui prend de mauvaises décisions.

Le casting de Dreaming Whilst Black (de gauche à droite Dani Moseley (Amy Akinsanya), Anyebe Godwin (Toby Oyasodun), Adjana Salmon (Kwabena Robinson), Tomisin Adepeju (Maurice Henry) et Vanessa Clarke (Vanessa Vanderpuye)

Comment avez-vous choisi vos acteur.ices ?

Les personnages principaux devaient être de vrai.es comédien.nes professionnel.les que ce soit pour le rôle de Vanessa, d’Amy, de l’oncle … sauf moi qui joue le rôle principal car nous n’avions pas le budget pour engager quelqu’un.
Presque tous les figurants sont des proches. Par exemple, la femme qui joue ma mère est la mère d’un ami. La dizaine de figurants de l’épisode 8, qui a été tourné en une prise, a accepté de participer gratuitement. On les a appelé et on leur a demandé s’ils étaient d’accord. Ils se sont vraiment donné et les acteur.ices ont même réduit leur salaire parce qu’iels croient au projet. Pareil pour mon amI qui nous aide avec les t-shirts et pulls portant le nom de la websérie ; je lui ai expliqué que je ne pouvais pas le payer, il m’a dit qu’il n’y avait pas de souci, qu’il me suffisait de le mentionner comme producteur, qu’il pense que la série va marcher.

Votre famille vous a-t-elle soutenu quand vous avez décidé de vous lancer dans une carrière de réalisateur ?

Pas du tout. L’épisode 4 « Family Dinners » est inspirée de ma famille. Il n’y a que ma mère qui me soutient dans l’ombre, en me prêtant mais elle se demande si j’ai pris la bonne décision. Elle ne m’a tout de même jamais dit d’arrêter. Son plus grand souci, c’est que je sois indépendant et que j’ai une situation stable. Elle sait bien que le milieu que dans lequel j’ai choisi de travailler ne permet pas de stabilité.

Vous avez expliqué dans une interview publiée en mars dernier sur le site Jamaica Gleaner que pour financer le projet, vous avez utilisé vos fonds propres puis utiliser l’argent de l’hypothèque de votre mère.

En poste dans cette grande entreprise de cinéma, j’ai pu facilement économiser de l’argent, je ne payais pas de loyer, je mangeais sur les plateaux de tournage … Pour les deux premiers épisodes de DWB, j’ai utilisé cet argent. Il a vite été dépensé ! Avec l’équipe, on s’est demandé comment on allait faire. On s’est dit qu’il fallait continuer puisqu’on était lancé. Ma mère économisait pour acheter une maison. Je lui ai demandé si elle pouvait m’en prêter à plusieurs reprises. Il me semble que les deux premières fois, je lui ai remboursé assez rapidement. Elle m’a demandé si je pensais que le projet marcherait. Je lui ai expliqué que le projet marcherait, que rien de tel n’avait encore été en Grande Bretagne et que je lui rendrai son argent avec intérêt. J’ai toujours cru en ce projet. Ma mère m’a aussi demandé combien de réalisateur.ices noir.es s’en sortaient. Je lui ai expliqué que 5% de diplômés d’école de cinéma réalisaient un long métrage mais qu’en ce qui concerne les noir.es, le nombre est tellement bas qu’on ne peut pas en faire un pourcentage. Elle m’a ensuite demandé pourquoi je pensais le suivant ? Je lui ai répondu que je ne savais pas mais que je croyais vraiment pouvoir y arriver.

Pouvez-vous nous en dire plus sur 4quarterfilms, la société de production que vous avez co-fondé ?

La majorité de l’équipe est composé d’ancien.nes camarades de l’école de cinéma qui sont réalisateur.ices. Chacun.e tentait de s’en sortir de son côté avant qu’on ne décide de travailler ensemble et de créer notre boîte de production. Quand j’ai voulu faire DWB, j’ai appelé Ali Hughes pour m’aider à écrire car je connais mes compétences et celles que je peux améliorer. L’écriture n’est pas naturelle pour moi alors qu’Ali est bon dans ce domaine. Il a accepté ce qui m’a paru étrange car c’est le mec le plus blanc que je connaisse (rires).

C’est-à-dire ?

