INTERVIEW- Leïla Sy : Portrait musical de la réalisatrice, pilier du mouvement hip-hop

Leïla Sy © Lorent Kostar
RENCONTRE – Leïla Sy est plutôt une femme de l’ombre, comme elle le revendique. On est d’autant plus contentes que la réalisatrice de clips et activiste hip-hop a accepté de se raconter à L’Afro. Pour l’occasion, on lui a concocté un questionnaire spécial humeurs musicales !

Directrice artistique, activiste hip-hop, la réalisatrice Leïla Sy affiche son amour pour le rap dès sa messagerie, sur laquelle on tombe pour prendre rendez-vous et où l’on croit reconnaître Lino. « C’est Eklips, l’un des meilleurs beatboxers au monde, qui a repris la voix du rappeur dans son morceau « 12ème Lettre » dont j’ai réalisé le clip. Lino est un artiste que j’aime énormément ! », nous dit celle que l’on rejoint dans un café, quelque part dans le sud de Paris. « Je m’exprime peu, je suis une femme de l’ombre, je l’ai choisi. Moi, je sais parler avec l’image », nous prévient-elle. Et nous voici, une heure après cette entrevue fleuve.


Un clip qui vous a marqué jeune

Ado, « Thriller« ou encore « Bad » réalisés respectivement par John Laudis et Martin Scorsese. Michael Jackson a posé les bases de l’importance du rapport entre l’image et la musique.

Le(s) son(s) / le(s) clip(s) qui vous ont donné envie de faire ce métier

Les morceaux de KRS-One m’ont donné beaucoup de force. Je suis française, noire, métisse, -ma mère est blanche, mon père est noir-, et j’ai toujours eu ce complexe de ne pas savoir où était ma maison. J’ai eu une adolescence pleine de contradictions, ici, je n’étais pas chez moi et quand j’ai eu la chance d’aller au Sénégal, je n’étais pas chez moi non plus. C’est en partant vivre aux Etats-Unis à New York à Brooklyn Far Rockaway, que j’ai senti que j’appartenais à une communauté. Du fait de leur histoire, les Noir.e.s américain.e.s sont déraciné.e.s, ils ont néanmoins réussi à construire des fondations solides grâce à leurs combats et engagements. Sans nier les problématiques ou le racisme du système américain, comme le prouvent les récentes violences policières, à l’époque, ma rencontre avec la communauté afro-américaine a été un vrai déclic car il y avait une vraie ouverture d’esprit.

Un son / un clip qui vous rappelle des moments heureux

La grande époque de Missy Elliott. C’est l’époque où j’étais une jeune femme, sans trop de responsabilités, où je sortais dans les clubs faire des folies. J’adorais son univers coloré, imaginé entre autres avec Hype Williams. Dix ans après, la vie est passée par là, mais que ce soit avec son retour au Super Bowl ou son dernier titre, elle a toujours cette énergie communicative et représente notre culture et ses fondamentaux, -Peace, Love, Unity and Havin’ Fun- avec intelligence et tellement de singularité.

Un son/ un clip qui en dit long sur vous

(Elle réfléchit) Celui de Lettre à la République de Kery James. Il est un peu azimuté.


Le morceau est tellement Kery que je ne pourrai pas me l’approprier à ce point-là. Sinon, il y a le morceau L’Enfant Seul d’Oxmo.

Un clip qui a marqué un tournant dans la musique pour vous

« Hardcore » d’Ideal J que j’ai vraiment trouvé chanmé dans le fond et dans la forme.

Tous les gros clips de NTM, au moment de leur explosion, comme « Laisse pas traîner ton fils », réalisé par Joey Starr je crois, « La Fièvre », toute la grande époque où les clips étaient ultra-produits.

J’adore Lunatic et le clip de leur morceau « Pas Le Temps pour les regrets ». Il est ter-ter comme il faut !

Un clip / un son qui est une inspiration ultime

Tous les Michael Jackson, tous les Missy, ultra-lourds. Le Sefyu de Nathalie Canguilhem, –Molotov 4– m’a mis aussi une petite claque, « Jimmy » pour Booba, ou encore  « Cry me a river ».

