Tous les yeux sont rivés vers les États-Unis durant la course aux primaires des deux partis traditionnels. Pour l’occasion, G.R., journaliste, nous propose de nous pencher sur la question du vote noir au pays d’Obama.
Avant d’élire leur nouveau président le 8 novembre prochain, les américains doivent d’abord désigner État par État, en faisant parler les urnes, les deux candidats démocrate et républicain. Côté démocrates, la voix des minorités est décisive. Si en France, la question des statistiques ethniques tisonne le feu des polémiques, aux USA, ces données démographiques sont un élément clé des primaires : les afro-américains représentent 13, 6 % de la population américaine. 95 % des votes des Noirs sont en faveur d’un candidat démocrate. L’heure est à la drague…

Opération séduction
Kerry Washington, Magic Johnson, Uzo Aduba, Vivica Fox… nombreuses sont les célébrités noires américaines à avoir affiché sur les réseaux sociaux leur soutien à la candidate démocrate Hillary Clinton. Une stratégie de com’ qui rebooste le capital sympathie de l’ex-Première dame, en tête des suffrages à l’issue du second « Super Tuesday » du 15 mars, face à un Bernie Sanders moins populaire. Son cœur de cible? L’électorat noir des États du sud (Mississippi, Alabama, Géorgie, Caroline du sud…) et la population hispanique. Pour Cécile Coquet-Mokoko, maître de conférence à l’ Université de Tours, « cette pratique n’est pas nouvelle. Obama en faisait autant ». A grand renfort de tweets et de posts Instagram, caisses de résonance virtuelles d’une campagne menée du bout de l’index, on joue sur la proximité : «la plus grande crainte des démocrates est le taux d’abstentionnisme en particulier chez les jeunes noirs et latinos. En reprenant les codes du président Obama, ceux de la séduction et de la proximité, Clinton rallie des icônes populaires qui séduisent les jeunes et à travers lesquelles ils peuvent s’identifier », analyse l’universitaire.
David Rutherford, afro-américain, architecte, blogueur et membre du conseil au Bureau d’éducation de Plainfield (New Jersey) ne fait pas mystère de son vote pour la « General Election » du 8 novembre 2016 : «Il sera démocrate », assure d’emblée le jeune homme de 29 ans, même s’il ne s’avoue « pas particulièrement touché par le style de Clinton bien qu’elle ait de de fortes chances de l’emporter ». Selon lui, le vote noir a assurément un poids numérique dans ces élections. Aux États-Unis, les afro-américains représentent 13,6% de la population et 95% des votants désignent traditionnellement un candidat démocrate, «cela veut dire que sans ces voix, le parti démocrate n’existerait pas tel que nous le connaissons aujourd’hui. Cela signifie également que si l’on veut voir un candidat démocrate à la Maison Blanche, le soutien des Noirs est indispensable», explique le jeune homme issu d’une famille à l’héritage politique marqué par le parti communiste et le Black Panther Party.
En revanche, dans un pays au système électoral bipartite, la marge de manœuvre qu’offre le scrutin limite l’impact réel et direct du vote noir: « un vote noir massivement démocrate est prévisible et il se fera en dépit du candidat républicain. En l’absence d’une troisième alternative véritablement forte, les Noirs n’ont pas vraiment le choix des urnes. Et n’avoir pour seul choix que de voter pour une succession de candidats démocrates n’est pas ce qu’on peut appeler avoir un vote de pouvoir . Il est très difficile de faire bouger les lignes. », déplore David.
Voter, oui…..mais après ?
Cette vision binaire du système électoral aurait même pour effet de fragiliser davantage l’impact réel du vote noir pour les Noirs sur le plan socio-économique. Pour preuve, selon David Rutherford, la fin de l’ère Obama se soldera pour nombre d’afro-américains par la fin de l’enchantement du symbole du « Black President » : « c’est un président noir qui n’a pas œuvré pour la communauté noire. La plupart du temps, il aura observé le silence sur des problématiques liées à la race, thématique sur laquelle beaucoup l’attendaient, chose que certains candidats démocrates blancs n’auraient sans doute pas fait. Une façon de ne pas heurter l’opinion blanche et de ne pas être « le président des noirs », dont il bénéficiait pourtant d’une certaine forme de loyauté. C’est paradoxalement parce qu’il a dès le début bénéficié de cette loyauté sans faille qu’Obama a peut-être desservi la cause Noire.» souligne le jeune élu.