Je suis allé le voir à Oxfordshire où il a grandi (situé dans le sud-est de l’Angleterre ndlr), j’étais le seul noir du coin et les enfants me fixaient. Un jour, j’ai trouvé Ali en train de lire Why I’m no longer talking to White people about race
(traduit en français par Le racisme est un problème de Blancs) de Reni Eddo-Lodge et je lui ai demandé pourquoi il lisait ce livre. Ce à quoi il m’a répondu qu’il écrivait une série sur les Noir.es. Il comprend ces choses-là. Il y a aussi Natasha qui est une femme asiatique et qui a tenu à réaliser l’épisode 2 car elle se sentait proche de l’histoire.

L’équipe de 4quarterFilms (de gauche à droite : Adjani Salmon, Laura Leixas, Natasha Jatania et Maximilian Evans)

La websérie DWB est-elle destinée à une audience en particulier ?
Je crois au pouvoir de la niche ; il faut qu’une personne en particulier soit atteinte avant que tout le monde puisse l’être. Je dirais donc que le programme est destiné en premier lieu aux créatif.ves issu.es des minorités, aux minorités en second lieu et enfin aux créatif.ves en général. Je n’ai jamais été en Italie mais j’adore les films de Sorrentino, j’arrive à m’identifier à ce qu’il raconte. La spécificité d’un lieu est ce qui le rend universel car il est question de problématiques auxquelles tout le monde peut être confronté.

Un conseil pour celleux qui souhaiteraient se lancer dans la réalisation ?
N’attendez pas que quelqu’un vous valide, faites vos propres contenus. Ce qui est encore très important pour moi aujourd’hui est de continuer à apprendre, tout le temps. Quand j’étudiais le cinéma,
Chung-hoon Chung, le directeur de la photographie du film Old Boy est venu faire une masterclass durant laquelle il a dit une chose essentielle : « faire du cinéma, c’est parler de la vie. N’étudiez pas le cinéma, étudiez donc la vie ». Il faut étudier la psychologie, lire comprendre ce qu’est le marketing, le story telling …

Une dernière chose : faites avec ce que vous avez, utilisez toutes les ressources dont vous disposez au maximum. Par exemple, si vous n’avez personne pour prendre le son, faites un film muet ! Si vous n’avez qu’une maison de disponible, faites en sorte d’adapter votre film à cette contrainte. C’est ce qu’on a fait avec Dreaming Whilst Black.

Quels sont les projets futurs ?
Avec 4QuarterFilms, on prépare la saison 2 de DWB en format télé. Nous avons déjà rencontré cinq sociétés britanniques mais rien n’a encore été signé.
Nous voulons prouver que nous pouvons faire en sorte que ça marche. Nous avons obtenu 15 nominations officielles et 9 prix à des festivals. On travaille aussi sur d’autres concepts de webséries et sur deux longs métrages ; un dont le tournage est prévu en mai et sera réalisé par Natasha et le deuxième sera réalisé par Laura et sera tourné entre le Portugal et le Brésil avant la fin de 2019. Enfin, on a un projet de court métrage.

Un mot de la fin ?

On aimerait pouvoir prendre plus le temps dans la saison 2 de développer davantage les personnages et continuer à faire du contenu qui apporte un récit différent de ce qu’on voit habituellement dans les médias britanniques concernant les minorités. On souhaite que DWB inspire d’autres personnes à faire de même. Et cette seconde saison prend une toute autre direction que la première …

