Laura Georges, Fraîche Woman 2019, ex-footballeuse : « nos jeunes ont besoin de modèles noirs »

En pleine année de Coupe du monde, et retenant notre souffle jusqu’à celle des joueuses en 2019, il nous tenait à coeur de parler à une d’entre elles. Notre choix s’est porté sur Laura Georges pour plusieurs raisons : son expérience de footballeuse bien sûr mais aussi son évolution de carrière aussi bien sur le terrain qu’en dehors, ses engagements …
188 sélections, participation à 3 Coupes du monde, 6 championnats remportés… Un sacré palmarès ! On l’a rencontré quelques jours après son 34ème anniversaire et peu de temps après qu’elle a décidé de mettre fin à sa carrière de footballeuse en juin 2018 pour se consacrer pleinement à sa fonction de Secrétaire générale de la Fédération Française de Football où elle est chargée de la question de l’arbitrage féminin. Son obsession : faire bouger les lignes du foot féminin. C’est à deux pas des prestigieux locaux qu’elle a accepté de nous emmener en immersion sur les réalités d’une discipline qui gagne en popularité mais aspire toujours à la professionnalisation, de revenir sur une polémique dont elle hérite d’une réputation de femme-qui-n’a-pas-sa-langue-dans-sa-bouche et de transmettre un souffle d’inspiration aux générations futures. Autant vous dire que son énergie nous a aussi bien boosté.

Les 8 #fraicheswomen de l’édition 2019 ont chacune donné leur avis sur la thématique de cette seconde édition du projet photo, à savoir la « black excellence », -preuve que les Noir.es ne devraient pas être essentialisé.es -et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous avons créé L’Afro le 31 octobre 2015 ;).

Certain.es parmi vous se retrouveront dans leurs propos, d’autres les rejetteront en bloc. Quoiqu’il en soit, nous voyons là, comme pour la première édition, l’opportunité d’en discuter avec elles, avec vous.

Ses débuts dans le foot

« J’ai grandi dans le parc du château de Versailles car mon père y travaille -mes parents y habitent toujours. Mon environnement, avec tout l’espace qu’il y avait et mes voisins qui jouait au foot à m’y mettre aussi. Mon père lui-même en faisait en entreprise et tous les week-ends, j’allais voir ses matchs. Tout a commencé vers l’âge de 12 ans, j’avais envie d’avoir une activité à moi et un jour, dans la cour de l’école, une camarade à mon frère m’a dit : « je fais partie de l’équipe féminine du Paris-Saint-Germain, tu devrais nous rejoindre.» A l’époque, près d’où j’habitais, il y avait peu d’équipes féminines. Un an plus tard, j’ai eu envie de passer les tests, mon père m’y a accompagné et ça s’est bien passé.

Devenir joueuse professionnelle n’était pas mon but, ni celui de la plupart de mes camarades. A l’époque ça n’existait pas et je n’avais pas de représentations féminines autour de moi. Au départ, j’étais un peu influencée par ce que mon frère faisait ; je voulais être programmatrice de jeux vidéos ou dessinatrice ou designer des voitures. En fait, je me concentrais sur ce que j’aimais mais jamais je me serais imaginée être sportive de haut niveau. C’est venu après : on a fini par me proposer de jouer avec les garçons, d’avoir des entraînements supplémentaires pour continuer à progresser. Puis des détections pour être dans l’équipe de la région. J’ai fini par me donner d’autres objectifs pour être encore meilleure l’année suivante. Puis je me suis dit « pourquoi pas entrer dans le château de Clairefontaine » ce qui signifie être dans l’équipe de France et jouer une Coupe du monde. J’ai toujours voulu aller chercher plus loin.Généralement, je visualise le but que je me fixe et je l’atteint souvent. »

La réaction de ses proches

« Mon père m’a accompagné à tous mes entraînements et s’est rendu à tous mes matchs. Ma mère craignait juste que je me blesse mais je n’ai jamais eu droit à la rengaine « non le foot, c’est pour les garçons ». Tous deux m’ont toujours encouragé. Mes ami.es de façon générale m’ont toujours soutenu. J’ai juste eu des petits piques de la part d’un ami footballeur assez macho à l’époque qui avait rigolé quand je lui avais dit que je voulais jouer la Coupe du monde et m’avait rétorqué « tu n’as rien à faire là ». « 

Un engagement profond pour sa discipline

« J’ai toujours été intéressée par la question de comment faire évoluer mon domaine. Au lycée, mes TPE ont porté sur l’évolution du football féminin. L’année de mon bac, il y a eu le 11 septembre. Mes amies disaient qu’il fallait absolument en parler mais je trouvais qu’on n’avait pas assez de recul pour le faire Je leur ai suggéré de parler du domaine que je connaissais, convaincue qu’il évoluerait. On était les seules à présenter ce sujet et on l’a fait de manière marquante. Plus tard, j’ai rédigé un article de recherches en voulant au départ travailler sur la fidélisation dans le football professionnel masculin mais j’ai fini par me dire qu’il fallait que je me concentre sur un sujet que je maîtrise et qui me tient particulièrement à coeur. Mon sujet final : est-ce que la télévision peut être le fer de lance du foot féminin ? »

