EXCLU – Il est l’un des photographes le plus en vue de la jeune génération ivoirienne. Dadi, du surnom que lui a donné sa mère -il porte le nom de son grand-père maternel- 23 ans, est autodidacte et s’est fait un nom sur la toile et à l’international grâce à sa série « Nuits Balnéaires » à découvrir sur Instagram. Le projet, auquel il a pensé en 2016, immortalise l’atmosphère si particulière et intense de la côte ouest africaine alors que la nuit s’installe. L’Afro l’a rencontré pour une interview après le coucher du soleil en plein Abidjan en février dernier. De sa vision du business en tant qu’artiste, à sa passion pour la musique, en passant par son anxiété sociale et son amour profond pour son pays natal, Dadi se raconte.

Débuts en photographie
A la base, j’avais une sensibilité plus musicale -d’ailleurs, j’ai toujours plus de références musicales que photographiques à ce jour. Au début, la photographie, c’était un effet de mode. Je regardais beaucoup les travaux de certain.e.s : Nadège Cakpo, Rash NS, Olivier Konan … D’ailleurs, à part Olivier, iels ont tou.te.s arrêté la photo. Au final, iels m’ont permis de savoir ce qu’on pouvait faire avec un appareil. J’ai voulu étudier la photographie à l’étranger mais mes parents ne voulaient pas que je choisisse cette voie. J’ai donc décidé de m’y mettre tout seul en restant à Abidjan.
Ces deux dernières années, j’ai beaucoup travaillé dans le milieu de la mode, avec African Hippie, nouvelle marque montée par une américaine d’origine libérienne en 2017, avec Libaya, créée par une Hollandaise qui est basée au Ghana, avec la Lagos Fashion Week, avec Orange Future. Localement avec Loza Maléombho, Elie Kuame, Yhebe design, toujours basée à Abidjan et pense la femme abidjanaise avec une telle poésie, une telle beauté.
Aujourd’hui, mon public comprend des jeunes qui bossent en agence de communication, qui font également de la photo à côté, qui tiennent des blogs … Il y a également pas mal d’amateurs d’art et des petits collectionneurs qui ont acquis quelques-unes de mes œuvres. Les acheteurs sont tous des locaux et ça me fait vraiment plaisir ! Parmi eux, le duo d’architectes Koffi & Diabaté mais également un ministre.
La naissance du projet « Nuits Balnéaires »
« J’ai du mal à intégrer le découpage colonial ou post-colonial de la région et je crois bien que je n’y arriverai jamais! »

L’idée m’est venu il y a environ deux ans, de façon spontanée, un peu comme une révélation, une nuit, vers deux ou trois heures du matin. Je me suis levé et me suis mis à écrire. J’ai même changé le pseudo de mon compte Instagram pour le rebaptiser du nom de ce projet.
« Nuits Balnéaires », c’est une vibe, une atmosphère que j’appelle « costal » en référence à la côte du golfe de Guinée, en passant par São Tomé-et-Principe, Gorée au Sénégal, bien sûr Abidjan mais aussi d’autres villes ivoiriennes comme Bassam ou Assinie. Je ressens quelque chose qui est à la fois très fort, très lourd et très beau. Ça s’illustre par les couchers de soleil, les cocotiers, les plages, la nuit abidjanaise, le lifestyle, l’esthétique, la nature, les klaxons, la fumée, la chaleur, la poésie, la musique, le vol des chauves-souris … ça englobe tout ça. C’est une atmosphère qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. C’est le monde dans lequel je vis dans ma tête. Dans le nom « nuits balnéaires », il y a un moment mais aussi un endroit : la mer. Cette ambiance m’a toujours fasciné.
Si le projet englobe également le Ghana, le Sénégal, c’est parce que j’ai du mal à intégrer le découpage colonial ou post-colonial de la région et je crois bien que je n’y arriverai jamais (rires)! Il y a eu une histoire avant les comptoirs d’où les esclaves étaient envoyé.e.s vers l’Occident, il y a eu des mouvements, une vie ici avant. La Côte d’Ivoire est finalement un mix de tout ça. D’ailleurs, quand on remonte aux origines plus lointaines de mes parents, on découvre que la famille de ma mère vient du Mali et celle de mon père du Ghana. Et quand on cherche encore plus en profondeur, on découvre qu’iels viennent d’encore plus loin.
