#Nyansapo : étonnant ou assourdissant, le silence de Christiane Taubira ?

Pas besoin de revenir sur la polémique née fin mai autour du festival Nyansapo. De non-mixte, l’événement a été désigné comme étant « interdit aux blancs ». La Mairie de Paris, relayant la LICRA et des membres du FN a voulu interdire le déroulement de l’événement prévu du 28 au 30 juillet et organisé par le collectif afroféministe Mwasi. Cet événement européen prévoit de réunir des organisations militantes et des intéressé.e.s autour de débats et d’ateliers, dédiés aux femmes noires.

L’origine de la polémique a déjà -très bien- été expliquée notamment ici. La nécessité de la non-mixité militante, entre femmes afrodescendantes, visiblement le point d’achoppement majeur pour les détracteur.ice.s du festival, a parfaitement été évoquée ici ou encore  ; le journaliste a voulu montrer que bon nombre d’organisations, qui ne sont ps forcément militantes, agissent de même sans soulever de tels débats. On a eu droit à une drôle de sortie de crise opérée par la Maire de Paris ici.

Des personnalités comme Audrey Pulvar, Axelle Jah Njiké, Océane Rose-Marie, Christine Delphy ont également pris part à la discussion, en s’opposant parfois ici ou . Leurs passes d’armes mettaient en scène deux points de vue – globalement le pour et le contre-, comme un reflet de ce qui se passe chez les concerné.e. s, celleux qui ne font pas forcément partie de l’espace médiatique : le consensus sur la question n’est pas si évident.  Raison de plus d’attester que les questions que soulèvent la création de ce festival permettent de lancer une réflexion intéressante sur le militantisme, ses modes d’action en général et sur l’afroféminisme français, ses actrices en particulier.

Dans ce concert de voix plus ou moins discordantes, il nous semble que celle de Christiane Taubira manque. Non pas que nous nous octroyions un quelconque droit d’inciter qui que ce soit à parler, ou à condamner une absence de prise de parole. Cela étant, le silence de l’ancienne ministre nous interroge. Car elle est considérée. Pour beaucoup, c’est l’un.e des rares à faire de la politique autrement, en élevant le débat public, loin de la petite phrase ou du commentaire, à prendre position, malgré les attaques racistes qu’elle subit, en allant parfois même à l’encontre des propositions de sa famille politique, comme au moment du débat sur la déchéance de nationalité.

En cette période d’élections, -la campagne des législatives bat encore son plein au moment où la polémique éclate- le compte Twitter de Christiane Taubira regorge d’images sur le terrain, ou dans des événements culturels, de soutiens endossés pour des candidat.e.s de gauche. Ses réseaux sociaux sont souvent l’espace où elle délivre son regard sur l’actualité large, de la question des réfugié.e.s à la moralisation de la vie politique. Elle s’y exprime également sur ses propres actions comme lorsqu’elle a décidé de quitter le gouvernement Valls 2. Mais pas un mot sur Nyansapo, quand la polémique soulevée par le festival a même fait les titres des médias étrangers, s’étonnant souvent de la réaction de la Maire de Paris, comme ici ou encore .

Comme cette dernière, Christiane Taubira fait partie du mouvement Dès demain, lancé aux côtés de deux cents autres personnalités, après l’élection présidentielle du 21 avril dernier remportée par Emmanuel Macron. Est-ce un sujet -trop- brûlant, qui mérite d’être adressé une fois les débats émotionnels retombés ? Une trop grande prise de risque pour cette personnalité politique, qu’on a par ailleurs souvent attaquée parce que femme et noire ? D’autres telles Lunise Marquis ont clairement marqué leur position, risquant au passage de croiser le fer avec des utilisateur.ice.s des réseaux sociaux parfois sans concession : s’embourber dans un débat parfois très tranché n’a pas découragé tout le monde. Est-ce le cas de Madame Taubira ? Est-ce que ce temps du silence est celui des discussions en coulisses, notamment avec Anne Hidalgo, une des protagonistes de la polémique ? Bref, est-ce que Christiane Taubira a intérêt en parler ou pas ?

