Exclu – Un an après son lancement, la plateforme Afrostream veut mettre en avant la créativité de sa communauté

DIVERTISSEMENT – Afrostream, la plateforme afro où on peut regarder des séries, films et émissions américaines et africaines pour la plupart, fait peau neuve pour fêter sa première année d’existence. Le nouveau site qui se veut plus épuré et encore plus riches et divers en termes de contenu sera présenté au grand public ce jeudi 1er décembre. Marina Wilson, la responsable digitale de la plateforme, et dont on vous avait déjà parlé en tant que dj Cheetah, nous en a révélé les grandes lignes en exclusivité. 

Dans le monde très concurrentiel du streaming de séries et de films, il y a Netflix , le leader mondial en la matière, Iroko TV qui règne en maître au Nigéria et au Ghana et de façon plus général en Afrique anglophone,-une version francophone, Iroko+ a été lancée en partenariat avec Canal + début 2016– et Afrostream, lancé par Tonjé Bakang. Tourné vers la France et le continent africain, la plateforme veut conquérir la diaspora afrofrancophone mais aussi les États-Unis. Le plan pour atteindre son but ? La touche média social. La responsable digitale du site, Marina Wilson nous en dit plus.

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Quel est ton rôle chez Afrostream ?

Je suis responsable digitale- je me charge de la communication de la marque en ligne- et directrice artistique et éditoriale.

Que pourra-t-on trouver sur la nouvelle version du site ?

Il y aura 2 grandes nouveautés : un espace « life » et un espace communauté. Dans l’espace lifestyle, on pourra trouver du contenu éditorial préparé par l’équipe de rédaction mais aussi de contributeurs extérieurs, y compris en matière de vidéos qui devraient faire leur apparition au premier trimestre 2017. Dans la partie communauté, les abonné.e.s – en comptant celleux qui sont uniquement inscrits à notre newsletter, iels sont 150 000- pourront partager de l’audio et de la vidéo. Notre public pourra également soumettre des articles et on fera de la curation pour sélectionner les contenus que l’on juge intéressants à publier dans la partie lifestyle. Mais l’important est que l’on crée un espace d’interaction afin de fidéliser les personnes qui nous suivent sans avoir de comptes et d’en fidéliser d’autres. C’est ce que l’on a surnommé « le média social de la créativité afro. »

Le catalogue actuel comprend des webséries britanniques comme Brothers with no game que disponible sur Youtube ou américaines comme Sexless que l’on retrouve sur la webchaîne Black&Sexy TV. Quel est l’intérêt de les ajouter sur Afrostream ?

Le but est de rassembler l’ensemble de contenus que l’on peut trouver sur différents sites sur une seule et unique plateforme en les traduisant en Français. On en aura d’autres cette année comme la webdocumentaire Strolling de Cecile Emeke. On aura aussi de nouvelles séries TV avec l’arrivée de la série comique Black-ish produit par Disney dès le 1er décembre.

Quels sont les objectifs à atteindre sur du moyen/long terme ?

Devenir la référence du point de vue africain et caribéen et ne pas donner uniquement une vision occidentale. On essaie de le faire en élargissant nos contenus -déjà 1 000 heures de visionnage sur le site- et en nous déployant – on est déjà disponible dans 28 pays dont 24 africains comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire – parmi lesquels on recense le plus grand nombre d’abonnés avec la France- où l’on espère développer des projets au niveau local. On prévoit également de se mettre à l’événementiel, la meilleure façon d’aller à la rencontre de notre public, où qu’il soit.

 

SÉRIE – Pourquoi c’est important de regarder « Insecure » d’Issa Rae (quand on a OCS)

TÉLÉ – L’Afro a pu voir les premiers épisodes en exclusivité d’Insecure, la nouvelle série créée et interprétée par Issa Rae diffusée dimanche 9 octobre sur HBO (Girls…)   et lundi 10 octobre sur OCS. Ce projet a une histoire, débutée sur Youtube en 2011. On vous la raconte.

Noire et nerd, c’est le parfait point de départ qu’a choisi Issa Rae, une comédienne américaine pour écrire et jouer dans The Misadventures of  Awkward Black Girl, sa série diffusée sur Youtube en 2011. Vingt millions de vues plus tard, le projet a atterri sur HBO et s’appelle Insecure. Même si on n’y aime pas tout, on vous dit pourquoi on a apprécié regarder les premiers épisodes.