Cette fascination remonte à mon enfance, quand je voyageais avec mon père, journaliste, sur le littoral ivoirien, en voiture, à écouter du High Life ou de la musique classique et qu’on captait la plupart du temps le coucher du soleil en rentrant. Ce sont peut-être mes plus beaux souvenirs, des moments magiques. Je me sentais toujours bien dans ces moments-là. Pour résumer, « Nuits Balnéaires », c’est un voyage sans fin.
Abidjan sinon rien
La plupart des jeunes ici, peu importe leur domaine, ne pensent qu’à une chose : partir en Europe ou en Amérique. Moi, je n’ai jamais idéalisé ces endroits. J’ai toujours été fasciné par la Côte d’Ivoire et je pense que ça se ressent dans mon travail. Ce pays est formidable, a un potentiel formidable, au-delà du tourisme et de la beauté, ce ne sont pas les opportunités qui manquent. Pour la plupart des gens, il faut forcément aller à l’étranger, arriver à un certain niveau de vie avant de revenir. Quand je regarde autour de moi, j’ai l’impression que les gens attendent le paradis et que ce paradis, c’est l’Occident. Il était important pour moi de me prouver qu’il était possible de se réaliser ici et même recevoir des commandes d’autres pays en restant à Abidjan et c’est quelque chose que j’ai réussi à accomplir. Aujourd’hui, je souhaite voyager un peu plus ! Mais même cette envie a pour finalité de me permettre de continuer à vivre dans cette ville car je ne me vois pas vivre ailleurs ! On a tout ici et je pense que cela m’a permis de développer une certaine esthétique qui est à la fois universelle dans le langage tout en ayant une coloration qui m’est propre et nourrie par mon environnement.
Photographie et business
Je suis un cas (rires)! J’arrive à en vivre correctement et d’après ce que j’entends en ce qui concerne les gens dans mon milieu, ou issus de métiers créatifs en général, même celleux qui ont commencé avant moi, c’est loin d’être le cas de tout le monde. Le management m’a beaucoup aidé. Il faudrait que les gens aient plus de notion dans ce domaine pour savoir gérer leur business.
Au final, j’essaie de vendre ce que je fais comme je le perçois et je perçois mon travail comme quelque chose qui a de la valeur. Il ne faut pas vendre son produit au rabais mais comme de l’or. C’est-à-dire produire de la qualité et penser au côté business.
Le fait de travailler dans la mode et de m’y être spécialisé m’a permis de me créer une image de marque et j’essaie de faire ressortir ça aussi dans mes productions artistiques.
Or, il faut à la fois produire de la qualité et avoir un marketing qui suit. Si l’un des deux ingrédients manquent, ça ne prend pas. De mon point de vue, c’est quelque chose qui manque chez la plupart des gens en Côte d’Ivoire.
De l’importance de la musique
J’ai grandi dans un environnement où j’avais un minimum accès à du contenu artistique. Mon père est un grand passionné de musique et d’art. Mon oncle Noël Ebony était journaliste et écrivait des poèmes.
J’écris aussi des poèmes et je viens tout juste de me mettre à la peinture. Mais c’est avant tout la musique qui plante mon décor, j’en consomme beaucoup. Ça me met dans un état d’esprit que je traduis beaucoup en images. J’écoute un peu de tout dont beaucoup de musique ivoirienne : NST Cophie’s, R.A.S et Meiway trois fois ! De la musique française comme Vanessa Paradis, Christine & the Queens , j’écoute aussi pas mal de sons underground comme Soko, Panama, du jazz aussi comme Alice Coltrane ou Nina Simone. J’écoute aussi de la musique camerounaise, congolaise et européenne en général.
La musique est un langage, et comme pour tout langage, il faut en comprendre les bases, c’est-à-dire les mots. Une fois qu’on a cette base, cela donne accès à une ouverture. Je trouve que quand on a cette sensibilité, c’est une bénédiction que tout le monde ne peut pas atteindre. J’écoute de tout. Pour mes anniversaires, je demandais à mon père de m’offrir des K7 comme des albums de Yodé et Siro.
Deux titres qui me rappellent mon enfance, par exemple : « Gbazanan » de Boni Gnahoré , une chanson qui nous a marqué ici et « Death society » de Meiway qui me donne encore la chair de poule aujourd’hui !