Portrait – Djeneba Aduayom ou l’art de la photographie empathique

L’ex-danseuse et désormais photographe franco-togolaise basée à Los Angeles Djeneba Aduayom expose pour la première fois cette année à la Foire d’art contemporain africain AKAA au Carreau du Temple. Elle y présente des pièces de sa série « Capsulated » du 9 au 11 novembre . Portrait d’une artiste introvertie en quête de l’humain.
Avec la photographe Djeneba Aduayom, il faut du mouvement ! Pas étonnant quand on sait qu’avant de dégainer un Canon 5D, elle a suivi une carrière de danseuse, auprès de Prince, Tina Turner, Robbie Williams … jusqu’à ce qu’une opération de la hanche et du genou suite à une grave blessure l’oblige à envisager une reconversion professionnelle. Elle a cependant encore besoin que ça bouge. C’est à ce moment-là qu’elle se met à la photo. Et plus elle shoote, plus elle y prend goût. « Je cherchais quelque chose qui me passionne autant que la danse. Comme j’avais fait de l’architecture d’intérieur, je pensais que ce serait ma carrière numéro 2 mais quand j’ai découvert la photographie, ça m’a mis dans une espèce d’émotion … j’ai donc pris toutes mes économies et j’ai acheté un appareil photo et de belles lentilles. » L’aventure photographique débute il y a 9 ans.
Le mot d’ordre de Djeneba, photographe autodidacte ? La discipline.
A l’âge de six ans, alors que sa famille vit au Togo, elle exprime un voeu clair, net et précis : elle sera danseuse internationale ! Ses parents l’inscrivent à des cours de danse classique. Elle poursuit son apprentissage lorsque sa famille s’installe à Paris quelques années plus tard et toujours plus exigeante, elle réclame une formation d’un niveau supérieur. La voilà inscrite au Lycée Racine option danse. A l’âge de 16 ans, elle s’envole seule vers les Etats-Unis effectuer un stage à New-York. Elle travaille par la suite avec des compagnies de danse dont celle d’Alvin Ailey pour un ballet avant de rentrer dans le monde commercial auprès de grandes stars, des clips vidéos aux tournées internationales. « Des moments exceptionnels ! »
Pour l’amour du mouvement oui, mais pas à n’importe quel prix. Pas de place pour le désordre, il se doit d’être sensé car dans chaque cliché, il y a une intention. D’où la recherche parfois du « mouvement calme » où les modèles ne sont pas nécessairement en train de bouger mais où il y a ce qu’elle appelle « une respiration dans la personne ». « Je suis intéressée par le fait d’extraire des couches d’humanité, des couches d’émotions de l’intérieur d’une personne plutôt que de les faire poser ou de leur faire faire des mouvements qui n’ont ni queue ni tête. » Bienvenue dans la « poésie visuelle » de Djeneba Aduayom.

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« The arrival » de Djeneba Aduayom (Source photo : Galerie Number 8)

Elle s’est notamment fait remarquer pour sa série « Capsulated », publiée sur le site de Vogue Italia en avril dernier. « Le projet est né d’un mix entre mon expérience personnelle et celles des modèles. Je suis très timide même si on ne dirait pas. Faire un show sur une scène devant 60 000 personnes, ce n’est pas un problème pour moi, la scène étant comme une bulle mais danser en boîte, j’en suis incapable ! Etant en plus une artiste et un peu dyslexique, il m’arrive d’avoir l’impression d’être mal comprise. J’ai du apprendre à m’exprimer. J’ai donc souvent eu l’impression d’être dans une bulle. J’ai également rencontré des personnes rejetées de par leur couleur de peau, qu’elles soient foncées de peau, atteinte de dépigmentation ou d’albinisme. Parfois, cela provoque une tristesse chez elles. Il était également pour moi qu’elles soient dégenrées et que le public en posant leurs yeux sur les photos, entre dans cet univers, en apprécie la beauté, sans voir le genre et la couleur du modèle. »
Représentée par Galerie Number 8 qui se focalise « sur l’esthétique noire et la diversité dans la photographie et les techniques mixtes », Djeneba est la fille d’une mère franco-italienne et d’un père togolais. « Je suis à la fois blanche et à la fois noire. Mes modèles le sont aussi. J’ai la chance d’être métisse et de savoir parfaitement qui je suis ».
La photographie est avant tout pour elle une affaire de rencontres et de ressentis. Le choix de ses sujets se fait au coup de coeur ; « je ne suis pas attirée par les personnes qui sont belles et qui n’ont rien à donner mais plutôt par celles qui ont quelque chose dans leurs yeux que je ne peux pas ignorer. Etant empathique, je ressens assez facilement ce qu’une personne peut porter comme émotion sans forcément qu’elle le sache. » La bienveillance et la délicatesse sont palpables dans ses clichés. Elle se félicite d’ailleurs de réussir à capter une partie de leur émotion dont ils n’ont parfois pas conscience.
Basée à Los Angeles depuis 2009, l’artiste n’a pas fini de faire parler d’elle. Elle a été commissionnée par Time Magazine pour l’édition de décembre, chargée de réaliser une série de photos avec une sélection d’artistes choisies par Ava Duvernay qui en sera la guest editor. Elle a également prévu de s’essayer à l’autoportrait, un véritable challenge pour l’introvertie qu’elle est.