Aux États-Unis, les Noirs sont confrontés aux mêmes problématiques sociétales et économiques que la France : discrimination à l’embauche, chômage, pauvreté, contrôle au faciès….. mais contrairement à la France, les statistiques ethniques américaines traduisent une réalité que l’on peine à identifier formellement en France; 27.4% des familles noires américaines vivent sous le seuil de pauvreté contre 9.9% des familles blanches. 37% des hommes Noirs non-diplômés de 20 à 34 ans sont actuellement emprisonnés ou le seront tôt ou tard au moins une fois dans leur vie. Avec 12 % de sa population derrière les barreaux, la communauté noire américaine affiche le triste record d’être la plus incarcérée au monde. Aux griefs de cette discrimination s’ajoutent les « homicides justifiés » de la police –faisant un quart de victimes noires selon le FBI – et la violence qui stigmatisent plus durement les couches les plus pauvres de la population noire où «l’ homicide est de loin la première cause de mortalité chez les hommes noirs de 15 à 34 ans. » confie David, dont le frère et l’oncle ont été tués par arme à feu.
Pour Cécile Coquet-Mokoko, cet état des lieux résulte du cumul d’un racisme institutionnalisé hérité de l’esclavage et d’une politique de contrôle et d’incarcération massive des Noirs, intensifiée sous Bill Clinton avec la « Crime Bill « de 1994, époque pendant laquelle « on a dit à la communauté noire que les « Black-on-Black crimes », les crimes perpétrés par des Noirs sur d’autres Noirs était le vrai problème, ce qui a circonscrit e phénomène à un problème intracommunautaire pour tenter de légitimer cette politique ».
Si la rue regrette le manque d’implication de l’administration Obama pour panser des stigmates intimement liés à l’ethnicité, notamment les meurtres de Noirs non armés par des officiers de police ( Trayvon Martin, Tamir Rice, Mike Brown..), Cécile Coquet-Mokoko nous rappelle que « l’intervention d’Obama sur l’action de la police est très limitée . Contrairement à la France, les juges et les shérifs américains sont élus par le peuple à l’échelle fédéral, mènent campagne comme des politiques. D’où l’importance de la participation des minorités aux élections locales. Face à cela, il y a un manque d’empathie de la part des autres communautés sur la situation. »
Trump, Le Pen: même combat ?
En France comme aux États-Unis, l’ extrême-droite menace de museler davantage le dialogue intercommunautaire. Pire. Elle menace littéralement d’ériger des murs. Immigration, frontières, religion… les prismes politiques de Donald Trump et de Marine Le Pen s’affichent comme étrangement similaires aux yeux du monde. Pour ratisser au plus large l’électorat conservateur, tous deux usent d’un lexique victimaire face à l’ immigration. Pour Trump, il s’agira des mexicains « violeurs» et « trafiquants de drogues » (voir vidéo ci-dessous) ou des musulmans qu’il souhaite interdits de territoire américain. Quant à Marine Le Pen, la subtilité toute relative du discours privilégie une « priorité nationale » ou encore prescrit «l’arrêt immédiat de tout accueil de migrants » faisant un lien direct entre immigration et attentats de Paris du 13 novembre 2015. «Alors que Trump est ouvertement raciste, Marine le Pen s’en défend farouchement mais adopte le même postulat en instillant un racisme plus subtil, laissant à l’électorat le soin de faire l’amalgame seul » remarque Cécile Coquet-Mokoko.
«Trump choque, bouscule, enchaîne les déclarations scandaleuses. Il joue sur la provocation et les clichés en dépit d’un discours et d’un programme réellement construit. Là où il séduit l’électorat, c’est sur sa position de candidat « anti-système » qui bouleverse l’establishment. Ce postulat est le même que Marine le Pen qui remporte un vif succès dans le nord de la France», poursuit l’universitaire.