The Misadventures of  Awkward Black Girl, c’était l’histoire de J., que joue Issa Rae, qui a également écrit le scenario. « Je suis maladroite et je suis noire. Quelqu’un m’a dit un jour que c’était les deux pires choses que l’on puisse être », dit l’héroïne dès le début du premier épisode. On suit J. dans sa vie d’Afro-américaine moyenne. J. qui se fait larguer par son mec, qui se rase le crâne à la suite de cela, -qui « big chop » comme on dit chez les « nappys »- J. dans son boulot de téléprospectrice pour une entreprise qui vend le nécessaire pour se nettoyer le colon, J. avec ses collègues tous plus ridicules et/ou détestables les un.e.s que les autres.

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Coucou la bonne ambiance

Il y a celui qui parle tellement bas qu’il est inaudible, l’emmerdeuse de première et la cheffe, cerise sur le gâteau, une sorte de Rachel Dolezal, incarnant à merveille le cliché de l’amoureuse de la culture africaine-américaine, n’hésitant pas à arborer d’horribles tresses et à ponctuer ses conversations avec J. de « girlfriend » et autres « sister ».

Coucou les nattes couchées qui marquent mal
Coucou les nattes couchées qui marquent mal

Et la meilleure défense de l’héroïne pour tenir dans cet environnement, c’est l’agressivité passive à coup de rap énervé mais totalement awkward.

Insecure : du droit d’être noire et nerd

Issa Rae a débuté le projet alors qu’elle n’était pas encore diplômée, avec de petits moyens : une équipe de 12 personnes, dont sa meilleure amie – à qui elle apprend à tenir une caméra- et son petit frère – enimaL, rappeur et producteur de la majeure partie de la musique de la websérie. Très vite, l’awkward black girl devient un phénomène sur la toile : la seconde saison est hébergée sur la chaîne Youtube de Pharrell Williams, iamOther et l’ensemble des épisodes des deux saisons totalisent plus de 20 millions de vues à ce jour.

Quand on ne se sent pas représenté.e, on s’en charge soi-même.  C’est ce qu’a fait Issa Rae ; écrire, jouer et réaliser The misadventures of awkward black girl, c’est l’opportunité de se retrouver dans un personnage féminin noir autre que la noire énervée ou la croqueuse d’hommes pour ne citer qu’eux.
Le personnage de J. a diverses facettes, à l’image d’Issa Rae qui avoue « être coupable d’aimer les téléréalités », adorer les délires « ratchet », être fan de Seinfeld et de Donald Glover, qui a contribué à remettre au goût du jour l’image du noir nerd à la télévision par exemple dans le sitcom Community et que l’on connaît aussi comme rappeur sous le nom de Childish Gambino. Ce dernier apparaît d’ailleurs dans l’un des épisodes de la websérie.  J. n’est pas particulièrement sexy, elle n’est pas sous ou surdiplômée mais c’est une « average girl » cherchant l’amour, voulant se faire une place dans la société, s’épanouir professionnellement. Enfin, un personnage normal et marrant qui lui ressemble … et auquel on peut aussi s’identifier  !

Changements locaux pour la version HBO

HBO comprend qu’il y a du potentiel en 2014.

Ce contrat avec la chaîne américaine, c’est un tour de force quand on sait à quel point il est difficile de vendre un concept à une chaîne de télévision. Elle avait notamment été approchée par Shonda Rhimes en 2013 pour réaliser le pilote d’une des Issa Rae productions,  I hate L.A. dudes qui n’a finalement jamais abouti. Mais pour que The Misadventures of awkward black girl, rebaptisé sur le petit écran Insecure voit le jour, il aura fallu près de deux ans de travail, comprenant de nombreuses phases de réécriture.

Dans Insecure, Issa, qui porte son propre nom, est en couple depuis plusieurs années avec un homme qui a du mal à monter sa propre entreprise. Alors qu’elle s’ennuie, elle reprend contact avec son « what if guy », soit celui avec qui il ne s’est jamais vraiment rien passé et qui lui fait se demander ce que serait sa vie si elle s’était mise avec lui.

Dans une interview donnée à CNN, Issa Rae affirme que le rôle qu’elle campe est celui de celle qu’elle serait si elle ne savait pas ce qu’elle voulait faire. Elle a également insisté sur le fait que ce récit n’a aucunement la prétention de représenter la femme noire par excellence mais qu’il s’agit d’une expérience spécifique. Encore une fois, elle démontre la nécessité d’une variété dans les narrations, les façons de les écrire et de les montrer. Les contraintes du format TV -format d’environ 30 min, rythme, le casting vendeur- ont entraîné des changements dans l’oeuvre originale web.