« Aujourd’hui, les matchs de compétition sont diffusés sur Canal + qui a acheté les droits de diffusion pour plus de 4 millions d’euros et la Coupe du monde sera retransmise sur TF1 (en juin 2019 ndlr). Je revois mes travaux de l’époque et ce que j’ai pu étudier par rapport à d’autres fédérations qui étaient en avance sur nous et je me rends compte que les médias sont entrés dans une boucle, suite logique vu l’évolution de notre discipline. »

« Quand j’ai commencé, il n’y avait pas de contrats, ce n’était pas professionnel. On avait des contrats d’emploi où on aidait au club comme coach notamment mais pas des contrats nous permettant d’être payées en tant que sportives. Mais Jean-Michel Aulas, président de l’OL a vu autour de 2007 pas mal de ses joueuses partir aux Etats-Unis en ligue professionnelle. Il a donc demandé à la fédération de créer des contrats pour les retenir et leur garantir une sécurité d’emploi.  »

« Cela dit, les championnats féminins français ne sont toujours pas professionnels ; ils sont amateurs car ils dépendent de la fédération, contrairement aux championnats américains qui dépendent des franchises et là-bas, tout dépend de la bonne économie des clubs et des sociétés qui gèrent les clubs des villes.  »

« Pour en revenir à la situation française, certains clubs font en sorte que les joueuses soient dans les meilleures conditions possibles avec des contrats fédéraux -différents au niveau juridique des contrats professionnels- qui leur permettent de se consacrer totalement à leur activité. Par exemple, dans notre championnat qui compte 12 équipes, les clubs de Lyon, du PSG, de Montpellier ont un effectif de 23 joueuses disposant de contrats alors que d’autres peuvent mettre seulement 3 joueuses sous contrats, faute de moyens, les autres étant obligées d’étudier ou de travailler. Aujourd’hui la fédération accompagne les clubs pour professionnaliser ce système. »

Retour sur un article qui a fait couler beaucoup d’encre dans son milieu

« On me parle souvent de cette interview que j’ai donné au Monde, où mes propos ont été tronqués. Le journaliste y fait une comparaison entre le président du PSG et celui de l’Olympique lyonnais, deux clubs au sein desquels j’ai évolué alors que durant l’entretien, j’ai abordé divers sujets concernant ces deux clubs, sans juger.  Cet article a fait beaucoup de bruit dans le monde du football et il y a eu des critiques sur les réseaux sociaux. A ce moment-là, j’ai été cataloguée comme la femme qui se plaint, qui est aigrie. Après cet épisode, j’ai eu la chance d’être nommée marraine des 24h du sport féminin, ce qui m’a permis de m’exprimer et de montrer que j’avais des choses à dire. « 

« Il existe désormais des médias spécialisés mais auparavant, il pouvait arriver d’avoir affaire à des journalistes qui ne connaissent rien à notre discipline. On parle beaucoup de la place des femmes depuis quelque temps. Pour ma part, j’ai toujours été sensible à cette question et en particulier, à rendre plus visible le foot féminin et surtout, de façon qualitative. Pour y arriver, il faut s’intéresser avant tout aux gens. Aujourd’hui, je n’ai pas à me plaindre, cette discipline a droit à une couverture conséquente, plus même que d’autres sports tels que le handball ou le rugby. »

Les leçons retenues de son expérience aux Etats-Unis

« A la saison 2003-2004, je suis partie aux Etats-Unis car j’avais une réputation de joueuse agressive sur le terrain en équipe de France, bien que je ne le sois pas dans la vie. J’étais défenseure et c’était un peu difficile à vivre car ce que je suis sur le terrain ne reflète pas qui je suis dans la vie -je suis une personne assez douce. C’était le moment pour moi de m’ouvrir à autre chose, de découvrir une autre éducation ; j’avais besoin de prendre confiance et moi. Je suis donc allée au Boston College, j’ai obtenu une bourse en plus d’avoir réussi mes examens d’entrée. Une fois sur place, j’ai consulté le psychologue de l’université, qui n’était autre que George Mumford, qui a travaillé pour les Chicago Bulls et Michael Jordan, George Mumford. J’ignorais l’ampleur de ce qu’il représentait à l’époque. J’ai beaucoup évolué mentalement notamment grâce à lui.  »

« Avant d’entamer ce voyage, j’étais très introvertie et j’ai fait face à des défis comme l’apprentissage de la langue. Je me sentais un peu comme une enfant. J’ai beaucoup appris notamment des associations afros, communautaires en général et de la sororité. Il fallait prendre conscience que j’étais une femme, que j’étais noire. J’étais aussi admirative d’observer qu’on pouvait mener des projets même en étant jeune. Finalement, j’ai grandi et j’ai pu m’épanouir en étant moi-même et au gré de mes rencontres.« 

Une des rencontres qui m’a beaucoup marqué est celle avec Steffi Jones, la première femme ambassadrice de l’UEFA de développement de foot féminin, qui est en plus une femme métisse. En la voyant, je me suis dis « c’est super ce qu’elle fait, j’aimerais faire la même chose ». Un jour, en 2015, on m’a appelé pour me proposer d’être ambassadrice à mon tour, ce qui a aussi permis à la FFF de voir mon implication dans les projets.