INTERVIEW – Ayana V. Jackson, photographe : « Je dois défendre mon travail mais aussi mon corps »

ENTRETIEN – Ayana Velissia Jackson séduit le monde avec ses oeuvres singulières. L’artiste américaine et ses autoportraits, dans lesquels elle se glisse dans le corps de femmes noires, illustres ou inconnues, de toutes les époques, sont de retour à Paris.

Nous avions rencontré Ayana V. Jackson en mars 2017 à l’occasion de la foire Art Paris Art Fair où elle a exposé. Sa série « Intimate justice in the stolen moment » est à découvrir à la galerie Baudoin Lebon dès ce vendredi 16 février et ce jusqu’au 7 avril 2018. Elle a étudié la sociologie et s’intéresse de près à l’histoire et à la représentation des corps noirs en se mettant elle-même en scène dans ses propres oeuvres. De ses débuts en tant que photographe, sa vie entre New York, Paris et Johannesburg, les défis liés au fait d’utiliser son corps dans son travail, à ses inspirations … On a pu poser quelques questions à cette artiste à l’oeuvre déjà foisonnante.

Comment avez-vous débuté dans la photographie ?

Mon père était un grand amateur de photographie. C’est une activité qu’on pratiquait régulièrement ensemble. J’ai fini par prendre des cours à l’université.

Quels ont été les premiers sujets de votre travail ?

Je me suis d’abord intéressée aux artistes Hiplife à Accra, aux musiciens du festival Afropunk à New York – j’ai travaillé en freelance pour des magazines lifestyle quand j’avais la petite vingtaine. Puis, j’ai travaillé sur « African by legacy, Mexican by birth » -Africain par héritage, Mexicain de naissance, ndlr-, un projet collaboratif avec Marco Villalobos. Cette série a conduit à une étude plus approfondie des populations afrodescendantes en Amérique latine. Sans oublier les conduct.eur.rice.s de matatu -taxis partagés- au Kenya, les artistes, activistes, intellectuel.le.s et étudiant.e.s en Afrique du sud après 1994, les artistes hip hop et graffeurs à Paris et j’en passe.
Ce qui est certain, c’est que je me focalisais sur les Africain.e.s et afrodescendant.e.s, en faisant bien attention à représenter le corps noir de façon dynamique et globale, pour rompre avec les récits qui associent ces personnes à un fort taux de mortalité, aux maladies, à la violence, à des victimes, ce que j’ai beaucoup entendu durant ma formation.

« Je ne suis ni latina, ni africaine, mais je sais ce que c’est que d’être noire »

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« Demons/Devotees I » par Ayana V. Jackson de la série « Archival Impulse » / Galerie Baudoin Lebon

Selon vous, ces travaux, qui vous ont permis de travailler à la fois sur le continent africain et auprès de la diaspora en Amérique latine et en France, ont-ils ouvert un autre type de discussion entre les résidents du continent et les afrodescendant.e.s ?

Absolument. A l’époque, je cherchais à élargir mon champ. En tant qu’américaine noire ayant grandi aux Etats-Unis, j’avais conscience des limites de nos médias et de notre éducation. J’ai longtemps connu mon père musicien , avant qu’il ne devienne avocat. Son groupe jouait de la musique du Ghana et d’Afrique de l’ouest en général, mais aussi du Brésil, et d’autres styles comme du jazz, du hip-hop, mais il les connectait entre elles comme des musiques issues de la diaspora. Très vite, j’ai su que l’histoire des Américain.e.s noir.e.s n’était qu’une partie de l’Histoire. Quand j’en ai appris davantage sur les communautés noires vivant dans d’autres régions des Amériques, comme le Mexique, le Venezuela, le Nicaragua et que j’ai rapporté les photos que j’y avais prises, ça a choqué du monde ! Ces personnes-là ne se rendaient pas compte que la traite des esclaves avaient été aussi étendue. De même pour le hip-hop au Ghana, les gens ne réalisaient pas que la voix de l’Amérique noire, à travers cette culture, avait porté si loin.

Ces personnes qui étaient si choquées, était-elles blanches ? Noires ? Les deux ?

Les deux. Par exemple, quand j’ai exposé à la Banque Mondiale, un des cadres blancs m’a dit : « Waouh ! J’ai travaillé dans cette région pendant 20 ans et je ne savais pas qu’on faisait du hip hop là-bas ! » En parallèle, les concierges ghanéen.ne.s qui faisaient le ménage pendant que j’accrochais mes photos étaient impressionné.e.s et très conten.t.e.s de voir Lord Kenya et Obrafour, des artistes Hiplife, affichés sur les murs. Iels voulaient savoir comment je les avais connu.