Mais qui vote Trump? Une certaine Amérique en marge, blanche, relativement peu instruite et voyant en sa candidature une sorte de « défouloir ». Pour Cécile Coquet Mokoko, «le point sur lequel Trump comme Le Pen peuvent s’avérer dangereux, c’est sur le fait qu’ils déplacent des électeurs qui ne votaient plus depuis un certain temps. En Amérique, le parti républicain a longtemps connu une fuite d’une partie de son électorat. Les « blue collars» ( « cols bleus »), qui désigne traditionnellement la classe ouvrière masculine et blanche, ont longtemps blâmé la politique d’Affirmative Action en faveur des Noirs et d’autres communautés pour justifier la précarisation , y voyant une “discrimination inversée » à l’encontre des hommes blancs et peu diplômés. L’administration Reagan y a mis un terme dans les années 1980. Aujourd’hui, ces gens restés en marge constituent la cible de Trump».
En France, la voix émergente semble assurément être celle du Front National de Marine Le Pen comme l’a démontré un nombre de voix à la hausse aux élections régionales de décembre 2015 sans pour autant remporter une seule région.
Côté américain, à l’heure actuelle, un duel Clinton/Trump semble se dessiner à l’horizon de novembre 2016 . Mais loin de faire l’unanimité dans son propre camp, Donald Trump, s’il est élu candidat républicain de ces primaires, risque de diviser davantage sa famille politique… à la faveur des démocrates.
À quand un leader pour la France Noire ?
Si aux USA, l’élection d’un président noir ou la nomination d’un candidat démocrate ouvertement sensible à la question raciale n’est gage ni de résultat ni d’émancipation noire par le vote, en France, il faudra attendre pour connaître la liste complète des présidentiables pour 2017 et distinguer un candidat potentiellement fédérateur du suffrage des minorités. Mais voir, à l’instar des États-Unis, une coalition Noire autour d’un candidat a , selon Cécile Coquet-Mokoko, peu de chances d’arriver : « il n’y a pas à ce jour de signaux forts qui l’indiquent. En France, tout comme aux États-Unis, les actions allant dans ce sens sont relativement circonscrites à l’image du mouvement Black Votes Matter. Nous sommes malheureusement loin de l’écho spectaculaire de la rue, des mouvements pour les droits civiques des années 1960 et du leader charismatique Martin Luther King. Depuis, l’Amérique a vu naître une bourgeoisie noire, inexistante avant l’administration Kennedy et la condition des Noirs s’est globalement améliorée» ajoute- t-elle.
De part et d’autre de l’atlantique, le problème du leadership et d’un consensus Noir semble faire défaut. «En France par exemple, depuis 2011 et la nomination de Louis- Georges Tin à la présidence du CRAN, croiser les problématiques de la sexualité et la race a créé des clivages et beaucoup de gens sont partis. » observe Cécile Coquet- Mokoko.
Par ailleurs, même si l’on retient l’action globale et radicale du collectif afro-féministe MWASI et sa réflexion sur l’intersectionnalité, pour l’universitaire « il serait cependant dommage d’imiter de trop près le modèle américain car cela entraîne une impossibilité de communiquer. Les communautés ne se regardent pas et l’absence de dialogue entre elles est le mal qui les rongent ».
Derniers résultats des primaires américaines
Côté démocrates, comme le rappelle Les Échos , « Hillary Clinton dispose au total de 1.771 délégués contre 1.092 pour Bernie Sanders, selon l’estimation de CNN, en incluant près de 500 « super délégués » qui l’ont assurée de leur soutien à la convention de Philadelphie. La majorité requise pour être investi est de 2.383.
Côté républicains : Ted Cruz dispose de plus de 500 délégués contre 740 pour Donald Trump. La majorité nécessaire s’élève à 1.237
Les noms des candidats à la présidentielle des deux partis seront officiellement connus à la convention de juillet.