Du renouveau à la télévision américaine ?

Issa Rae a lancé son projet « Color Creative » en 2013, une plateforme visant à « augmenter les chances des auteurs de télé femmes et issus de minorités, de montrer et de vendre leur travail, à la fois au sein et en dehors du circuit classique des studios (…) en formant les futures créateurs et auteurs-producteurs qui aideront à changer le paysage télévisuel. » Si on peut saluer l’initiative, tout n’est pas parfait. La plupart de ses collaborat.eur.ices sont des personnes déjà plus ou moins installées dans le monde de la télévision si hollywoodien, à l’instar de Larry Wilmore qui officie dans le « Daily Show » de Jon Stewart et de Natasha Rothwell qui écrit pour le « Saturday Night Live » et joue dans la série Netflix The Characters.

Côté réalisation, on retrouve Melina Matsoukas qui a  réalisé des clips pour Rihanna (« We found love »-pour lequel elle a gagné un Grammy-, « You da one »), Solange (« Losing You »), Beyoncé (« Pretty Hurts », « Diva », « Formation »), Kevin Bray qui a également fait dans les music videos pour Brandy (« Have you ever, Almost doesn’t count) ou encore Whitney Houston (« Your love is my love ») et désormais dans la série TV avec Suits, sans oublier Cecile Emeke et avec Raphael Saadiq et Solange pour une direction musicale au top. Des personnalités pas tout à fait mainstream, mais influentes et installées dans leur domaine.

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Issa et sa BFF Molly dans Insecure

C’est peut-être dans le casting que l’effort de mettre en valeur plus de comédien.ne.s non-blanc.he.s sans trop d’exposition se voit le plus, on aperçoit plusieurs comédien.nes de chaînes Youtube que l’on suit comme Rome et Chaz, deux des six colocataires humoristes de « Dormtainment », enimaL et d’autres qui jouaient dans The « F » word, websérie réalisée par Issa Rae sur la vie d’un groupe de rap un peu à la ramasse qui essaie de percer.

Insecure et awkward black girl : pas le même combat

La grosse déception, c’est surtout la disparition du duo original que formaient J. et son amie indienne Cece, interprétée par Sujata Day, au summum de l’awkwardness,  au profit du tandem Issa et Molly. Cette dernière est l’archétype de la femme noire éduquée, au top de sa carrière mais qui galère pour se caser. Un air de déjà vu dans la série Being Mary Jane ou encore le film Think like a man. Le pire : la talentueuse Sujata Day devient un simple personnage secondaire. Dommage.

Reste que la série est drôle, même s’il nous manque un peu d’awkwardness. On est en tout cas contentes de voir que la volonté d’Issa Rae de montrer d’autres femmes noires différentes sur petit écran, a porté ses fruits. Et c’est fort et symbolique, à l’heure où Girls, l’autre série phare de HBO, créée et interprétée par Lena Dunham s’arrête définitivement après six saisons et de nombreuses polémiques autour de la représentation ou plutôt la non-représentation des femmes non blanches.

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On continuera à la suivre, en espérant qu’elle puisse développer encore d’autres récits, toujours proches de la réalité, avec une touche de fantaisie et surtout avec son humour particulier. Et que d’autres puissent apporter leur pièce à l’édifice également, qu’ils débutent sur le net ou pas.

TRIBUNE – Dans la peau d’une Africaine-Américaine en France

Anndi,  noire américaine de 22 ans, a vécu en France pendant près d’un an, arrivée en septembre 2015. Sur son compte Tumblr La Noire Afar, elle raconte son expérience dans le pays. Entre clichés, fantasmes et belles découvertes, la jeune femme adresse ce message à ses compatriotes restés aux Etats-Unis : vous n’êtes pas les seuls afrodescendants de la planète.

Noir.e en Europe

(Traduction du texte initialement publié le 20 mars 2016 sur La Noire Afar : http://lanoireafar.tumblr.com/post/141377340833/black-in-europe)

‘Mouais j’ai pas aimé la France. Les Français sont racistes. Va en Italie ! Ils sont tellement accueillants et on m’a dit qu’ils adoraient les femmes noires.’ ‘Est-ce qu’il y a d’autres Noirs chez les Allemands que ceux qui sont dans l’armée ?’