Je pense que cela a pu permettre d’ouvrir les esprits à la fois des noir.e.s et des non-noir.e.s. La plupart se demandaient « mais comment se fait-il que je ne savais pas ça ? »

Pourquoi, selon vous, ne savait-iels pas ces choses-là ?

On se contente de ce qu’on nous a dit… sans remettre cela en question. Que ce soit ce qu’on nous a appris à l’école, ou les informations dont les médias nous bombardent à longueur de journée. Il faut dire que tout le monde n’a pas le privilège de voyager. Alors on croit ce qu’on voit, lit et entend. Et si ces autres récits ne sortent pas -ou qu’on ne va pas pour les chercher- , on ne peut pas faire grand-chose. C’est ce que j’essaie de faire en partie avec mon travail : encourager une réflexion critique plutôt que de la passivité.

Suite à des expériences vécues au sein de ma famille, je savais qu’être noir.e était bien plus que ce qu’on m’avait montré. J’ai eu la chance d’avoir des ressources qui me permettent de voyager et de le voir.

Quand avez-vous voyagé pour la première fois ?

Je ne m’en souviens pas, ma mère était hôtesse de l’air. J’ai voyagé toute ma vie.

Mon premier voyage sans ma famille, c’était à 12 ans en Espagne avec ma classe. Plus tard, j’ai étudié à la fac en République dominicaine et en Argentine. En ce qui concerne ma première fois en Afrique, j’avais 24 ans.

J’ai toujours été habituée à vivre entre deux endroits. Mes parents étant divorcés alors que j’étais enfant, je vivais entre deux villes.

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Ayana V. Jackson devant ses oeuvres « Lucy » et « Anarcha » de la série « Intimate Justice in the stolen moment » à Art Paris Art Fair (mars 2017)

Vous vivez actuellement entre New York, Johannesburg et vous venez souvent à Paris. Le fait de se trouver régulièrement entre 3 continents aide-t-il à nourrir votre travail ?

Absolument. Je rencontre tout le temps de nouvelles personnes avec qui je partage des expériences, des idées. Montrer mon travail dans des contextes différents m’aide aussi dans mon rapport à mon travail.

Quand on s’est rencontré au Art Paris Art Fair en mars 2017, vous m’aviez dit que votre regard en tant qu’américaine regardant des Africain.e.s avaient été questionné par un ami blanc. Pouvez-vous expliquer ce qu’il a dit et comment vous avez réagi ?

C’était quelques années avant que je n’utilise mon corps dans mes oeuvres. J’étudiais à Berlin quand mon « regard d’américaine » a été remis en question. Je travaillais donc sur le Mexique et le Ghana. Il m’a interrogé sur le fait que je ne photographie que des africain.e.s et afrodescendant.e.s et m’a demandé, pourquoi est-ce que je pouvais le faire alors que je n’étais ni originaire d’Amérique du sud ni africaine -je suis donc une personne extérieure, tout comme lui, en tant qu’homme blanc- sans que cela ne soulève de question. Je me suis défendue en lui expliquant que l’une des choses que je partage avec toutes ces personnes est l’expérience de vivre dans un corps noir. Je reconnais que je ne suis pas une personne de l’intérieur mais j’ai une autre relation avec les femmes et hommes afrodescendant.e.s que lui n’a pas. Je trouve que c’est une question intéressante. C’est quelque chose qui m’habite encore à chaque fois que je prépare un nouveau projet; je me demande pourquoi je suis si sensible à la façon dont je représente le corps noir, pourquoi je choisis de photographier les afrodescendant.e.s d’une certaine manière, ce que j’essaie de faire.

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« Tignon » par Ayana V. Jackson de la série « Intimate justice in the stolen moment » / Galerie Baudoin Lebon

A quel moment avez-vous débuté les autoportraits ?

Mes premiers autoportraits, ou plutôt performances-car je ne me représente pas moi-même mais je me glisse dans la peau d’autres personnes- remontent à 2009 avec la série « Leapfrog (a bit of the other) Grand Matron Army » [Saute-Mouton (un peu de l’autre) L’Armée de la Grande Matrone], que j’ai commencé après avoir obtenu une résidence à Paris. Pour la première fois de ma vie, je me retrouvais dans un atelier à proprement parler et j’ai dû réfléchir à la manière dont je devais l’exploiter.

