INTERVIEW – Daouda Coulibaly parle de Wùlu, son film « qui laisse entrevoir la complexité de la situation au Mali »

[ENTRETIEN] Quatre ans de préparation et de tournage, un rien mouvementé, une intrigue à la fin surprenante, un binôme qui fonctionne… Daouda Coulibaly nous a parlé de Wùlu, son premier long-métrage.

Wùlu, c’est beaucoup de choses. Une histoire autour du trafic de drogues au Mali, du terrorisme en toile de fond, mais aussi la relation fraternelle de deux personnages, interprétés par Inna Modja et Ibrahim Koma, deux jeunes de Bamako qui tentent de trouver leur salut dans une société compliquée. « Le film permet de comprendre combien l’Afrique est l’une des places fortes de la globalisation », nous a confié Daouda Coulibaly, le réalisateur de Wùlu, s’il fallait s’en convaincre. Avant de courir le voir si ce n’est pas déjà fait, explorons avec ce dernier les facettes de ce premier long-métrage ambitieux, un film de genre qui dit beaucoup du Mali contemporain.

Avant Wùlu

« Je suis Daouda Coulibaly, je suis né en 1976 -et pas en 1977, comme on l’a lu parfois, ndlr-. Mon père vient du Mali, ma mère de Guinée-Conakry. Après des études d’économie, je me suis intéressé sur le tard au cinéma. En 2008, j’ai tourné mon 1er court-métrage Il était une fois l’indépendance à Bamako et dans ses environs, puis en 2010 Tinye So. Ces deux courts ont pas mal tourné en festivals et très vite, on m’a demandé à quand le long ? J’ai commencé à travailler sur Wùlu, mon premier film, en 2011. »

Le Mali, lieu de prédilection de ses fictions

 » Je suis allé très jeune au Mali, puis j’ai renoué au début des années 2000 avec le pays. L’affaire dite d' »Air Cocaïne » – un avion a été détourné, avec à son bord des passagers et près de 700 kilos de poudre,- m’a beaucoup intrigué. Comme je ne pouvais pas travailler sur le sujet de France, je me suis installé à Bamako en novembre 2011. Je m’y sens très bien comme jamais je ne me suis senti. Je pensais que j’allais faire ma vie là-bas – pour des raisons personnelles, il en est reparti en 2015, ndlr-. On a eu des difficultés classiques de financement. Il y a eu une crise d’ebola dans la région, un attentat à la Terrasse, un restaurant à Bamako, pendant la préparation du film, on a donc dû délocaliser les scènes intérieures au Sénégal. J’ai rencontré un policier qui m’a permis de faire le tri entre la réalité et les éléments de fiction dans le scénario et d’en garder pour le côté spectaculaire.  »

Le choix des comédien.ne.s

« Inna Modja, qui joue Aminata, la grande soeur, a fait des essais, hyper concluants, elle sait de quoi on parle, elle a grandi à Bamako, parle la langue ; elle collait au personnage, qui n’est pas facile. -on y aperçoit d’ailleurs furtivement son conjoint dans la vie, ndlr-. Je pensais trouver Ladji au Mali et c’est finalement Ibrahim Koma qui a été choisi. J’ai été conquis par sa vivacité, sa détermination, son engagement à glisser dans le rôle. »

Les jeunes, le coeur de Wùlu

« Le personnage de Ladji m’est apparu assez vite ; je ne sais pas s’il a été inspiré par des gens que j’ai connu, des amis … J’en ai rencontré beaucoup pour préparer le film ; certains ont pu me confier des choses de leur vie, ce qui me confère beaucoup de responsabilités. Ce n’est pas la vie d’un criminel qui m’intéressait, mais les faits et comment le trafic peut servir le terrorisme. Ce qui frappe quand on va à Bamako, c’est la jeunesse dont l’avenir questionne, quand on voit le développement important du narcotrafic dans cette zone.
Comment les jeunes vont faire pour ne pas accepter cette activité illégale, criminelle, quand on leur propose peu d’alternatives légales, telles que l’éducation ou des offres d’emploi ?
On s’est habitué à les voir traîner, boire du thé, ne pas pouvoir payer l’université, ni intégrer la fonction publique, faute de moyens. On se retrouve avec des jeunes sans trop de perspective, qui pour certain.e.s, ont 30 ans et n’ont jamais travaillé : on en connaît plein des jeunes comme ça et on ne devrait pas s’y habituer, ne pas l’accepter. On est en train de les condamner. »

… En butte contre des adultes, tous ou presque corrompus

« -On ne vous spoile pas, mais c’est ce qu’on y a vu ;), ndlr- Je ne sais pas si c’est délibéré, mais  il y a effectivement un conflit générationnel. Les adultes représentent un monde, que les jeunes doivent affronter, voire changer. »

Les héros principaux, un binôme tourmenté et complémentaire

« Pour moi, le film c’est presque avant tout l’histoire d’amour, quasi-incestueuse, entre un frère et sa sœur, qui s’aiment, qui ne savent pas ni se le dire, ni faire les bons choix l’un pour l’autre. Ladji, l’homme incarne la sécurité, la stabilité quand Aminata, la grande sœur est plutôt du côté de la liberté. Cette dernière s’est longtemps prostituée et revient de l’enfer ; elle a envie de s’éclater, ce qui lui donne son apparent caractère superficiel, au début du film du moins. Ladji estime qu’il est temps pour lui de jouer le rôle du grand frère, de prendre des responsabilités, de la sortir de cette précarité. »

Les femmes, miroir des jeux de pouvoir dans la société

« Le film est fait pour évoquer les sujets qui fâchent. Si la répartition des activités des personnages semble très genré, c’est malheureusement une certaine réalité : les femmes ont moins de pouvoir que les hommes à divers niveaux dans cette société. Le personnage d’Assitan échappe à cette règle. Elle est libre, sexuellement, professionnellement, socialement. Le personnage d’Aminata subit beaucoup, cela est inscrit dans son corps, au contraire d’Assitan qui choisit sa vie, car asocialement plus avantagée. Elle a un magasin, a fait des études aux États-Unis, a fait le choix de revenir à Bamako. Il y a une scène où Aminata est dans la boutique plutôt chic d’Assitan, qui vend des objets de décoration et des accessoires ; plutôt que d’en claquer la porte, elle en apprend les codes, preuve de son intelligence, de sa faculté à s’adapter. »

La réception du film au Mali

« Beaucoup de gens ont trouvé le film bien et étaient content.e.s qu’on y aborde certains sujets. Après, il n’y a qu’une salle à Bamako, le billet est assez cher pour les classes moyennes, -les gens qu’on y rattache gagnant 4 dollars par jour en moyenne-, la démarche d’aller au cinéma n’est pas la même pratique sociale qu’ici. Pour toutes ces raisons, cela n’a pas suscité le débat comme je l’espérais, mais qui sait, peut-être plus tard. »

La fin du film

« Elle est totalement ouverte.  Le crime paie-t-il ou pas ? Et si c’est le cas, cette manière de gagner de l’argent rend-il heureux.se ? Pas sûr… »

 

 

 

 

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