Josza Anjembe, réalisatrice (« Le bleu blanc rouge de mes cheveux ») : « Je voulais aborder le thème de la double culture à travers le conflit entre générations. »

ENTRETIEN – 37 prix remportés, une sélection dans la catégorie Meilleur court métrage pour les César 2018… Le bleu blanc rouge de mes cheveux, première fiction de la réalisatrice Josza Anjembe, mettant en scène la comédienne Mata Gabin et la révélation Grace Seri, triomphe en festivals. L’Afro s’est entretenu avec cette ancienne journaliste happée par le cinéma.
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La réalisatrice Josza Anjembe (à gauche) et la comédienne Grace Seri sur le tournage du film Le bleu blanc rouge de mes cheveux © Les caméras au beurre salé

Pouvez-vous vous présenter ?

J’ai 37 ans, je suis journaliste de formation et réalisatrice et je viens à la base du documentaire.

Anciennement journaliste,- vous avez notamment réalisé des documentaires dont Massage à la camerounaise (2011) K.R.U.M.P, une histoire du Krump en France (2012)- comment en êtes-vous arrivée à devenir réalisatrice de fictions ?

Je n’avais pas prévu de faire de la fiction mais j’ai eu une rupture sentimentale qui m’a plongée dans une nécessité d’écrire. A force d’écrire, un pote m’a dit que ce que j’écrivais était de la fiction et à partir de là, je m’y suis intéressée de plus près.

Dans une interview en avril dernier, vous disiez « ce n’est pas moi qui ai choisi le cinéma, c’est le cinéma qui m’a choisi ». Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Oui, parfois les gens se disent que les réalisateur.ices sont forcément issu.e.s de familles de réalisat.eur.ices ou regardent des films depuis qu’ils sont tout.e.s petit.e.s. Ce n’est absolument pas mon cas, on n’avait pas beaucoup d’argent pour aller au ciné à la maison. A l’école, les sorties consistait à aller à la bibliothèque et à la piscine. La passion pour le cinéma m’est tombée dessus en me documentant à l’âge de 30 ans sur ce qu’est la fiction. Le cinéma m’a effectivement choisi et c’est un bel accident.

Comment a réagi votre entourage quand vous avez annoncé changer de voie ?

Mon entourage ne le savait pas au début. En général, je fais ce que j’ai à faire sans demander d’autorisation à qui que ce soit. Mon entourage savait que je travaillais dans les médias. Il y avait des gens qui savaient que je travaillais sur un projet cinéma mais je n’ai pas annoncé que je faisais un film car tant que le film n’est pas fait, ça reste un scénario en devenir. J’ai simplement appelé mes ami.e.s et ma famille le jour de la projection. Ce qui revenait le plus souvent, c’est « je ne pensais pas que tu ferais un travail aussi abouti »; iels étaient étonné.e;s car souvent, on pense que le court-métrage n’est pas quelque chose d’abouti, que c’est un travail de fin d’études. Or, quand on fait des films, que ce soit un long ou un court, on y met la même volonté, la même passion.

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La réalisatrice Josza Anjembe et le comédien Augustin Ruhabura sur le tournage du film Le bleu blanc rouge de mes cheveux © Les caméras au Beurre Salé

A quel moment a été écrit et réalisé Le bleu blanc rouge de mes cheveux ? Combien de temps a pris chacun de ces processus ?

L’écriture m’a pris un mois, en août 2014, ça s’est fait sur un coup de tête. J’ai repensé à mon expérience du hors cadre vécue à la préfecture. Le mois suivant, je pitche le film à Talents en court et je rencontre mon producteur dans la foulée. Pendant un an, on a cherché des financements pour le film. J’ai continué à préciser le scénario tout du long; je n’ai donc pas cessé d’écrire. Le film, qui coûte 100 000 euros, a été tourné pendant sept jours à Rennes en septembre 2015. La post-production a duré sept mois, j’ai aussi composé une partie de la musique du film-je joue du piano. La première projection s’est finalement tenu en juin 2016.

L’histoire est celle d’une jeune femme adolescente camerounaise vivant en France et voulant acquérir la nationalité française, ce qui l’obligerait à perdre la camerounaise. Ce sujet vient-il de votre expérience personnelle ?