Sinon, dernièrement, « Soldier of Love » de Sade.

Un clip que vous avez aimé tourner

J’ai kiffé réaliser les derniers Lino. Lui, son frère et son équipe ont beaucoup de tempérament, ce sont des gens super, pas toujours facile de faire le poids ; c’est un gros kif de bosser avec eux !
J’avais tellement à coeur de bien faire « Fautes de français » que je me suis écroulée une fois le tournage terminé alors que cela ne m’arrive jamais, enfin pas à ce point-là.

J’ai réalisé « VLB », il faisait chaud, c’était une sacrée mission, c’était cool de se retrouver à Villiers-le-Bel avec ces messieurs.

Un clip qui a été particulièrement difficile à faire

C’était toujours la même chose, un peu comme quand tu mets un enfant au monde : tu oublies les mauvais moments, tu ne gardes que le meilleur ! « VLB », je vais pas mentir, c’était dur vu l’économie du clip et nos ambitions. C’était à base de 80 plans dans la journée ! Avec Kub & Cristo, on a tourné plusieurs vidéos dans un entrepôt, comme le remix de « Papa ce soir » avec LFDV, j’étais à la réa et dans le même week-end « Wolfgang » pour Lino, sur lequel j’étais D.A..  il faisait tellement froid, c’était un enfer ! Mais ça donne des choses intéressantes à l’image, comme la fumée qui sort de la bouche  de Lino quand il rappe.

Un clip que vous auriez aimé tourner vous-mêmes

« Reason », le morceau produit par Clément Animal’sons pour Selah Sue. J’adore cette meuf, j’ai dit à ma prod de faire savoir à son équipe que j’avais envie de bosser pour elle, mais il n’y a pas eu de suite. Sinon, il y a un titre qui tourne en boucle à la maison, plus mainstream. Un clip moyen est sorti, et là ils viennent de refaire une vidéo plus authentique en Afrique, mais j’aurai bien kiffé ! J’en dis pas plus, ceux qui veulent aller gratter ont quelques indices 😉

Un clip qui vous agace / qui montre que l’industrie a changé

Ce qui m’agace, ce sont certaines maisons de disques. Elles ont beaucoup d’argent, mais elles tirent notre métier vers le bas en limitant les budgets, en utilisant les énergies  à mauvais escient. Je ne le répèterai jamais assez mais on ne fait pas d’images tout.e seul.e, il y a des équipes et chacun doit avoir son rôle. Pour faire de belles images, surtout dans une ère où le visuel est très important, il faut du temps et de l’argent. Je travaille avec Suther Kane Films, qui ont une haute estime de ce que je peux accomplir avec mon équipe et qui ont une vraie vision artistique ; même si on galère, ils savent prendre des risques. Je garde ma liberté artistique. Mais le clip, c’est presque une profession de foi, c’est usant.

Leïla Sy ©Lorent Kostar

Leïla Sy en quelques dates

30 juin 1977 Née l’année du punk et de pas mal d’activistes

1985 Rencontre Mya Frye et Michel Ressiga au Centre de danse du Marais, où elle continue de danser irrégulièrement.

1990 Après un casting sauvage, 1ère campagne Benetton. « Oliviero -Toscani, le photographe célèbre pour ses clichés jamais tièdes- a un sacré caractère, mais il m’a pris sous son aile ; j’ai beaucoup appris en l’observant »

1995-1996 tournée Macarena

1998 Défilé Yves Saint-Laurent ; départ aux Etats-Unis, danse pour Alvin Ailey

2000 Diplômée de l’Académie Julian, mieux connue sous le nom de Penninghen.

Juillet/Aout 2001 Photographe / graphiste pour le magazine Track List

Septembre 2003 Directrice artistique / Photographe pour la version française du magazine The Source
2005 Naissance de son 1er fils et de l’association Devoirs de mémoires

2007 Naissance de son deuxième fils

2009-2015 : Nombreux clips pour Kery James, Lino etc

2015 Clip de L.E.J

Une réflexion au sujet de « INTERVIEW- Leïla Sy : Portrait musical de la réalisatrice, pilier du mouvement hip-hop »

Laisser un commentaire