« La plupart des Noirs qui voyagent se demandent une chose avant de s’aventurer à l’étranger : comment je serai perçu dans cet espace où les blancs sont prédominants ? C’est une question légitime. Au mieux, on peut nous mettre sur un piédestal grâce à notre différence. Au pire, on peut nous maltraiter. Même en voyageant dans des coins reculés des Etats-Unis, on tombe sur des gens qui nous dévisagent et posent des questions exaspérantes du genre « je peux toucher tes cheveux ? ». Je me suis donc demandée comment je m’en sortirais en France.

Mais ce post ne parle pas que de moi. Oui, je suis noire. Oui, je me trouve actuellement en Europe. Mais cela ne fait pas de moi un être spécial. Parce que bien qu’il n’y ait qu’un petit pourcentage d’Africains-américains qui voyagent en Europe chaque année, il y a des dizaines de millions de noirs qui sont déjà là : les Afro-européens.

 Les Noirs ne vivent pas qu’en Afrique et aux Etats-Unis. Grâce au (enfin, « grâce » non …) colonialisme, la diaspora africaine s’est retrouvée dans des coins improbables de la planète. La plupart des Africains-Américains se trompent en supposant que nous constituons le seul groupe de descendants africains vivant en tant que minorité sous-représentée, maltraitée, discriminée dans des espaces majoritairement blancs. Allez dire ça aux quelque 55 millions d’Afro-brésiliens ou aux millions de descendants noirs vivant au Royaume-Uni, en Italie et en France.

Mais notre égocentrisme n’est pas uniquement de notre faute. Moi aussi, je n’avais pas d’idée précise du nombre de noirs qui vivaient en Europe avant d’y aller. Nourrie par les images que j’ai vu à la télévision et dans les films en grandissant, je pensais que l’Europe était un continent complètement blanc, que tout y était uniforme avec une très faible variation en termes de couleur ou de culture (du moins pas de culture d’un point de vue ethnique). C’est la diversité invisible de l’Europe. De la même façon que les Africains Américains sont sous-représentés dans presque toutes les strates de la société, les Afro-européens le sont encore plus.

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Pendant mes premiers mois passés en France, j’ai rencontré beaucoup de personnes mais je ressentais tout de même un manque. Je mourrais d’envie d’échanger avec des gens qui avaient les mêmes idées que moi. Des gens avec lesquels je partageais un lien indéniable. Pour faire court, j’avais besoin de me faire des amis noirs. Certains trouveront ça bête mais quiconque fait partie d’une minorité quelle qu’elle soit, peu importe le groupe en question (lié à la race, à la sexualité etc) comprend cette envie.

Le problème, ce n’était pas le manque de Noirs mais plutôt de trouver comment en faire naturellement des amis. Se faire des amis à l’âge adulte n’est pas tâche facile. Pour les enfants, c’est tellement simple ! Il y a juste à dire « hey ! je te trouve vraiment cool ! »

Mais en tant qu’adulte, comment dire à une personne qu’on ne connait pas qu’on la trouve cool et qu’on aimerait la fréquenter en tout bien tout honneur sans paraître louche ?

Plusieurs mois plus tard, j’ai fait la connaissance d’amis d’amis, rencontré de nouvelles personnes grâce aux réseaux sociaux et même rejoint un groupe Meet-Up d’expats noirs à Paris. En parlant à ces différentes personnes, j’ai recueilli plusieurs points de vue.

Les Africains Américains sont à la fois admirés et enviés en France. Croyez-le ou non, nous bénéficions d’une visibilité à travers le monde qui n’est pas donnée à d’autres africains de la diaspora. Les Africains-Américains représentent ce qui est cool, ce sont les créateurs de la pop culture. Nos célébrités sont leurs célébrités, nos émissions télé préférées sont leurs émissions télé préférées aussi. Les Africains-Américains font entendre leurs voix en temps d’injustice sociale, quand il y a des inégalités et des réactionnaires. Mike Brown et Trayvon Martin ne sont pas des noms que l’on prononce uniquement sur le territoire américain. Le discours « I Have a Dream » est connu des Européens, le cri « Black Lives Matter » a retenti dans le monde et le mouvement des droits civiques leur est enseigné tout comme chez nous. En bref, l’expérience noire américaine a laissé une empreinte nette dans l’histoire mondiale.

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L’histoire des noirs européens quant à elle, a été balayée sous le tapis. Je ne suis PAS DU TOUT une experte du sujet mais voici un résumé de l’histoire de la colonisation européenne en Afrique avec mes propres mots.

