« Être soi-même [dans notre société] est une forme de résistance »
IMAGE – Elle est de ces personnes de l’ombre, essentielles pour qu’un projet où la direction artistique est pensée et travaillée avec soin aboutisse pleinement.
Anaïs parle et se montre peu. Discrète, habitée, puissante.
On a eu un crush pour son instagram – IG : naissyin-, où elle s’exprime à travers la couleur, la photo d’une manière très, très personnelle. Officiant sur des tournages de films, de séries, de campagnes photos, de clips, elle met en costumes la vision des artistes avec lesquelles elle collabore, avec le sens du détail qui tue. Pour toutes ces raisons, on est ravies qu’elle ait accepté d’apparaître dans cette première édition des #FraichesWomen.
Comment définissez-vous votre travail ?
Je me contenterais de trois mots d’ordre : ADAPTATION, EFFICACITE, PSYCHOLOGIE.
Les projets sont tous différents et ont chacun leurs propres enjeux, l’idée c’est d’y répondre en collaboration avec les différents protagonistes avec envie et une vision globale 🙂
A-t-on essayé de vous décourager ou vous avez été au contraire encouragée, choyée, portée dans votre entreprise ?
Encouragée je dirais, de manière positive!
Les phrases du type : « Anais, tu dois faire le double de tes camarades d’école » ont bercé ma scolarité.
En revanche, j’ai essayé de garder en tête ce type d’exigence comme ligne de conduite, pour ce en quoi je crois.
Bien sûr,je ne cacherais pas que les métiers artistiques ne font pas partie du top 5 ni même du top 10 dans certaines familles, qui plus est des familles issues de l’immigration.
Je pense qu’un des enjeux de la question réside dans la relation que l’on entretient avec son monde intérieur ; il ne faut accepter aucune barrière mentale, ni physique.
Entrer en vérité en soi-même est un combat de tous les jours, s’imaginer, et se donner les moyens de vivre ce que l’on choisit d’être malgré les nombreux filtres, est la plus belle des réponses faite à notre société, où tout le monde ne correspond pas aux normes supposées ; on n’a parfois pas la bonne sexualité, la bonne religion, le bon physique, la bonne personnalité… : y être soi-même est une forme de résistance.
Je ne me sens jamais pleinement quelque chose, tout est toujours en mouvement.
Mais enfant, j’étais déjà attirée par ce métier. Je faisais des vêtements à mes barbies avec de la récup, je m’amusais à leur coudre des petits looks et je relookais mes amies et leur expliquaient comment exploiter leurs armoires !
Je ne pense pas être la seule dans ce cas d’ailleurs ! (rires)
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Je suis sur plusieurs choses à la fois, mais là tout de suite je viens de travailler sur le visuel de la collaboration Kalash et Damso –Mwaka Moon, une tuerie, ndlr- à venir.
Quelle est votre principale source d’inspiration ?
Quasiment tout.
Il y a du bon en toutes choses, vous ne pensez pas ?
Mode – Aïssé N’Diaye et sa marque Afrikanista aux t-shirts floqués de messages afro d’utilité publique et aux légendaires épaulettes à franges, on vous en avait déjà parlé l’an dernier. La volonté de cette afrofrançaise de transmettre la culture héritée de ses parents immigrés d’origine mauritanienne à travers des citations africaines et sa façon de remettre en question les valeurs françaises se voulant républicaines et universelles nous ont interpellé et marqué. Après avoir sorti trois collections fortes, Aïssé N’Diaye est un nom qu’il va vous falloir retenir, une vraie fraiche woman. Si vous en doutez, elle va vous donner de quoi vous décider.
« A travers ma marque de vêtements, je souhaite rendre hommage à ma mère, mes parents, les anciennes générations africaines et plus globalement à la culture subsaharienne de l’Afrique de l’Ouest »
Comment définissez-vous votre travail ?
A travers ma marque de vêtements AFRIKANISTA, je souhaite rendre hommage à ma mère, mes parents, les anciennes générations africaines et plus globalement à la culture subsaharienne de l’Afrique de l’Ouest dont je suis issue (je suis d’origine mauritanienne).
Dans mes collections, je glisse également des questionnements quand à ma condition de française issue de l’immigration -sic- et le rapport entre la culture française dans laquelle je baigne depuis ma naissance et ma couleur de peau, mon ADN, mon héritage et les valeurs que mes parents m’ont inculqué à travers ma culture africaine, mon positionnement dans la société française en tant que citoyenne, le déni de la France à l’égard de l’Afrique à travers l’histoire, l’invisibilisation des noirs dans la société…
A-t-on essayé de vous décourager de faire ce que vous faites, ou vous avez été plutôt encouragée, choyée, portée ?
Mes parents n’ont pas pris au sérieux mon projet dans les débuts, surtout mon père qui n’a pas compris quand j’ai démissionné de mon poste de visuel merchandiser alors que j’étais confortablement installée dans mon métier que je pratiquais dans une boîte où je travaillais depuis onze ans …
Je ne pense pas que c’était en rapport avec le fait que je sois une femme et noire mais plutôt par rapport aux lendemains incertains et à la précarité de ma situation financière que ça pouvait entraîner.
Aujourd’hui ce sont les premiers à m’encourager, mes amis me soutiennent beaucoup également et me motivent à m’accrocher et à continuer l’aventure.
Quand vous êtes-vous sentie pleinement créatrice de mode ?
Quand j’ai sorti la collection « LIBERTÉ, ÉGALITÉ, AFFAIRE DE PAPIERS », j’étais fière de voir qu’elle plaisait et que les gens comprenaient le message que je voulais faire passer. Cette collection fait référence à l’immigration en France à travers cette notion de « papiers »; la carte nationale d’identité ou le titre de séjour conditionne la situation et la place de chaque personne issue de l’immigration au sein de la société française qui, malheureusement, ne reconnaît pas cette partie de la population comme étant des citoyens à part entière.