Moi, je suis née en France de parents effectivement camerounais. Le seul élément autobiographique, c’est qu’à l’époque où j’étais journaliste, je voyageais beaucoup en Afrique pour des missions. Il a donc fallu que je fasse un second passeport car je n’avais plus de page dans celui que j’avais. Là, j’arrive pour faire une photo d’identité et on me dit je suis hors cadre. C’est à partir de ça que j’ai décidé d’en faire un film. Le reste n’a rien à voir avec ma vie.

Au début, j’ai écrit le personnage principal comme étant sénégalais mais je me suis rendue compte que la double nationalité était possible au Sénégal. J’ai donc cherché les pays francophone d’Afrique subsaharienne qui n’autorisaient pas la double nationalité et le Cameroun était un des seuls dans ce cas. J’en ai donc fait un personnage camerounais.

Comment votre expérience du hors cadre vous a mené à penser plus large et arriver à la question de l’incapacité à obtenir une double nationalité et tout ce que cela implique ?

A partir du sentiment d’injustice nourri par cette expérience du hors cadre, je me suis dit que j’allais créer une fiction et je me suis posée la question de savoir quel sujet je voulais aborder à partir de cet événement. J’ai donc pensé à la double culture car ça me passionne et que c’est en moi. Je n’ai pas voulu parler des rapports entre blanc.he.s et noir.e.s, ou de parler de ce qui est bien ou mal mais plutôt de mettre l’accent sur le conflit entre générations. Dans mon entourage il y a pas mal de tantes et d’oncles qui sont déçu.e.s de la France parce que le pays les a maltraité, ne pas les considérer à leur juste valeur. Je me suis dit que c’était intéressant d’opposer un parent qui souffre de ça et craint que son enfant née en France vivent également ça.

Cela n’a pas été trop compliqué à tourner ?

Non, ce n’était pas compliqué mais plutôt nouveau car je n’avais jamais dirigé des comédien.ne.s. Il fallait que je me trouve dans la direction d’acteur.ices, que je me soucie de leur bien-être tout en menant à bien la réalisation du film. Mais je ne m’étais pas préparée à toute l’énergie que ça nécessitait ; en tant que cheffe d’orchestre, je devais dire à chacun.e ce qu’iel devait faire pour obtenir le résultat que je voulais et j’étais parfois fatiguée. Ceci étant dit, c’était jouissif ! Entourée d’une équipe de trente personnes sur un plateau, il faut avoir des personnes solides ; mes deux piliers étaient  j’avais des soldat.e.s solides à mes côtés, à l’instar de Marie Maurin, ma scripte et Noé Bach, mon chef opérateur.

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Grace Seri dans le rôle de Seyna. Source : compte Facebook de la réalisatrice

Vous avez également évoqué la difficulté de trouver une comédienne noire pouvant jouer le rôle d’une adolescente. Pourquoi était-ce si compliqué ?

La première difficulté, c’était de trouver une jeune comédienne-le personnage principal est âgé de 17 ans dans le script- qui ait déjà un sens du jeu. Il faut savoir que je suis très exigeante. Trouver une comédienne noire était d’autant plus compliqué. Ce n’est pas que les comédiennes noires n’existent pas, il y en a mais elles ne sont pas très visibles ; elles ne sont ni dans les agences ni dans chez les direct.eur.ices de casting. Alors que dans le cas d’une comédienne blonde âgé de 17 ans, on trouve plus facilement. Je ne voulais pas de personnage de cité car ce n’est pas parce qu’on est noir qu’on vient de cité ou qu’on doit se revendiquer uniquement de ce milieu. Je cherchais une comédienne qui ait une certaine diction. J’avais donc partagé une annonce sur Facebook, en avais parlé à mes ami.e.s … Mais c’est finalement par l’intermédiaire de mon producteur que j’ai rencontré Grace. Il m’a dit d’aller voir au Conservatoire National Supérieur d’Art dramatique à Paris. Dès que j’ai vu la comédienne Grace Seri, je savais que c’était elle, avant même qu’elle ne parle. Elle était déjà validée, parce qu’elle a une vraie présence. Il fallait juste confirmer l’hypothèse. J’ai accroché tout de suite, il a juste fallu travailler pour l’emmener dans la direction que je souhaitais.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Je suis sur l’écriture d’un second court métrage et d’un premier long, toujours de la fiction. Concernant le court, on espère bien avancer dessus en 2018.

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