Gisèle Mergey, Fraîche Woman 2019, entrepreneuse : « la réussite, c’est moi »

Nous avions entendu parler il y a un bon moment de la Body Academy.
Enfin une école de coiffure inclusive, permettant d’acquérir tous les fondamentaux quant aux spécificités des cheveux crépus, frisés et tous les autres ! L’une d’entre nous y avait même été pour ses cheveux, un jour où les étudiant.es, accompagné.es de professeur.es, reçoivent des client.es. Une expérience venue confirmer la nécessité d’un tel projet dont on se demande pourquoi il n’a pas existé plus tôt en France. Plus tard, il nous a semblé comme une évidence que Gisèle Merger, la fondatrice et directrice de l’école, figure dans le projet. C’est au cours d’une séance de coiffure qu’on a pu réaliser cette interview, en compagnie d’une des professeures et d’une étudiante, un vendredi ensoleillé dans les anciens locaux situés à Noisy-le- Grand.

Les 8 #fraicheswomen de l’édition 2019 ont chacune leur avis sur la thématique de cette seconde édition du projet photo, à savoir la « black excellence », -preuve que les Noir.es ne devraient pas être essentialisé.es -et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous avons créé L’Afro le 31 octobre 2015 ;). Certain.es parmi vous se retrouveront dans leurs propos, d’autres les rejetteront en bloc. Quoiqu’il en soit, nous voyons là, comme pour la première édition, l’opportunité d’en discuter avec elles, avec vous.

La genèse du projet

« J’étais dans une période où je cherchais ce que je pouvais bien faire de ma vie. Je voulais entreprendre mais je cherchais dans quel domaine. La vie a fait que j’ai retrouvé une amie d’enfance qui avait son propre salon avec qui j’ai discuté. Elle m’a appris que lorsqu’elle a passé son diplôme, il n’y avait pas du tout de formation pour cheveux afro et que pour avoir une telle formation, il fallait aller aux Etats-Unis ou à Londres. »

La réaction des gens aux prémices du projet

« Les personnes qui me connaissaient dans mon domaine professionnel d’avant ont été choquées !Auparavant, je travaillais dans le secteur de la finance et mes collègues ignorait cette partie de moi. »

« Au départ, je disais ‘c’est un centre de formation afro et on me répondait « ah c’est un salon de coiffure afro ! Il est situé où ?’ Il s’agit pourtant d’une école. Dans nos esprits, on n’a pas besoin d’apprendre comment maîtriser le cheveu afro. Apparemment, il s’agirait surtout de connaître des techniques ; à partir du moment où tu sais faire des nattes, rajouter des mèches, faire des tissages, tu connais le cheveu afro. Certaines personnes trouvaient l’idée du centre de formation géniale et d’autres ne comprenaient pas. A elles, j’expliquais qu’il fallait regarder nos cheveux pour comprendre pourquoi c’était nécessaire, entre les problèmes de casse et les cuirs chevelus qui brûlent … »

« Aujourd’hui, la plupart des gens est content que le centre existe. Je pense aussi que beaucoup de monde, à commencer par moi au départ, pensait que ça existait déjà. Avant de savoir que ça n’existait pas, il me semblait évident que quand on étudie la coiffure, le cheveu afro était aussi enseigné, au même titre que tous les autres types de cheveux. C’est quand je suis rentrée dans le domaine que je me suis rendue compte qu’il n’y avait rien du tout pour le cheveu afro. »

« Quand je me suis renseignée pour rendre officielle ma formation et que j’ai découvert comment ça fonctionnait dans ce domaine en France, j’ai appelé le service de diplôme pour leur dire qu’il n’y en avait pas pour le cheveu afro ce à quoi on m’a répondu qu’un cheveu était un cheveu. J’ai du expliquer qu’il a besoin de soins particuliers. Mon interlocuteur m’a ensuite dit de le proposer si je pensais que c’était nécessaire. Voilà pourquoi j’ai commencé par le centre de formation, ce qui était plus facile au début. Le centre est devenu une école depuis juin 2017. »