MILITANTISME – Racisme et sexisme : la cause de la cyberactiviste afroféministe @chillancezone

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ENGAGEMENT- Qu’elleux s’expriment sur la toile ou organisent des manifs, pour l’environnement, contre le “blackface” ou la “misogynoir”, les Afrodescendant.e.s militent. Cette semaine, L’Afro a parlé avec Taïna, @chillancezone, cyberactiviste afroféministe. 

Militer : vb. Agir, combattre pour ou contre quelqu’un, quelque chose. L’Afro va à la rencontre des Afrodescendant.e.s qui veulent voir changer le bout de leur rue ou du monde et inaugure sa série d’entretiens « Afro et engagé.e ». Aujourd’hui, c’est Taïna, @chillancezone, cyberactiviste afroféministe qui s’exprime. 

Qui êtes-vous ? 

Le moment fondateur qui vous a poussé à l’action ?

C’est plutôt un outil : Twitter. Y parler des micro agressions que l’on subit au travail en tant que femme noire a été pour moi libérateur. Je travaille dans un milieu qui se pense exempt de tout racisme qui y est systémique et donc plus insidieux : c’est également difficile de s’admettre à soi-même qu’il existe. Partager comment je me sentais invisible.

Depuis combien de temps vous militez ?

 Je ne milite pas vraiment. J’écris sur ce qui me touche, je participe parfois à des manifs qui me tiennent à cœur et j’essaie de baigner dans la sororité noire informelle le plus souvent : être entourée de femmes noires m’est vital.

Comment le vivent vos proches ? 

Le fait de « militer » sur Internet ne me fait pas changer mes habitudes de vie donc cela n’a pas d’incidence sur eux. J’ai  toujours eu mes idées sur ces sujets et elles se sont renforcées.  Est ce que mes proches sont d’accord avec tout ce que je dis ? Non. Respectent t-ils ma liberté de penser ? Oui. Comme c’est tout ce que je demande, je le vis bien.

Les réactions lorsque vous révélez la cause pour laquelle vous militez ? 

Lorsque je m’affirme féministe, il y a toujours deux réactions. Celleux qui pensent aux Femen alors que c’est un courant plutôt versé dans les images chocs et assez raciste. Pour moi le féminisme, ce n’est pas créer d’autres discriminations : il doit concerner toutes les femmes quelque soit la religion, la couleur de peau.

Si certain.e.s de mes interlocutrice.eur.s ne tiltent pas sur le féminisme, le mot afroféminisme fait réagir : « Oui mais pourquoi diviser ? », m’oppose-t-on. Difficile de leur faire entendre  que le féminisme blanc ne prend pas en compte -notamment- la double agression raciste et sexiste que je peux vivre au quotidien, en tant que femme noire. En France, on est prompt à parler de plafond de verre, des violences faites aux femmes. On peut reconnaître l’existence de ce sexisme-là, à demi-mot, mais parler de racisme, c’est renvoyer au passé colonial du pays et le déni sur cette question est immense.

Êtes-vous encarté.e ? Dans une association ? Dans une ONG ?  Sympathisant.e de mouvement ? 

J’ai cherché à le faire au début mais je ne me reconnais pas dans des associations anti-racistes comme SOS Racisme et co, avec des hommes blancs à leur tête, c’est quand même l’ironie poussée à l’extrême. Des associations comme Osez le féminisme, crachant sur les femmes voilées, très peu pour moi : quand t’es féministe, tu prends en compte toutes les femmes. Le Parti des Indigènes de la République, -P.I.R.-, un parti décolonial et ses textes pleins d’homophobie latente, non plus.

Etant d’origine haïtienne, j’ai trop vu à quel point les ONG, c’est juste un business comme un autre p: je n’irai donc jamais militer pour l’une d’elle. Je préfère les actions spontanées de femmes partageant les mêmes points de vue que moi. Internet a au moins ça de bien ; en deux clics, on peut trouver diverses causes qu’on veut défendre et les soutenir financièrement ou en signant des pétitions. Il y a deux ans, j’ai pris la décision de ne pas m’encarter, de ne pas faire partie d’une assoc. Je ne dis pas que toutes les assoc sont nulles, des récentes trouvent mes faveurs ; j’ai juste fait ce choix.

Quel est votre mode d’action préféré ? 

 Tous, du moment qu’on arrive à faire changer les choses que ce soit en allant aux manifs, en participant aux hashtags sur les réseaux sociaux, en mobilisant sur le net pour signer des pétitions.

