ENTRETIEN – Née en France, Grace Ly a utilisé la cuisine comme porte d’entrée pour accéder à la culture cambodgienne transmise par ses parents en y consacrant un blog, « La Petite Banane« . Grace Ly parle volontiers de sa double culture franco-asiatique et a même créé une websérie, « Ça reste entre nous », où d’autres femmes et des hommes s’expriment sur la question. Le dernier épisode mis en ligne à ce jour, le troisième aborde le thème de l’éducation des enfants. Pour les six suivants de la saison 1, elle a décidé avec son équipe de lancer une campagne de crowdfunding qui s’achève dans 46 jours. Déjà 27% de l’objectif atteint soit 4170€. Pour contribuer, c’est par ici !
Grace Ly fait partie de celleux qui veulent montrer une autre image des Asiatiques en France, reflétant tout simplement leur quotidien et s’éloignant ainsi des clichés établis par la société.

Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Grace Ly, je tiens un blog qui s’appelle « La Petite Banane » où je parle de bonnes adresses de cantines et restaurants asiatiques mais aussi d’identité.
Pourquoi avoir appelé votre blog « La Petite Banane » ? Est-ce un nom qui a choqué certain.e.s ?
Bien sûr, on m’a déjà dit « mais pourquoi utiliser le mot ‘banane’ ? C’est raciste ! » Mais c’est le surnom que me donnait ma mère de façon affectueuse. Elle me disait jaune à l’extérieur et blanche à l’intérieur, du fait de ma double culture -mes parents ont quitté la guerre au Cambodge pour venir en France où je suis née. Ma mère voulait à tout prix que je m’intègre, elle croyait bien faire.
Quand avez-vous créé le blog ? Comment vous est venue l’idée ?
J’ai créé le blog il y a 7 ans. Il est né d’une colère, suite à une série de reportages télévisés qui pointaient du doigt les restaurants chinois pour leur mauvaise hygiène. On parlait d' »appartements raviolis ». Cela a contribué à leur faire une mauvaise réputation, ce que je trouve injuste. A cause d’une minorité, la majorité des restaurateurs sont stigmatisés. Quand on va manger dans un mauvais restaurant par exemple français, on dira « ça peut arriver », « je n’ai pas eu de chance ce coup-ci ». Alors que quand il s’agit d’un restaurant chinois, ce sera « je ne mangerai plus jamais ce type de cuisine, je vais encore tomber malade. » Je suis d’autant plus sensible à ça que mes parents sont eux-mêmes restaurateurs. J’ai également choisi de parler de cuisine car c’est le moyen le plus rapide d’accéder à la culture de mes parents.
Comment est née la websérie « Ça reste entre nous » ? Pourquoi ce nom ?
Le projet, que je réalise avec mon amie Irène Nam à la caméra, est inspiré des discussions que j’ai avec mes proches quand on se retrouve et qu’on échange autour d’un repas. L’idée, c’est de donner la parole à des asiatiques français.e.s, qui parlent de leurs expériences. Il y a un manque de visibilité à ce sujet. Ou alors, on nous limite à des stéréotypes (tou.te.s des restaurat.eur.ices, la minorité modèle etc). Dans cette websérie, on partage des choses personnelles, dont je ne peux, pour ma part, parler que dans un cadre intime. C’est de là que vient le nom « Ça reste entre nous ».
Pour le moment, vous avez réalisé trois épisodes : un sur les femmes, un autre sur les hommes et le dernier sur l’éducation des enfants. Comment avez-vous sélectionné les intervenant.e.s ? A-t-il été difficile de les convaincre de participer ?
Les intervenant.e.s sont des ami.e.s, pour des raisons pratiques ; c’était plus simple pour commencer. Iels ont tou.te.s accepté volontiers de participer sauf une femme, qui figure dans le dernier épisode, qui a failli ne pas le faire à la dernière minute. Encore une fois, on parle de choses intimes, elle avait peur de ce qu’aller en penser sa famille. Au final, elle a joué le jeu et m’a même dit que ça lui avait fait du bien.

Avez-vous montré le projet à vos parents ?
Ils ne comprennent pas les questionnements identitaires que je peux avoir. Pour mon père, je suis cambodgienne. Mes parents sont d’une autre génération. Ils se disent, après avoir fui la guerre, qu’ils sont bien contents que ce pays, la France, les a accueilli. Pour eux, je m’invente des problèmes à critiquer les clichés auxquels on est assimilé.e.s et je devrais juste dire merci d’avoir pu naître ici. J’aimerais donc finir certaines choses avant de leur montrer.
Avez-vous tenté de vendre ce concept pour l’adapter à la télévision ?
On a tenté de démarcher quelques chaînes mais elles sont frileuses…
Jugent-elles le programme « trop communautaire » ?
Oui, parce qu’un programme qui ne réunit QUE des asiatiques … Pourtant, quand on voit le public qui vient quand on organise des projections -comme la seconde qui a eu lieu en novembre au Musée de l’Histoire de l’Immigration– ou même l’audience sur les réseaux sociaux, on voit bien que le sujet ne parle pas qu’aux Asiatiques mais touche tout le monde. Ce sont des questions universelles qu’on aborde : l’amour, la séduction, la confiance en soi, l’éducation des enfants …
Quelle est la suite du projet ?
Nous allons continuer « Ça reste entre nous » mais cette fois, j’aimerais beaucoup que ce soit des intervenant.e.s extérieur.e.s, des femmes et des hommes que je ne connais pas, qui y prennent part, en proposant des thèmes et en prenant la parole devant la caméra. Nous allons aussi lancer une campagne de crowdfunding car le programme a été réalisé sur nos fonds personnels jusqu’ici.
Vous pouvez retrouver Grace Ly sur la page Facebook La Petite Banane, sur la page Facebook Ça reste entre nous. Elle est également sur Twitter (@BananaGras).
(Crédits photo à la une : Camy Duong)