Naïl Ver-Ndoye, co auteur de ‘Noir entre peinture et histoire’: « Mon but est de rendre l’art accessible à tout le monde»

ENTRETIEN- Depuis le 26 mars, le grand public peut visiter l’exposition « modèle noir : de Matisse à Géricault » au Musée d’Orsay. Une exposition qui parle des noir.es en tant que sujets artistiques mais adresse également leur place dans la société française. En octobre dernier paraissait le livre « Noir entre peinture et histoire », co-écrit par les historiens et professeurs Naïl Ver-Ndoye et Grégoire Fauconnier adressant la question des modèles noir.es du XVIème au XXème siècle à travers l’Europe. Un travail de quatre ans bien venu alors qu’il reste encore difficile d’aborder les questions raciales en France. Naïl Ver-Ndoye nous en dit plus sur ses découvertes et livre son point de vue sur la difficile discussion en France sur ces questions.


Quel est le postulat de départ du livre « Noir, entre peinture et histoire » ?

Au départ, je pensais que l’histoire de la présence noire en Europe se résumait surtout à l’esclavage et à la colonisation. Je m’attendais d’ailleurs à ce qu’on trouve beaucoup de tableaux mettant en scène l’esclavage. Mais ce ne fut pas le cas car contrairement aux Etats-Unis, il ne se pratiquait pas sur le sol français. En revanche, on a trouvé beaucoup d’oeuvres représentant des domestiques. J’ai finalement découvert que des Noir.es étaient en Europe notamment suite à des échanges diplomatiques et offraient même des cadeaux, comme une girafe

Comment a été accueilli le projet par les maisons d’édition ?

Ça a été difficile de trouver un éditeur. Au début, on nous a conseillé d’aller voir des éditeurs anglo-saxons en nous disant que si le livre marchait bien, on le traduirait en français car c’est une problématique qui n’est pas traitée en France.

Y a-t-il des œuvres qui ont été particulièrement difficiles à trouver ?

On a découvert l’histoire de l’abbé Moussa, un sénégalais arrivé en France dans les années 1820 et qui a donné la messe au roi Louis-Philippe, à travers un texte. Il n’y avait pas d’images en haute définition de son portrait. Quand on a contacté le musée de Bagnères-de-Bigorre dans les Pyrénées, la toile n’était pas exposée mais stockée dans la réserve et il n’y avait pas de possibilité d’avoir de photos. On a mis un an et demi pour obtoir cette photo et pour d’autres œuvres. Finalement, notre éditeur a négocié avec le musée pour envoyer un photographe sur place. En tout, il aura fallu un an et demi pour obtenir la photo de cette œuvre. Pareil pour le tableau « Ourika » et d’autres, ce qui a en partie retardé la sortie du livre.

Quel est le but de ce livre ?

Mon but est de rendre l’art accessible à tout le monde, de démocratiser la culture et je pense qu’avec ce livre, c’est réussi. On a produit un livre que les historiens de l’art n’ont pas pu faire.

En histoire, il y a quatre périodes : ancienne, médiévale, contemporaine, moderne. Dans le livre, on traite un peu de la médiévale et surtout des deux dernières. Je pense que pour les historiens de l’art, on va se concentrer sur un courant de peinture, un artiste ou un pays. Mon objectif est de sortir de cette lecture trop académique, de ne pas me mettre de limites.

Je l’ai conçu de façon à ce qu’il n’y ait pas besoin de le lire en continu ; on pioche dedans quand on veut.

Je me suis efforcé de trouver des petites anecdotes pour chaque tableau, de partir de la petite histoire pour aborder la grande histoire. Par exemple, quand on met un tableau sur Haïti, on en profite pour placer la révolution haïtienne ; quand on voit « Othello », on parle du blackface qui existe encore aujourd’hui, quand on fait figurer le tableau « Les grands plongeurs noirs » de Fernand Léger dans la dernière partie de l’ouvrage, on peut évoquer la ségrégation dans les piscines américaines et rappeler qu’une de ses conséquences est que les noir.es sont toujours plus victimes de noyades que les blanc.hes aux Etats-Unis …

Parlons de l’exposition « Le modèle noir : de Matisse à Géricault » actuellement au Musée d’Orsay qui balayent les périodes de 1794 au XXème siècle. Dans la première salle, un panneau indique que de « nombreux titres (d’oeuvres) anciens reflètent des marqueurs raciaux datés tels que « nègre », « mulâtre », « câpresse » mais ne pouvant être d’usage de nos jours. (…) et a décidé de renommer les œuvres en mettant le nom du modèle lorsqu’il était connu. On note aussi que sous certaines œuvres les termes racistes ont été remplacés par « noir » par exemple. Qu’en pensez-vous ?

Le fait de remplacer les termes racistes se fait déjà aux Pays-Bas depuis 2015. La directrice de l’époque du Rijksmuseum à Amsterdam a décidé de remettre en question le passé colonial du pays et de passer en revue 220 000 noms de tableaux. Elle recevait beaucoup de messages de descendant.es et elle a décidé de chercher des termes « plus neutres ». Pour moi, neutre ne veut rien dire car peut-être qu’à l’époque « nègre » était neutre. Une chose est sûre : je suis contre son utilisation aujourd’hui, c’est péjoratif, une partie de la population en souffre. A partir du moment où on utilise des termes qui peuvent blesser des gens, il faut faire attention. Il y a eu tentative de réappropriation mais le mot est trop chargé. Mais la sémantique évolue et peut-être que le mot « noir » ne sera plus neutre dans le futur.

A Amsterdam, ils ont été jusqu’au bout. Il ne faut pas oublier que la plupart des artistes, à part les grands noms, n’ont pas donné les titres à leurs oeuvres, ce sont leurs proches ou autres qui vendaient les toiles qui l’ont fait. Mais si c’est l’artiste qui l’a marqué au dos, le musée laisse le titre original en dessous en indiquant « nom original donné par l’artiste » Cette réflexion est intéressante à mon sens.

J’ai d’ailleurs récemment appris l’origine de « chabin » et « mulâtre », des mots péjoratifs depuis le début puisqu’ils désignent des animaux hybrides et stériles. Informer les gens sur les sens de ces termes, c’est un travail d’éducation que nous avons.

On parle aussi d’exposition pionnière sur le sujet or elle vient des Etats-Unis.

Le Musée d’Orsay oublie d’évoquer l’exposition de 2008 « Black is beautiful, de Rubens à Dumas » au Rijksmuseum à Amsterdam qui balaye cinq siècles, intègre sept pays européens et a été réfléchi avec des membres de la communauté noire sur place.

Finalement, en France, c’est comme si on existait dans les peintures du XIXème siècle mais qu’on existait pas au XXème siècle.

Quels sont les retours concernant le livre ?

Aujourd’hui encore, on m’envoie des messages en me disant « le livre est super, j’ai appris des choses » ou pour se réjouir qu’on voit autre chose que juste des noir.es dans des positions subalternes, avec des rois, des princes, des cavaliers etc. Des personnes ayant acheté le livre se prennent en selfie avec et j’ai donc créé un compte Instagram pour les publier.

Quels sont les projets à venir ?

Le livre sera actualisé et réédité. Sinon, je continue à donner cours dans un lycée.