** L’histoire de la conquête de l’Afrique version extra-courte et très simplifiée d’après Anndi**

A la fin du 19ème siècle, plusieurs pays européens tels que le Royaume-Uni, la France et le Portugal ont établi des villes portuaires en Afrique pour vendre des marchandises et des matières premières. Tout allait pour le mieux jusqu’à ce qu’un mec, le roi Léopold II de Belgique se dise « Vous savez ce qui serait vraiment génial? Faire du Congo mon territoire. » Alors le gars a coupé un gros morceau du Congo rien que pour lui, même pas au nom de la Belgique. Les autres puissances européennes (Royaume-Uni, France, Italie, Portugal et Allemagne) ont commencé à flipper et ont pensé « merde, mon égo est juste trop gros, comment je peux le rendre encore plus énorme ? ». Alors elles se sont réunies en Allemagne, ont trouvé la carte de l’Afrique et ont littéralement découpé le continent comme on le fait avec une pizza. Il faut préciser qu’aucun des pays africains en question n’a été invité à la « soirée pizza ». Donc 90% du continent a été colonisée sans l’accord de ses habitants, des millions d’Africains ont été contraints au travail forcé, les matières premières ont été exploitées, des hommes ont été tués, des femmes ont été violées, des enfants ont été mutilés, des groupes ethniques en conflit ont été mélangés … tout ça sous prétexte de ‘sauver les sauvages non civilisés de la damnation éternelle.’

Plusieurs décennies plus tard, les puissances européennes ont finalement commencé à quitter le territoire. Qu’ils soient partis selon leurs propres termes ou chassés par des groupes révolutionnaires, les effets pervers de l’impérialisme – gouvernements corrompus, éternelles guerres civiles, traumatismes psychologiques- sont manifestes dans plusieurs pays africains. 

**La fin** … Sauf que ce n’est pas la fin puisque ces effets pervers perdurent.

J’ai remarqué un léger manque dans la communauté chez les Afrofrançais. Pour les Africains-Américains, il y a cette idée de lien fictif. Je ne te connais ni d’Eve ni d’Adam mais si nous sommes les deux seuls noirs dans un espace majoritairement blanc, alors on se reconnaîtra. C’est ce qu’il se passe à petite échelle. A grande échelle, nous sommes passés maîtres dans l’art de créer des espaces qui nous sont réservés ; les salons de coiffure et les barbershops, les écoles et universités historiquement noires, la chaîne de télé BET, la NAACP … on a même notre propre hymne national ! Tout cela avec la volonté de s’élever et de se donner de la force, pour prendre notre place au sein d’une société qui n’a pas été conçue pour nous.

Mais notre sens de la communauté émane de nos expériences communes. Beaucoup de nos ancêtres étaient des esclaves. Beaucoup de membres de nos familles encore en vie ont connu la ségrégation. En ce qui concerne la France, et de nombreux pays européens, les expériences d’Européens noirs, bien que similaires, ne sont pas identiques et ne sont pas partagés non plus.

De toute façon, il est difficile d’avoir un sens de la communauté quand on n’a même pas idée du nombre de descendants africains qui vivent dans le pays. Apparemment, les statistiques ethniques sont ‘constitutionnellement interdites’ en France.

Dans le cas des Afrofrançais, ils ne sont pas liés par la race ou les origines de leurs familles. Quand on est une femme noire originaire de la Guadeloupe, on se sent plus proche des populations antillaises que de celles d’Afrique de l’ouest. Pour être honnête, j’envie tellement les Afroeuropéens parce qu’ils savent d’où ils viennent exactement et ont même de la famille qui vivent encore dans ces pays. Je n’ai jamais eu aussi honte de ne pas connaître mes racines que depuis que je me suis installée en France. A chaque fois que je rencontre un Afrofrançais pour la première fois, la conversation ressemble à ça :

Eux : « Alors tu viens d’où ? »

Moi : « Je viens des Etats-Unis ! »

Eux : « Oui, je sais. Mais je veux dire, tu viens d’où, vraiment? »

Moi : « De Washington DC. »

Eux : « Je veux dire d’où est originaire ta famille. »

Moi : » Hum … Je ne sais pas ? Mes ancêtres étaient des esclaves donc … »

Eux : « ….. »

Moi : « ….. Enchantée ! »

En général, on croit que les Noirs vivant dans des pays majoritairement blancs n’en sont pas originaires. Les Afrofrançais peuvent être nés et avoir grandi à Paris sans jamais se sentir ou être perçus comme étant « Français ». De même, quand je rencontre des européens blancs, ils sont en général sceptiques concernant l’histoire de mes origines mais pour une autre raison. Comme j’ai la peau plus claire que la plupart des Afrofrançais, beaucoup pensent que je suis métisse. Pendant mon voyage en Italie, un italien m’a dit ‘vous êtes belle. J’adore les femmes mulâtres’, ça m’a vraiment dérangé car être noire et être belle ne sont pas des concepts qui s’opposent, mon ami ! Mais j’adore la déception qui se lit sur leur visage quand je leur réponds que je suis fièrement et indubitablement NOIRE à 100%.