La musique qui résume le mieux les « Nuits Balnéaires », c’est la High Life des années 60.
Le son qui représente Abidjan pour moi, c’est « Héros National » de Douk Saga, sorti après de grands troubles politiques. Il s’agit de la période à partir de laquelle ma culture abidjanaise a réellement commencé à se construire avec le coupé-décalé entre autre. C’est un point de départ de l’Abidjan actuel. Tout est parti de là ; le farot, le boucan, le m’as-tu vu, les soirées où tu dois faire des 50 bouteilles … Ici, ce qui compte le plus, c’est le personnage et le message car Douk Saga parlait beaucoup. Sur le plan musical, c’était nouveau par rapport à tout ce qu’on avait entendu sur la planète auparavant.
Je suis aussi un grand fan de zouglou, musique de la commune de Yopougon, la plus grande d’Abidjan. Elle est un peu snobée et on lui préfère souvent le coupé-décalé. J’écoute pas mal en ce moment le groupe Revolution, Dj Kerozen, Serge Baynaud, Bebi Philipp.
« Les heures narcissiques », un projet vidéo sur la confiance en soi
« Mon plus gros challenge, c’est la confiance en moi et en mon travail, des choses qui m’ont beaucoup manqué et que j’exorcise avec ce projet vidéo. »
C’est une vidéo, un court métrage, dont j’ai dévoilé un teaser début mai sur Instagram.
Le projet parle de la confiance en soi que je traite d’une façon très personnelle. J’ai toujours eu du mal à m’exprimer, j’ai dû apprendre à le faire. Pendant plusieurs années, je ne sortais pas, je m’isolais. J’avais le choix entre rester dans mon coin et laisser mon art dormir dans ma chambre ou en sortir et tenter de parler, toucher plus de gens qu’à travers les réseaux sociaux.
J’ai peur des relations avec les êtres humains suite à des choses que j’ai vécu mais je n’ai que de l’amour pour eux.
Je sens que je passe à une autre étape de ma vie. Mon plus gros challenge, c’est la confiance en moi et en mon travail, des choses qui m’ont beaucoup manqué et que j’exorcise avec ce projet vidéo. J’ai encore du mal à m’habiller comme j’en ai envie- pourtant je ne suis pas particulièrement excentrique- à cause du regard des gens. La société ivoirienne, -la famille notamment- est très sur toi.
La photographe Joana Choumali a eu un vrai impact sur la direction que je prends actuellement. Elle m’a incité à sortir plus, à montrer davantage ma fragilité, à l’assumer, à la traduire dans mon art. Elle m’a dit qu’une fois que j’aurai réussi à accepter à la fois mes défauts et mes qualités, je pourrai enfin m’épanouir aussi bien sur le plan professionnel que personnel. Elle trouvait que jusque là, j’étais trop dans la retenue. Donc, je veux prendre mon temps sur ce travail et le faire bien.
Un ami nigérian m’a aussi poussé à sortir de ma coquille. Il m’a aussi appris l’anglais. Il m’a beaucoup épaulé, m’a aidé à sortir de ma dépression. Il est décédé il y a un an après avoir accompli sa mission.
L’anxiété sociale et la confiance en soi, peuvent être de réelles souffrances. Je me dis que je ne suis pas seul, qu’il y a des personnes qui ont réussi à les dompter ou à bien les camoufler.
En parler en France, ou ailleurs, ce n’est peut-être pas nouveau mais évoquer le fait de se sentir mal à l’aise en société, ce n’est pas habituel en Côte d’Ivoire.
Ce qui compte véritablement pour moi, c’est qu’à terme, mon art puisse devenir une thérapie pour les gens, qu’il leur fasse du bien.
Les projets à suivre
Je me suis occupé de la direction créative en faisant des repérages à Abidjan pour deux clips de l’artiste allemand Bonaparte -dont le premier sera dévoilé courant juin. J’ai également réalisé un projet de portraits avec l’artiste hollandais Thomas Azier. Tous les deux ont enregistré en partie leurs albums respectifs dans cette ville.
Vous pouvez retrouver Dadi sur Instagram (@nuits_balneaires)
(Crédits photo : Fatima K.)