Comment elle est devenue Secrétaire générale de la FFF

« Un jour le président m’a contacté puis on a calé un rendez-vous. Je ne savais absolument pas ce qu’il allait me proposer. Lors de ce fameux rendez-vous, il m’explique qu’il montait une liste pour son comité exécutif. En tant que membre du comité, on fait une réunion mensuelle où on aborde des sujets importants, graves sur lesquels on donne notre avis. Il m’a dit qu’il savait que j’étais encore joueuse, qu’il connaissait mon implication dans la vie du football. Il m’a dit de continuer à jouer tout en apprenant avant de me donner des missions. Il m’a fallu un temps de réflexion.Je tenais à m’assurer aussi que je n’étais pas juste un quota parce que je suis une femme noire. Le président m’a expliqué qu’il ne pouvait pas se permettre de prendre une personne qui ne soit pas compétente. « 

« J’ai très vite été amenée à remplacer le Vice-président en menant les débats durant les réunions. Ce qui est drôle, c’est qu’une personne de la liste adverse m’a dit « je m’étais trompée sur toi », sous-entendant qu’il m’avait sous-estimé. »

« Actuellement, ma mission est consacrée à l’arbitrage féminin. Mon défi : comment amener les femmes à s’intéresser à l’arbitrage. C’est une activité qui n’est pas forcément bien perçue. Dans nos championnats amateurs, des arbitres sont victimes d’agressions par exemple.
L’intérêt de ce projet, c’est de transmettre à des femmes des qualités de leadership : mine de rien, quand on est arbitre, on doit gérer 22 personnes à la fois pendant un match. »

« Si on s’intéresse aux profils d’arbitres dans le foot féminin, -qui, je le rappelle est amateur- il y a des mamans, des juristes, des sociologues, des cadres supérieures … »

Ce qui lui a permis d’avoir la carrière qu’elle a

« Beaucoup de travail, beaucoup de mental et le fait d’avoir eu sur mon chemin des personnes inspirantes, solides, des rocs qui m’ont poussé à m’améliorer. Je n’ai jamais voulu être la meilleure. »

Ses modèles

« Lilian Thuram pour sa personnalité, parce qu’il est super avenant, toujours disponible pour les autres. Je rêvais de le rencontrer pour lui dire l’admiration que j’avais pour lui. J’ai eu cette opportunité après la Coupe du Monde 1998. Aujourd’hui, je suis reconnaissante de l’avoir comme ami. J’aime aussi me nourrir de citations, je lis beaucoup et j’écoute des conférences et des Ted talks. »

Son leitmotiv

« Rester authentique comme le dit Dave Chapelle, ce qui n’est pas facile dans notre société. »

La Black excellence ?

« Je dirais l’excellence avant tout car elle n’a pas de couleur. Mais trop peu de gens ont des modèles noirs. Or, on a besoin de références, surtout pour nos jeunes, pour les inspirer, qu’iels puissent se dire qu’iels peuvent être médecins, scientifiques … Il ne faut pas qu’iels se disent « ah ça, ce n’est pas pour moi parce que je n’en vois pas».
Le film Black Panther a fait du bien auprès des jeunes, justement pour ça. Il faut montrer l’excellence, montrer ce qui se fait de mieux. Cela dit, l’excellence, ce n’est pas avoir un métier d’élite, c’est juste faire les choses avec passion et les faire bien. « 

Des conseils à quiconque et en particulier aux femmes qui voudraient suivre sa voie

« Qu’elles croient en elles. Des statistiques ont montré qu’à compétences égales, une femme les remet en doute contrairement à un homme. Qu’elles soient confiantes dans le fait qu’elles peuventt apporter quelque chose et ne pas lâcher, ne pas s’effondrer à la moindre critique. »

Ses liens avec la Guadeloupe

« Mes deux parents sont guadeloupéens ; à la maison, on parle créole. Mes grands-parents maternels sont encore vivants donc j’essaie d’y retourner le plus régulièrement possible et ça me fait du bien. Dans le cadre de mon travail aussi c’est important pour y développer notre discipline. »

« Quand on joue en équipe de France féminine, on ne se rend pas compte mais on représente les gens sur place, ils s’identifient à nous, sont fiers de nous. On m’a dit « tu m’as donné envie de m’intéresser au foot féminin », « ton engagement m’a fait plaisir ». ils me donnent aussi de l’énergie et ça, ça n’a pas de prix (rires) »

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