Mais parlons de choses positives parce qu’il y en a pas mal. Que les Français noirs ne s’organisent pas de la même façon pour lutter contre les injustices, cela signifie pas qu’ils n’ont pas de discussions importantes à ce sujet. Le mouvement afroféministe a l’air d’avoir de l’ampleur ici. J’ai vu bon nombre d’articles, de vidéos sur Youtube, de tweets sur le sujet et j’ai même été invitée à des conférences organisées par des afroféministes qui parlaient de l’intéressante question d’équilibre entre race et genre.

J’ai rencontré tellement de femmes noires qui sont intelligentes, conscientes et drôles. Des femmes qui souhaitent être les porte-paroles de leur communauté. Des femmes artistes, poétesses et chanteuses. Des femmes belles à l’intérieur comme à l’extérieur. Des femmes qui écrivent. Des femmes qui ont du style. Des femmes qui ont un cursus universitaire. Des femmes qui veulent élever et donner plus de force à leurs soeurs. Des femmes qui veulent être vectrices de profonds changements dans leur société.

Alors ne négligez pas les Afro-européens; ils occupent une véritable place dans notre monde.

Je m’en voudrais de ne pas parler de la série Strolling de Cecile Emeke qui, pour dire vrai, m’a permis de découvrir des points de vue d’Afroeuropéens pour la première fois. Cecile Emeke est une femme britannique qui a brillamment filmé des personnes noires issues de la diaspora africaine. Le résultat ? Elle y défait l’idée d’une expérience générale pour tous les noirs en déroulant une série de témoignages singuliers et personnels. Emeke a filmé aux Pays-Bas, en Italie, en Jamaïque, et dans beaucoup d’autres pays et l’intérêt suscité par son concept a engendré une grande popularité sur Youtube. Bien sûr, on y entend les histoires bien connues de micro-agressions, de « respectability politics »*, et d’estime de soi. Mais on y parle aussi de santé mentale, d’orientation et d’expression sexuelle, de capitalisme, de véganisme, de réparations coloniales et de pléthores d’autres sujets que l’on entend peu souvent venant de la part de personnes noires.

Si ça vous intéresse, je vous conseill de regarder 3 des témoignages que j’ai le plus aimé : deux amies noires en France, un homme afroféministe venant du Royaume-Uni et une actrice noire à Londres.

Alors, qu’est-ce que c’est que d’être Noir en Europe ? Je répondrai la même chose qu’à quelqu’un qui demanderait ce que c’est que d’être Noir aux Etats-Unis : qu’il n’y a pas de réponse simple. La culture, les mentalités, les idées, les joies, les luttes des Noirs ne sont pas uniformes, elles sont diverses, ils sont nuancées, elles peuvent se rejoindre mais ne se confondent pas.

J’écris pour expliquer que l’expérience noire ne se résume pas à notre expérience personnelle. Je pense qu’il est important non seulement de discuter de ce que c’est que d’être Noir aux Etats-Unis mais aussi dans un contexte plus global. Et rappelons-nous qu’en tant que Noirs Américains, notre visibilité à travers le monde nous donnent un certain privilège. La prochaine fois que vous direz #BlackLivesMatter, regardez au-delà de l’Amérique du Nord. Quand vous penserez à la communauté noire, faites-vous violence et dépassez les limites de votre imaginaire.

Et si vous en avez la possibilité, voyagez, parlez aux gens, discutez de ces sujets. Vos yeux et votre esprit s’ouvriront bien plus que vous ne le croyez. »

*Idée selon laquelle des « minorités » ou autres groupes marginalisés doivent changer leur comportement pour être mieux considérés et traités par le groupe dominant

INTERVIEW – Strolling : Deux Afrofrançais.e.s racontent leur balade avec la réalisatrice Cecile Emeke

RENCONTRE – Peut-être avez-vous vu ces vidéos mettant en scène des hommes mais surtout des femmes, qui se baladent dans la rue, partagent leurs expériences et problématiques en tant que Noir.e.s dans le pays où ils vivent.  Il s’agit de la série Strolling – Flâner  en français de la réalisatrice britannico-jamaïcaine Cecile Emeke. L’Afro s’est intéressé à ce travail à travers le regard de deux Afrofrançais.e.s qui ont fait partie du projet.