À de nombreuses reprises, dans des cercles élitistes, blancs, riches, j’ai été considérée comme un objet d’étude anthropologique ou comme une bizarrerie et j’en ai eu assez. Dans ces moments-là, j’aurais aimé pouvoir me multiplier et devenir toutes les femmes actives que je connaissais, pour les présenter à ces gens afin qu’ils sachent que les noir.e.s complexes, éduqué.e.s, et ayant voyagé existent… On pourrait alors parler de la pluie, du beau temps ou, que Dieu nous en garde, de l’art, comme des gens normaux.

La série « Leapfrog » est le résultat de cette envie de pouvoir me multiplier, alors, c’est ce que j’ai fait.

Qu’est-ce qui est le plus compliqué dans le fait de se mettre en scène dans ses propres oeuvres ?

Le plus compliqué est non seulement de défendre mon travail, mes choix, mes recherches, mes compétences mais aussi mon apparence physique et toutes les questions relatives à mon corps. On m’a par exemple posé des questions sur ma « beauté ». Comment dans « Archival impulse » (ndlr : série qui utilise des archives photographiques datant de l’expansion coloniale en Afrique et dans les Amériques entre le 19ème et le 20ème siècle) et « Poverty pornography » (ndlr : série autour de la représentation de la pauvreté dans les pays dits du sud et les clichés racistes), j’évoque des histoires très douloureuses, problématiques et peut-être aussi bien laides. Mais tout cela, selon ces personnes, en mettant en avant un beau corps ou un beau visage. Tout cela semble incompatible pour certain.e.s.

C’est fatigant d’être encore confrontée à cela car les questions que je pose dans mon travail repose sur bien plus qu’un corps. Cela est révélateur de leur relation à mon corps et aux corps qu’il représente quand je me mets en scène. Je suis retenue en arrière par ces traumas sur lesquels j’essaie de travailler. Dans ces moments-là, je suis bouleversée.

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« Death » par Ayana V. Jackson de la série « Poverty pornography » / Galerie Baudoin Lebon

Dans quels pays africains avez-vous exposé votre travail ? Comment le public l’a-t-il reçu ?

J’ai exposé en Afrique du sud, au Nigeria, au Sénégal, au Mali. A chaque fois, mon travail a été bien reçu.

En Afrique du sud, cela dit, c’était comparable aux Etats-Unis ; les gens ont plutôt apprécié « Archival impulse » et « Poverty Pornography », mais en même temps, ils étaient troublés et préféraient ne pas « se souvenir ».

Il n’y a qu’au Nigeria que mon travail a été perçu d’une façon totalement différente. C’était surprenant. Iels ne s’identifiaient pas à travers ces traumas et voyaient donc autre chose.

Quel.le.s artistes vous inspirent ?

Carrie Mae Weems, Rembrandt, Claude Cahun, Vermeer, Lorna Simpson, Ike Ude, Gilbert et George.

Vous pouvez retrouver le travail d’Ayana V Jackson sur Instagram https://www.instagram.com/ayanavjackson/
son site internet : https://www.ayanavjackson.com/

[SPOILERS ALERT] #ACHAUD Le film « Black Panther » est-il aussi flamboyant qu’annoncé ?

SPOILERS ALERT – Depuis des mois, on en a vu des bandes-annonces et des images de ce Black Panther, mettant en scène le premier super héros noir issu de la famille Marvel. Le temps de bien apercevoir le casting canon, composé notamment de Lupita Nyong’o –12 years a slave, Star Wars-, Chadwick Boseman –Get on Up…-, Angela Bassett –What’s love got to do with it ?, Exhale, etc- ou encore Michael B. Jordan –Fruitvale Station, Creed…- les décors et des costumes à couper le souffle, une histoire qui se déroule entre l’Amérique et l’Afrique en rendant hommage à ce continent, avec ingénuosité. On a vu le film et on vous dit -dans les grandes lignes- ce qu’on en a pensé.
Black Panther, c’est l’histoire du premier super-héros noir chez Marvel, T’Challa, qui, après la mort de son père devient roi du Wakanda, un pays pacifiste et riche, situé en Afrique. Ce dernier possède des technologies uniques au monde et des ressources rares. Parmi lesquelles, le vibranium, extrêmement convoité -toute ressemblance avec des faits réels sera fortuite 😉 -. Le jeune monarque se retrouve face à une tâche délicate : protéger son peuple d’ennemis cupides.