Etre femme et être entrepreneuse

« Pour les personnes qui me connaissent bien, c’était une évidence que je me lance dans la voie de l’entreprenariat ; le fait d’être une femme et d’entreprendre n’était pas une chose perçue comme anormale. En revanche, quand j’ai commencé à demander des prêts en exposant mon projet face à un homme, là on m’a fait comprendre que j’étais une femme et qui plus est, une femme noire et je me suis dit « est-ce que la taille compte aussi ? Est-ce que si je faisais 10 centimètres de plus, ça aurait été plus facile ? » (rires) On a fini par me dire que mon projet était trop innovant ! J’ai du leur faire comprendre que si je n’obtenais pas de prêt, je ne pourrais pas avoir d’aides. On m’a finalement prêté une petite somme, loin de ce dont j’avais besoin et on m’a demandé énormément de garanties. Je n’ai malheureusement pas de tonton qui puisse m’aider ! (rires) »

La black excellence ?

« Pour commencer, l’excellence est un signe de professionnalisme, de haut niveau. Quant à l’excellence noire, c’est un vaste sujet (rires) ! Je pense qu’on est excellent dans énormément de domaines et je resterai dans le mien. Dans le domaine technique pour ma part, je n’invente rien. Je ne fais que transmettre des savoirs à des personnes qui ne l’ont pas encore. Ce que j’apporte en revanche, c’est le rappel, le bon souvenir de ce qu’est notre cheveu, ce dont il a besoin, comment il en a besoin en ajoutant un bon zeste de rigueur, de professionnalisme et ce dans le but qu’il y ait de plus en plus d’excellent.es coiffeur.ses. »

Un grand défi

« Des défis, j’en ai eu plein et j’en ai encore, j’en ai même tous les jours (rires)! Mais je dirais la première fois que je me suis rendue aux Etats-Unis. Je ne savais pas qui j’allais voir, où je devais aller. J’ai atterri, j’avais déjà l’hôtel de réservé et je savais combien de temps je devais rester. J’ai arpenté les rues avec une vision complètement française et j’ai découvert sur place que c’était tout à fait différent. Mon plan était simple : j’allais trouver une école qui fonctionnait un peu comme en France et que j’allais pouvoir tout pomper et refaire la même chose ici ! Mais ça ne fonctionne pas du tout comme ça ! Les Américain.es ne révèlent pas tout, c’est super réglementé, c’est difficile de trouver les infos … Je n’ai pas pu aller aussi loin que je voulais mais j’ai compris comment ça se passait là-bas. Il a donc fallu que je creuse beaucoup et que j’aille ensuite à Londres. Tout ça entre 2011 et 2014. Ce n’est pas un long fleuve tranquille. Tous les jours, il faut se motiver, se rappeler pourquoi on fait ce qu’on fait. »

Un mantra qui la booste 

« C’est difficile d’en choisir un car j’en ai un pour chaque situation. Par exemple, si tout ne se passe pas comme je veux, que je n’y arrive pas, qu’il y a plus de portes fermées que de portes ouvertes, je me dis ‘je suis la réussite’. »

Des personnes qui t’inspirent ?

« Je n’ai pas une seule personne qui m’inspire. Je prendrai plutôt des bribes de toutes les personnes que j’ai pu rencontrer ou que j’ai découvert sur internet, les femmes en particulier, qui sont battantes, qui en veulent, qui foncent, riches en savoirs, en expériences. Je me dis ‘si elles y sont arrivées, pourquoi pas moi !’ « 

Un conseil en particulier aux femmes qui aimeraient devenir entrepreneure

« Je leur dirai que nous en avons besoin, qu’il faut qu’il y en ait encore plus qui se lèvent ; même s’il y en a déjà beaucoup, on ne les voit pas ou beaucoup ne le savent pas. Comme je dis souvent, c’est la femme qui fait l’enfant qui sera un jour un adulte et il a besoin d’avoir un exemple à suivre, un modèle. Si on veut que notre société change, c’est lourd à porter mais ça passe par nous les femmes. »