‘I could see parts of myself reflected in people whom I had never seen before’ (« Je pouvais voir des parties de moi transparaître chez des gens que je n’avais jamais vu auparavant »)  Cecile Emeke à propos de sa série documentaire Strolling  dans une interview pour le New York Times en février 2015 .

Cecile Emeke , jeune réalisatrice britannico-jamaïcaine basée à Londres, se définit comme une afro-féministe et une artiste. C’est en 2014 qu’elle se tourne vers l’image. Elle lance une websérie fiction Ackee & Saltfish et documentaire avec Strolling

Dans ce projet, elle interroge des afrodescendants-surtout des femmes- du monde entier sur leur quotidien. Au programme, une balade sur fond de coups de gueule sociétale et politique un rien hype. Passée par les Pays-Bas, l’Italie et dernièrement les Etats-Unis, elle est venue faire un tour du côté de l’hexagone l’an dernier. L’Afro est allé à la rencontre de Kévi Donat et Fanta Sylla, deux Afrofrançais.e.s ayant partagé leur point de vue devant la caméra de Cecile Emeke.

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Kévi : « Si tu ne t’intéresses pas à l’afroféminisme, tu ne verras pas le travail de Cecile Emeke. »

Kévi, 31 ans, guide touristique à l’origine du Paris Noir, narre à ses visiteurs l’histoire des artistes afro-américains et intellectuels noirs dans le quartier latin et invite à (re)découvrir la populaire Goutte d’Or situé dans le 18ème arrondissement de Paris. Seul homme interrogé en France, il nous livre ses impressions suite à sa rencontre avec la réalisatrice britannique.

Comment as-tu rencontré Cecile Emeke ?

Elle m’a envoyé un mail dans lequel elle s’est présentée et a entendu parler de ce que je faisais par le fondateur du site Afropean, Johnny Pitts, qui a été interviewé pour Strolling. Elle m’a présenté le concept en me disant qu’elle filmait des gens de la diaspora durant une marche. Elle m’a donné le lien et j’ai répondu oui tout de suite.

Connaissais-tu le travail de Cecile Emeke avant de la rencontrer ?

Non mais quand elle m’a contacté et que j’ai été voir ce qu’elle faisait,  j’ai trouvé ça cool.

Quand a eu lieu le tournage ?

On a filmé le 31 décembre 2014 au jardin du Luxembourg. Elle voulait suivre une visite du Paris Noir mais n’a pas eu le temps. On a donc décidé de faire un épisode.

 Comment s’est passé le tournage ?

Elle n’était pas seule mais accompagné d’un homme qui est, je pense, un ami et un assistant.  Avant de filmer, j’ai d’abord parlé pendant une dizaine de minutes de tout plein de choses, c’est venu assez naturellement. Puis, ils m’ont tous les deux poser des questions tous les deux.Certains sujets que j’ai évoqué les ont intéressé plus que d’autres, surtout qu’il y en avait que d’autres personnes interrogées avaient déjà développé et Cecile ne voulait pas que ça se répète. Elle a retenu, par exemple, ce que j’ai dit sur les violences policières car elle souhaitait savoir si ça existait en France. On a discuté pendant deux heures en tout.

As-tu rencontré d’autres personnes ayant participé au projet ?

Oui, Fanta et Gaëlle qui figure en duo avec Christelle dans le premier épisode que j’ai invité à une visite du Paris Noir. On a rapidement échangé sur les retours qu’on a eu. Gaëlle et Christelle sont celles qui ont eu le plus de vues. Dans leur vidéo, elles disent des choses plus militantes, elles avaient plus de choses à revendiquer que moi, ce qui a peut-être plus parlé aux gens je pense.

Qui regarde cette série à ton avis ?

Si tu ne t’intéresses pas à ces questions-là et à l’afroféminisme ou que personne sur ton Facebook ne partage ces vidéos, si tu n’es pas connecté, tu ne verras pas le travail de Cecile. C’est très féminin, on le voit bien quand Madame Figaro, un média centré sur les femmes justement, publie un article à ce sujet et fait un focus sur Gaëlle et Christelle. Que les personnes qui ne peuvent pas s’exprimer elles-mêmes d’habitude puissent enfin le faire est une bonne chose, je trouve. Si la série avait été réalisée par un homme, on l’aurait peut-être critiqué.