La notion de fraternité est biaisé. Quand l’article 1 de la Constitution dit en ces termes : » la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances(…) », tu te dis qu’on ne respecte même pas la loi, tant il y a un décalage avec la vie réelle. Je voulais montrer que les immigré.e.s sont des gens lambda et montrer la mixité sociale à travers les quartiers populaires, ces petits bouts d’Afrique qui rendent si belle notre capitale qu’est Paris.
« LIBERTÉ, ÉGALITÉ, AFFAIRE DE PAPIERS », c’est cette France multiculturelle qu’on refuse de célébrer, ce sont ces immigré.e.s qu’on pointe toujours du doigt et qui servent toujours de bouc émissaires quand le pays va mal.
Je n’ai pas créé cette collection toute seule : c’était la dernière avec mon ancienne associée, Nadia, qui a quitté l’aventure juste après le lancement. À ce moment-là, elle m’a dit: « Aïssé, cette marque, c’est ton bébé, ton histoire. Tu es la meilleure narratrice de ce projet et il faut que tu laisses parler ta créativité en étant seule aux commandes ». On en a pleuré ensemble….
Je me suis sentie LIBRE et pleinement créatrice de mode à partir de là.
Aujourd’hui, Nadia suit toujours la marque -car c’est ma sœur de cœur- et ses conseils me sont toujours précieux.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Après ma collection en collaboration avec XARITUFOTO, je travaille sur la prochaine qui sortira au premier trimestre 2018.
Quelle est votre principale source d’inspiration ?
Mes parents sont ma principale source d’inspiration et plus particulièrement, ma mère.
(RE)DECOUVERTE – Aïssé N’Diaye a créé la marque Afrikanista, reflétant son intérêt pour l’Afrique et la mode. Actuellement au Comptoir Général pour vendre ses vêtements, on l’a rencontrée.
Aïssé N’Diaye, c’est la jeune femme de 35 ans, derrière la marque Afrikanista. Afrofrançaise -franco-mauritanienne-, banlieusarde, cette ancienne visual merchandiser se consacre tout entière à sa petite entreprise. Celleux qui la connaissent déjà n’apprendront rien mais ne l’en aimeront que mieux, celleux qui ne comprennent pas pourquoi ses créations, des t-shirts, des sacs et des pochettes ont peu de wax et beaucoup de messages devraient avoir envie de les approcher de plus près.
Afrikanista
Afrikanista
Un déclic : une photo de sa mère
« Ma mère figurait sur une photo avec ma tante, qu’elle avait ramené d’un voyage de Mauritanie, le pays où elle a grandi. La photo, que j’ai vu par hasard il y a quatre ou cinq ans a été prise à Dakar dans les années 70 ; c’est la première fois que je découvrais ma mère petite. J’ai pris conscience que c’était un bien commun mais sous-exploité : on a tous des photos de famille, la photographie africaine reste mal connue. J’ai commencé à m’y intéresser, à faire des recherches sur Seydou Keïta, Malick Sidibé. L’idée de mêler vintage, -j’aime les objets anciens, le style des chanteuses années 70-80-90- et l’Afrique dans un concept a commencé à germer. »
Une pièce phare : les épaulettes
« Les épaulettes sont inspirées de Beyoncé. Dans les clips de Diva et Run The World, il y a un côté très féministe et girl power qui m’a influencé pour créer le concept de la « Funky Diva », une femme fière de ce qu’elle est, entreprenante, confiante en elle et en son style. Si mes collections ont plutôt attiré les femmes, les hommes qui aiment la mode achètent avec les épaulettes. »
Des opportunités : Le Comptoir Général, Merci
« La première fois que j’ai présenté mes pièces au grand public c’était lors du festival Art’Press Yourself, organisé par Laetitia N’Goto, en novembre 2015. J’ai pu montrer mes collections chez Merci en mars 2016. Grâce à une de mes followeuses sur Instagram, on m’a contacté pour participer à cette édition So Wax. » Aïssé N’Diaye propose ses créations au Comptoir Général jusqu’au 30 avril 2016.
Des territoires : l’Afrique, Clichy-sous-bois
« Difficile de me positionner en tant que Française. Je ne me reconnaissais pas dans ce que je voyais à la télé, je me sentais marginalisée : j’ai grandi dans un quartier populaire à Paris, j’ai vécu à Clichy, point de départ des émeutes. Les proverbes africains m’ont toujours influencé, comme « Tant que les lions n’auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur » ; il résume selon moi l’histoire des Noir.e.s. J’ai été seulement deux fois dans le pays de mes parents ; petite, ce n’était pas évident d’y aller plus. Si j’avais 18 ans lors de mon dernier séjour, je connais la Mauritanie surtout à travers ce qu’en racontent mes parents qui y vont souvent, les photos. Je suis passionnée par l’Egypte antique, je trouvais important de parler de ce pan de l’histoire falsifiée à travers ma marque, qui veut qu’on oublie que les Egyptien.ne.s étaient noir.e.s.. Le logo d’Afrikanista fait référence à l’oeil d’Horus, un dieu égyptien, l’oeil étant une amulette symbolisant la protection. »
Une ambition : se développer à l’international
« Je veux prendre des leçons de stylisme, ne pas me limiter à la sérigraphie et pouvoir dessiner des collections en wax, fidèles à mon esprit. J’aimerai également ouvrir des points de vente, en France et à l’étranger. Je prépare un projet lié à Afrikanista, mais dont je ne peux pas encore parler. »