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T’Challa joué par Chadwick Boseman / The Walt Disney Company France

 

 

 

Un vrai divertissement
Loin d’être des inconditionnelles des histoires de super-héros -les ressorts dans les histoires en général étant souvent les mêmes finissent par nous ennuyer-, on a été diverties du début jusqu’à la fin. Le film est très bien rythmé , le jeu de l’ensemble des act.eur.rice.s est expressif. On est passé par toutes les émotions… Bref, on s’est laissé transporter. Sans oublier l’esthétique au top ; des effets spéciaux, aux costumes, en passant par les décors et la flamboyance du casting afrodescendant – venu des quatre coins de l’Europe et des Etats-Unis, saurez-vous d’ailleurs reconnaître Isaach de Bankolé ?-… Ca fait du bien ! Même si les superhéro.ine.s, ce n’est pas votre truc, vous allez obligatoirement être pris.e.s au piège.
De l’importance des femmes

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Danai Gurira, Lupita Nyong’o, Florence Kasumba -Walt Disney / Marvel

 

 

Que ce soit Nakia -interprétée par Lupita Nyong’o-, Okoye -jouée par Danai Gurira- ou Shuri -personnage dans lequel s’est glissée Letitia Wright-, les personnages féminins sont bien écrits et développés. Les femmes sont des personnages-clés : elles apportent les solutions. C’est par exemple Nakia qui a le -bon- réflexe de taper à la bonne porte lorsque son amour T’Challa est laissé pour mort au cours d’un duel avec son cousin américain. C’est Okoye, meilleure guerrière du pays au service du roi, qui poussera son mari W’kabi -interprété par Daniel Kaluuya- à l’âme vengeresse à rendre les armes ou encore Shuri la soeur du monarque qui permettra, grâce à ses innovations technologiques, de sauver des vies et le royaume en question. Tout cela en étant cool, stylées, déterminées, touchantes et sacrément efficaces.

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Letitia Wright joue Shuri / Marvel Studios 2018

 

 

Accents et sons afro
On a un peu tiqué en entendant une petite partie de la bande-son, mélange de tam tam et de voix un rien cliché. On a dû s’habituer aux accents « wakandais  » des comédien.ne.s américain.e.s. Pourquoi ne pas avoir laissé le cast parler avec leur accent habituel plutôt que de forcer le trait ? Le cinéma est un monde d’imaginaire et le décor est bien planté – dans un pays africain, c’est assez clair-, on aurait donc pu comprendre de toutes les façons, non ?
Diaspora

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T’challa (de dos) affrontera bientôt Erik Killmonger / Marvel Studios 2018

 

 

La dualité entre T’Challa, enfant du pays, héritier logique du trône, et Erik Killmonger, joué par Michael B. Jordan, le cousin américain privé de son père durant son enfance par son oncle et abandonné, cristallise une vision : celle des rapports, complexes, que l’on peut entretenir avec un endroit où nos ascendant.e.s sont né.e.s. Le différend des deux personnages -outre le fait de pointer que l’ennemi vient souvent de l’intérieur- repose sur les sentiments de celui qui a connu, est né, a grandi, a quitté, est revenu sur la terre où sont nés ces parents -T’Challa- et de celui qui ne la connait pas, l’a fantasmé et rêve de la conquérir -Erik-. Le premier a la mission de ne pas galvauder ses traditions tout en accueillant l’autre alors qu’accepter cette identité hybride est un combat difficile pour le deuxième semble nous dire le film.
Erik Killmonger reçoit le coup fatal porté par T’Challa et demande à ce que son corps soit jeté dans la mer pour rejoindre ses ancêtres. Ce geste rappelle comment ils se jetaient des bateaux après avoir été capturés pour être mis en esclavage et préféraient mourir plutôt que de vivre enchaînés. Belle façon d’évoquer cette partie de l’histoire des afro-américain.e.s. Ou on ne peut voir dans tout cela que de belles bagarres, de belles paroles coincées dans le beau décor de Marvel qui fera date.
Nous divertir, nous faire réfléchir ; Black Panther a -plus que- fait le boulot.