Des retours suite à l’épisode ?

Surtout des retours de gens de mon entourage, amis et connaissances sur les réseaux sociaux, qui trouvaient ça chouette après avoir vu la vidéo que j’ai partagé. Ce sont des gens qui ne sont pas sensibilisés à ces questions-là pour la plupart. Il y a eu un seul commentaire négatif –supprimé depuis, c’est probablement Cecile qui a décidé de le faire-  qui disait que je ne savais pas ce dont je parlais et que je n’insistais pas assez sur les violences policières. A côté de ça, il y a eu des gens qui se retrouvaient dans l’histoire des ultramarins mal dans leur peau et qui ne se reconnaissent pas dans l’histoire de France.


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Fanta : « Je trouve dommage qu’en France ont ait attendu que quelqu’un d’autre fasse ce genre de travail. »
Fanta, 23 ans, se définit comme une banlieusarde. C’est une touche à tout : tour à tour pigiste pour des magazines français et américains, community manager pour Syllart Records, le célèbre label de musiques africaines fondé par son père, et spécialisée en marketing sur le web. Elle rencontrait Cecile Emeke il y a un peu plus d’un an.

Comment as-tu rencontré Cecile Emeke ?

Je collabore sur le podcast « Black girls talking« , une émission avec 4 femmes noires qui parlent de la Culture Pop. J’ai découvert son travail quand Alésia, une des animatrices de l’émission, en a parlé dans son émission et m’a dit que ce serait bien de l’interviewer. Je l’ai donc fait en août 2014 puis elle a dit qu’elle allait lancer Flâner. Elle m’a demandé de participé et j’ai accepté.

Qu’as-tu pensé de son travail ?

J’ai adoré son travail, je n’avais jamais vu ça. C’est très personnel mais on peut s’y identifier. La vie d’un.e Noir.e à Londres n’est pas la même que celle d’un.e Noir.e en France. C’est un vrai projet et personne d’autre que Cecile Emeke n’aurait pu le faire. Ce projet permet de combler un vide car elle a vu qu’il n’y avait pas assez de représentation telles qu’elle la voyait dans la vraie vie, au cinéma ou à la télé.

Comme s’est déroulé le tournage ?

On s’est retrouvé à Gare du Nord. Cecile était accompagné de son partenaire Ab mais c’est elle qui filme et qui a posé toutes les questions. Elle demande au préalable aux gens qu’elle doit interroger de quels sujets ils veulent parler puis elle s’adapte en fonction mais je n’ai rien préparé  avant. Elle m’a demandé de parler du colorisme, du fait que je parle anglais, que je travaille dans un fast-food ; ça a dû durer une heure tout au plus.

As-tu rencontré d’autres personnes qui figurent dans Flâner ?

Oui, j’ai rencontré Christelle, Gaëlle et Kevi et je suis en contact sur Twitter avec Anne-Sophie. Cette expérience nous a permis de nous rencontrer, d’échanger. J’ai rencontré Gaëlle lors d’une visite du Paris Noir. On a prolongé les discussions des vidéos plus qu’échanger sur l’expérience. Et on a plus parlé de la représentation des Noir.e.s dans la littérature. Avec Christelle, les discussions tournaient autour de la beauté, sujet que j’ai évoqué dans la vidéo.

Penses-tu que cette série soit représentative des Noir.e.s en France ?

Elle veut surtout casser l’idée qu’il n’y a pas qu’UNE identité noire. Je ne pense pas qu’elle ait vocation avec 5 vidéos à représenter les Noir.e.s de France. Je ne représente personne, je ne représente que moi, c’est pourquoi je restais générale dans mes propos et parlais d’expériences personnelles.

Je trouve dommage qu’on ait attendu que quelqu’un qui n’est pas français fasse ce genre de travail. En France, on a des documentaires sur les Noir.e.s mais soit ils sont réalisés par des Blancs soit la plupart des intervenants sont des Blancs. Ce que je souhaiterais aujourd’hui, c’est que des Noir.e.s créent ces espaces de discussions et les monopolisent car il n’y en a pas assez à mon goût, sans être taxé de communautarisme. Cecile Emeke crée sans se poser cette question, elle le fait, un point c’est tout.