Qu’est-ce qui, selon vous, empêche principalement votre cause d’avancer ? 

Pour l’afroféminisme, c’est notre invisibilité de femmes noires et ce besoin qu’ont les hommes -noirs, blancs-, ainsi que certaines femmes non blanches, à vouloir prendre notre spot. Par exemple, lors d’un grand débat sur l’afroféminisme, qui est avant tout un outil pour les femmes noires, d’autres femmes voulaient que cet outil soit pour toutes les femmes non blanches. Je n’accepte pas que certaines personnes veuillent revendiquer leur  héritage afro lorsqu’il y a des outils mis en place mais ne répondent pas présentes lorsqu’il s’agit de parler et de se battre contre des discriminations spécifiques aux femmes noires comme la misogynoir, misogynie qui touche spécifiquement les femmes noires.

Une action qui a débouché sur quelque chose d’inattendu ? 

J’admire toujours les actions que le collectif afroféministe Mwasi arrive à mettre en place  que ce soit pour aider des réfugié.e.s ou pour célébrer le 8 mars : ces femmes déchirent tout. Participer au film Ouvrir la Voix d’Amandine Gay a aussi été inattendu et révélateur pour moi.

Une action particulièrement difficile à mener ? 

 Participer à la manif contre Exhibit B en tant qu’afrodescendante a pour moi été difficile. On s’est fait gazer alors que tout ce que l’on demandait, c’était un minimum de respect pour ce que nous sommes, des êtres humains.

Le reproche qu’on vous fait souvent, lorsque vous parlez de la cause pour laquelle vous militez ? 

« Tu vois le mal partout. T’es parano. Tu donnes un style… » Pour les gens, parler racisme et sexisme, c’est trop.

La chose positive qu’on vous dit souvent, lorsque vous parlez de la cause pour laquelle vous militez ? 

Quand tu dis aux gens que t’es contre le racisme, le sexisme, l’islamophobie, l’homophobie, la transophobie ça n’a qu’un seul effet : leur clouer le bec.


Qu’est-ce que représente le fait de militer dans votre vie ?

Ma vie est politique, mon existence en tant que femme noire et le fait de l’assumer dans un monde comme le notre est l’acte le plus militant de ma vie. Cela ne représente qu’une seule chose pour moi : la liberté, le principe le plus important.

Pour suivre Taïna sur Twitter, c’est par ici

RÉSEAUX – Le compte Twitter de la semaine : @LifeOfAFoC

@LifeOfAFoC, c’est quoi ? : Un compte, Life of A Feminist Of Colour  – La vie d’une féministe non-blanche-, animé par une twitta différente chaque semaine qui parle de son quotidien de militante.



Date de création : août 2015

Pourquoi @LifeOfAFoC : « Sur un coup de tête », explique @patpanthere, créatrice du compte, qui se présente comme une jeune femme originaire Cameroun et vivant en région parisienne depuis près d’un an. « Exaspérée par les nombreux propos sexistes, homophobes tenus par des comptes que je suivais sur le « Twitter africain », contre lesquels moi et les féministes de ma TL réagissions un soir, j’ai lancé l’idée sur Twitter de créer un compte communautaire de féministes, afin de reprendre le contrôle sur notre narration, précise-t-elle. J’avais en tête un espace où l’on pourrait montrer à quel point les femmes féministes sont diverses, que ce soit par leurs origines, leur âge, leurs professions, leur orientation sexuelle, leur situation matrimoniale et démonter les clichés et l’ignorance entourant le féminisme et les femmes féministes… »

La question : comment choisit-elle ses invitées ? :  » C’est un peu aléatoire. Je me base sur ma propre timeline, grâce aux retweets et suggestions de comptes à suivre, avoue celle qui ne s’imaginait pas un jour devenir une cyber-militante féministe et anti-raciste. Idéalement, je voudrais que les personnes se portent volontaires, mais j’ai remarqué que beaucoup ne se sentent pas légitimes pour évoquer publiquement leur vie », conclut @patpanthere, proche des actions du collectif afroféministe Mwasi IRL, aux côtés de qui elle a notamment participé à La Marche pour la Dignité et Contre le Racisme.